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Le 9 août 1948 paraissait le recueil «Refus global»

Pour certains, la publication de «Refus global» serait en quelque sorte un moment de fondation de la modernité québécoise.
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Maurice Perron, Pique-nique à Saint-Hilaire, 1947. Épreuve à la gélatine argentique, 9,4 × 9,3 cm. Fonds Maurice Perron, avec l’aimable autorisation de Line-Sylvie Perron.De gauche à droite: Françoise L. Riopelle, Marcel Barbeau, Gilles Hénault, Magdeleine Arbour, Claude Gauvreau, Bruno M. Cormier et Pierre Gauvreau
Collection du Musée national des beaux-arts du Québec (1999.150) ©
Maurice Perron, Pique-nique à Saint-Hilaire, 1947. Épreuve à la gélatine argentique, 9,4 × 9,3 cm. Fonds Maurice Perron, avec l’aimable autorisation de Line-Sylvie Perron.De gauche à droite: Françoise L. Riopelle, Marcel Barbeau, Gilles Hénault, Magdeleine Arbour, Claude Gauvreau, Bruno M. Cormier et Pierre Gauvreau

Le 9 août 1948 paraissait le recueil Refus global, édité en 400 exemplaires et lancé à la librairie Henri Tranquille à Montréal. Les peintres Marcel Barbeau, Pierre Gauvreau, Jean-Paul Riopelle, Jean-Paul Mousseau, Marcelle Ferron et Fernand Leduc, les poètes Claude Gauvreau et Thérèse Leduc, la designer Madeleine Arbour, la chorégraphe Françoise Riopelle, l'actrice Muriel Guilbault, l'éclairagiste Louise Renaud, le psychiatre Bruno Cormier, le photographe Maurice Perron et l'artiste multidisciplinaire Françoise Sullivan signent le manifeste éponyme rédigé par Paul-Émile Borduas en ouverture du recueil.

En plus du texte éponyme «Refus global», le recueil propose un lexique, des textes de Claude Gauvreau, Cormier, Leduc et Sullivan, des photographies d'œuvres de Barbeau, Borduas, Gauvreau, Ferron, Leduc, Mousseau et Riopelle prises par Perron, le tout sous une couverture signée Riopelle.

Refus global s'offre comme un livre d'artiste avant l'heure, témoin de l'activité des jeunes artistes réunis autour du peintre Paul-Émile Borduas, alors professeur à l'École du meuble de Montréal.

Le texte de Borduas «Refus global» est un manifeste au ton à la fois lyrique et virulent qui dénonce l'état d'ignorance dans lequel les élites religieuses et politiques maintiennent la population. Il souhaite libérer le peuple et l'art d'un carcan idéologique hérité de la colonisation et de l'histoire politique et religieuse du Québec.

En ce sens, le manifeste pose des revendications qui vont nettement au-delà de la question de la liberté d'expression de l'artiste, pour s'inscrire dans la lignée des manifestes politico-artistiques européens, par exemple ceux des futuristes, des dadaïstes et des surréalistes.

Le contenu éclectique du recueil, directement lié aux activités multidisciplinaires des membres du groupe, fut accueilli avec circonspection par les commentateurs culturels du temps, peu accoutumés à ce type d'ouvrage. Plusieurs d'entre eux se contentèrent de décrire le contenu pour leurs lecteurs, sans même avoir eu l'occasion de le consulter. D'autres relevèrent la nature inédite de l'objet et son ton revendicateur.

Généralement, l'on peut dire que le manifeste eut un certain retentissement dans les jours suivant sa parution. La culture médiatique du temps limita cependant son impact au milieu montréalais, ce qui n'empêcha pas l'ouvrage d'avoir des répercussions dramatiques sur la vie des signataires et de leur entourage, en plus de connaître une fortune critique considérable.

C'est le congédiement de Borduas de l'École du meuble, une institution gouvernementale, qui générera un regain d'attention médiatique.

C'est le congédiement de Borduas de l'École du meuble, une institution gouvernementale, qui générera un regain d'attention médiatique dans les semaines suivant la parution du recueil. Les élites politiques du gouvernement Duplessis retiennent contre lui son anticléricalisme et dénoncent que de telles propositions intellectuelles puissent être le fait d'un professeur appelé à former la jeunesse.

Dans les mois suivant le congédiement, plusieurs polémiques seront entretenues entre pourfendeurs et défenseurs de Borduas. Ce dernier tente aussi de mieux définir sa posture politique et artistique en faisant paraître un autre texte: «Projections libérantes». L'énergie déployée pour dénoncer le congédiement ne parvient pas à minimiser les conséquences de la perte de cet emploi et Borduas s'exile bientôt à New York, puis à Paris.

Certains comme Riopelle, Leduc et Ferron l'ont précédé à Paris, fuyant tous une atmosphère étouffante dans laquelle tout épanouissement artistique semblait hors de portée.

Refus global d'hier à aujourd'hui

À partir des années 1960, certains auteurs voient en Refus global une forme de moment charnière entre la Grande noirceur et la Révolution tranquille. La publication de Refus global serait en quelque sorte un moment de fondation de la modernité québécoise. Le vocabulaire ampoulé des chroniqueurs et des historiens, parfois même celui des automatistes eux-mêmes, a assurément nourri une histoire plus souvent glorificatrice que critique.

Pour certains, la publication de «Refus global» serait en quelque sorte un moment de fondation de la modernité québécoise.

Remis dans un contexte plus large, Refus global est un jalon d'importance, mais un jalon parmi d'autres de la modernité québécoise, dont plusieurs se situent bien avant 1948, dans la période de l'entre-deux-guerres. L'idée selon laquelle les grands changements culturels fermentent sur le long terme, bien que plus réaliste et factuelle, doit encore aujourd'hui concurrencer une histoire de l'art friande de ruptures spectaculaires et de mythes fondateurs.

Ces deux façons de voir l'histoire continuent de coexister et expliquent pourquoi il n'existe aucun consensus quant à l'impact réel de Refus global dans l'évolution de la culture québécoise des 70 dernières années. La discussion à ce sujet est toujours en cours...

Il n'existe aucun consensus quant à l'impact réel de Refus global dans l'évolution de la culture québécoise des 70 dernières années.

D'un point de vue personnel, je me contenterai de dire que le simple fait que ce recueil soit encore, en 2018, l'objet d'autant d'attention et de discussions constitue, en soi, un impact remarquable. Ceci dit, parmi toutes mes lectures, écoutes ou visionnements d'entrevues, d'archives ou de films, je demeure encore à ce jour profondément remuée par le documentaire de Manon Barbeau, Les enfants de Refus global, réalisé en 1998. Les voix des signataires et celles de leurs enfants contrastent avec l'histoire glorificatrice. Leurs destins silencieux, parfois tragiques, tranchent avec la fortune critique de l'ouvrage.

La parution, en 2015, du roman La femme qui fuit, d'Anaïs Barbeau-Lavalette a eu un effet semblable: remettre l'expérience humaine intime, son plus réel impact, au centre de la réflexion sur Refus global.

En ce 70e anniversaire de Refus global, je vous propose de découvrir (ou redécouvrir) un film et trois ouvrages de grand intérêt.

À voir:

Manon Barbeau, Les enfants de Refus global, 1998

À lire:

Anaïs Barbeau-Lavalette, La femme qui fuit, Montréal : Marchand de feuilles, 2015.

Sophie Dubois, Refus global. Histoire d'une réception partielle, Montréal : Presses universitaires de l'Université de Montréal, 2017.

Ray Ellenwood, Égrégore. Une histoire du mouvement automatiste de Montréal, Montréal : Les Éditions du Passage/KÉTOUPA Édition, 2014.

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