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J'ai 28 ans et je suis déjà... ménopausée

Depuis quelques mois, je goûte au bonheur d'ouvrir ma fenêtre de bureau en plein milieu du mois de février, tellement je cuis sous ma peau.
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Après des prises de sang, la vérité m'est tombée dessus. Comme une enclume dans un dessin animé de Bip Bip et Coyote.
fizkes via Getty Images
Après des prises de sang, la vérité m'est tombée dessus. Comme une enclume dans un dessin animé de Bip Bip et Coyote.

J'ai 28 ans, je prends un traitement hormonal substitutif de la ménopause. Depuis quelques mois, je goûte au bonheur d'ouvrir ma fenêtre de bureau en plein milieu du mois de février, tellement je cuis sous ma peau, de faire ma première ostéodensitométrie dans une salle d'attente aux grand-mères médusées, d'essuyer «non, mais ce n'est pas possible» avec un air mi-amusé mi-soupçonneux aux rares personnes extérieures à mon cercle social proche à qui je dois expliquer la situation. Qui dit ménopause dit aussi l'impossibilité d'avoir un petit dernier. Et c'est pour moi le point le plus dur.

Toi jeune et pimpante lectrice, tu ne connais de la ménopause que les fameuses bouffées de chaleur, la joie de la prise de calcium quotidienne pour éviter que tu te casses le col du fémur dès que tu te retrouves les fesses par terre. Tu penses aussi «Libérée, délivrée» des tampons et autres protections menstruelles. Tu penses vieille mamie desséchée.

Mais, jeune padawan, il y'a d'autres jolis effets que tu ne peux connaître si tu n'as pas encore discuté avec tes copines de mammographie.

La sécheresse oculaire

Je ne sors jamais sans mon sérum physiologique dans mon sac à main. Tellement sexy dans les toilettes avec le petit kleenex. On dirait que je veux cacher ma descente d'acide d'hier soir.

Le relâchement du périnée

Apprends à courir aux toilettes aussi vite que Flash et sans rigoler. N'oublie pas de te relever une fois ton affaire faite avec un morceau de papier de toilette placé stratégiquement, car il reste toujours un peu de liquide qui va vouloir respecter les règles de la gravité sur tes sous-vêtements ou au sol, le traitre.

Tu commences à lorgner discrètement sur les serviettes Téna pendant que tu achètes les couches du petit dernier. Le prétexte qui sauve l'honneur. Si je dois en arriver là avant que mes cheveux forment une longue tignasse argentée, je songerai à héberger ma vieille tante incontinente. Quitte à acheter du Polident avec elle pour plus de crédibilité.

Le double effet des bouffées de chaleur

À la fin de ta journée de maman, tu n'as qu'une hâte: prendre une bonne douche, rejoindre ton lit et passer une bonne nuit de sommeil. Grâce à la fée ménopause, ça ne restera qu'un doux rêve. Tes nuits ressortent plus du cauchemar. Tu n'arrives pas à dormir.

Tu as chaud (avec le bonus transpiration qui te donne envie de changer les draps trois fois par nuit). Même que ça te réveille la nuit. Et puis juste après tu as froid, très froid. Alors tu tentes le combo: tout sous la couverture, sauf la jambe gauche.

Et de bon matin, après un nombre d'heures de sommeil que tu peux compter sur les doigts d'une main, entre la peau fripée et le manque de sommeil, il manque plus que la musique de Thriller pour pouvoir revivre.

Mais pourquoi moi, pourquoi?

En fait, aucun médecin ne le sait vraiment (et on ne peut pas dire qu'ils se soient cassé la tête à chercher non plus). Je n'avais plus de cycle. Après m'avoir collé une étiquette d'ovaires polykystiques du fait de mon poids, ils ont détecté mon insuffisance hypophysaire. En gros, je manque de toutes les hormones.

Après des prises de sang, la vérité m'est tombée dessus. Comme une enclume dans un dessin animé de Bip Bip et Coyote. Peut être que c'est parce que je suis encore relativement jeune, peut-être que c'est parce que je suis dans le déni, mais j'ai su rebondir assez vite.

Tu vas me dire: mais au moins tu ne subis cette horreur menstruelle!

Ouais, mais en fait non.

Le corps d'une femme n'est pas exactement fait pour être ménopausée pendant 50 ans. Et je n'ai pas envie de me faire harakiri dans les prochaines années pour restaurer cet équilibre cosmique. Donc je suis sous traitement hormonal substitutif Estreva Gel et Duphaston pour me donner des saignements.

Étant donné que j'ai encore un utérus qui ne sert à rien, je dois prendre un progestatif pour déclencher mes règles à peu près tous les mois. Je dois avouer que le gynéco a su se la jouer virtuose sur ce coup-là. Je revis avec ce traitement.

Honnêtement, ce n'est pas le côté abricot séché qui me dérange plus, mais le côté «ton utérus il est tellement vieux que même un embryon il ne veut pas s'y accrocher». Je voulais une grande famille, un petit dernier pour faire un chiffre rond.

J'ai l'impression d'enterrer ma défunte fraîcheur juvénile, mais en même temps, une rose fanée ça peut être classe. Autant te dire que je n'utilise aucune méthode contraceptive depuis la naissance de mon dernier.

Je devrais me dire que c'est mieux comme ça

Que quatre enfants c'est beaucoup trop de travail, que je n'aurai pas à changer de voiture. Que trois enfants c'est déjà une très belle famille. Je te vois déjà venir: «Tu as eu trois enfants. Tu devrais t'estimer heureuse. Ce n'est pas comme si tu n'en avais pas eu».

Je devrais arrêter d'être égocentrique, repenser au fait que de plus en plus de couples n'ont pas cette chance. Crois-moi, je ne peux qu'imaginer la douleur de l'attente d'un enfant, juste un seul, qui n'arrive à faire son nid dans le ventre de sa mère. La dureté du quotidien pour ces couples, bombardés de remarques stupides, de durs rappels qu'autour d'eux, il n'y a que des familles.

Faire le deuil d'un petit dernier, c'est aussi celui de la vie que j'avais imaginée

Être à la tête d'une grande famille heureuse, c'est une douce pensée qui m'a aidé à m'endormir le soir. Ça n'a aucune raison logique, juste quelque chose qui me prend aux tripes.

Je n'ai pas envie d'être enceinte (j'ai détesté ça) et encore moins d'avoir un tout petit bébé (je n'ai jamais été fan non plus), j'ai juste envie d'un autre enfant, qui joue avec ses frères, un enfant qui ait sa place à lui dans notre famille. Un enfant à qui je pourrais transmettre et donner de l'amour. Je sais que le quotidien serait compliqué. Mais ça ne m'arrête pas.

J'ai vécu l'ostracisation de mes camarades étant «surdouée», l'anorexie, la boulimie, la maladie avec les migraines et l'épilepsie, la dépression post-partum, le harcèlement moral dans mon ancien boulot qui m'a presque détruite, l'absence totale d'aide du fait de notre éloignement géographie par rapport à nos proches, les reproches sur nos choix de vie.

Vous ne croyez pas que j'ai le droit aussi à un peu de bonheur en plus, d'avoir ce qui me fait envie au fond de moi, dans ma chair? Pour une fois avoir VRAIMENT ce que je veux?

J'en peux plus de la fermer et d'encaisser, de rationaliser, de me dire qu'il y'a pire que moi. J'en ai marre de prendre sur moi pour sourire alors que je n'ai déjà plus de dents à force de m'en être pris des uppercuts direct dans la tronche, que je ne peux même plus crier pour évacuer parce que mes cordes vocales sont complètement grillées. Encore un truc qu'on m'aura enlevé et pour lequel je n'aurai rien à dire. Il n'y a rien que je puisse faire, car je n'ai pas commis d'erreur. C'est mon corps qui me laisse tomber.

En voyant mes aînés grandir, j'en viens à me dire souvent; «En fait, je ne savais pas que c'était tant de bonheur de (re)devenir maman. Je ne savais pas qu'avec plusieurs enfants que l'amour et les joies du quotidien n'étaient pas simplement additionnels, ils étaient multipliés de manière exponentielle».

Il me resterait deux solutions: le don d'ovocytes ou l'adoption

Pour ce qui est du don d'ovocytes, je n'aurai absolument aucun problème à considérer cet enfant comme le mien. Pour moi, la génétique ne fait pas la famille, mais alors pas du tout. Mais je sais qu'il y a déjà beaucoup de couples qui ne peuvent devenir une famille, car la liste d'attente en France est beaucoup trop longue. Je n'ai pas envie de leur voler cette petite cellule qui peut leur apporter tant de bonheur. Avec trois enfants, je n'ai clairement pas ce droit.

Nous pourrions aller à l'étranger, mais pour un coût financier que nous ne pouvons supporter. Et pour moi, on reste dans la même problématique de légitimité que pour le don d'ovocyte en France.

En ce qui concerne l'adoption, encore une fois je n'aurais aucun mal à considérer cet enfant comme le mien. Mais la situation de l'adoption en France comme à l'étranger est purement catastrophique. Il faut attendre des années dans l'espoir que peut être potentiellement un jour... Nous n'avons pas la force de nous lancer dans ce combat. Et avec trois enfants de toute manière, nous serions, et à raison, tout en bas des listes.

Alors, quoi faire?

Les Anglo-saxons parlent de la ménopause comme «le changement de la vie». Alors, moi aussi j'ai décidé de réinventer ma vie. à

Mais j'ai décidé de m'investir à corps perdu dans l'éducation et l'amour que j'ai pour les enfants que j'ai eu la chance d'avoir. De faire en sorte de resserrer encore plus les liens entre mes trois fils pour équilibrer leur triangle qui ne sera jamais un carré équilibré.

J'ai décidé que c'était une opportunité pour moi de prendre soin de ce corps déjà tellement abîmé. Mais aussi de porter un autre projet comme on porterait un enfant.

D'accoucher d'une histoire, d'une vision du monde. De mots et des photos qui tenteraient de montrer ce que je trouve beau à travers mes yeux mi-cyniques mi-enfantins. Une sorte de livre, mais qu'on ne lirait pas. Une simple capture d'instant pour faire rêver, débattre, s'émouvoir, rire aussi.

Je ne peux accoucher d'un enfant, mais je peux accoucher d'une idée, d'un idéal, comme l'aurait été ma vie à 6.

Ce texte a été publié sur le HuffPost France.

Ce billet a également été publié sur le blogue Working Mutti.

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