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Quel profit pour le philanthrocapitalisme?

Il s'agit essentiellement d'un renouveau dans le discours philanthropique, ancré cette fois-ci dans le milieu des affaires et de la finance, plutôt que dans la traditionnelle charité religieuse.
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Dans la parrution du Devoir du samedi 5 mars, Mathieu-Robert Sauvé nous présentait les recherches de Christian Jetté et ses collègues sur la place des fondations au Québec. Si les recherches sont moins nombreuses que dans les pays anglo-saxons, quelques écrits existent déjà et traitent des enjeux de cette présence philanthropique en sol québécois.

D'entrée de jeu, soulignons que le secteur communautaire dans lequel la «nouvelle philanthropie» fait son entrée est grandement affecté par des coupures de financement. En effet, la précarité financière dans le milieu communautaire n'est pas seulement un constat pour les personnes qui fréquentent ces organismes, mais met en péril la survie de ceux-ci. Comme il est souvent rappelé, «l'argent c'est le nerf de la guerre».

Dans ce contexte d'austérité, plusieurs groupes, anciennement dépendants du financement étatique, voient la poursuite de leurs activités menacée et s'orientent vers de nouvelles avenues de financement. Déjà, certains groupes n'ont eu d'autres choix que de fermer leurs portes.

«Philanthrocapitalisme» de quoi ?

Voilà donc dans quel environnement s'introduit le «philanthrocapitalisme», alliant «philanthropie» et «capitalisme» pour relater ce nouveau mode d'action présenté par les auteurs américains Bishop et Green.

Il s'agit essentiellement d'un renouveau dans le discours philanthropique, ancré cette fois-ci dans le milieu des affaires et de la finance, plutôt que dans la traditionnelle charité religieuse.

En 2009, au lancement des partenariats entre le gouvernement québécois et la Fondation Lucie et André Chagnon, Claude Chagnon nous annonçait rien de moins qu'une révolution dans le domaine : «Le Québec n'en est qu'à ses débuts en la matière. Mais le temps où les fondations se contentaient de recevoir des demandes et de signer des chèques est révolu» disait-il en entrevue à L'Actualité.

Or, quelle est cette «influence idéologique» des acteurs philanthropiques dont nous parle Christian Jetté ? Dans le cadre de mes recherches, j'ai pu catégoriser en trois ordres les enjeux que posent la présence de la nouvelle philanthropie.

L'introduction de principes du milieu des affaires signifie, notamment, une reddition de comptes accrue. Les valeurs gestionnaires de «saine gouvernance» prônées par ce secteur philanthropique se traduirait par une augmentation significative du temps accordé à la complétion de rapports et de dossiers à soumettre aux financeurs. Dans une étude de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques parue en 2013, 61,5 % des organismes interrogés ont rapporté cette croissance.

Cette logique de reddition de comptes est souvent liée à la mise en place d'indicateurs quantitatifs ou comptables pour évaluer les activités. On voit également apparaitre différentes méthodes d'approbation qui seraient plus légitimes «scientifiquement», comme les données probantes. Si le recours à la science ne constitue évidemment pas l'objet du mal, c'est son utilisation comme forme de vérité absolue qui dérange. C'est également une posture qui minerait le potentiel expérimental de l'action communautaire, qui a historiquement été une de ses plus grandes forces.

Tous ne semblent pas si satisfaits de cette incursion du secteur philanthropique dans les milieux communautaires. Certains groupes questionnent plutôt la légitimité de cette présence et font valoir la nécessité de leur autonomie politique pour se mettre en action.

Puisque le financement des fondations est souvent régulé à court terme, sur des projets spécifiques (et non à la mission), les groupes se retrouvent dans une plus grande fragilité par rapport aux demandes et aux exigences des bailleurs de fonds.

Cette vulnérabilité mettrait en péril l'autonomie de l'action communautaire et la possibilité pour les membres de décider de manière collective, comment elles et ils ont envie de prendre en charge les enjeux qui les affectent. Plus crûment, on nous dira dans le détour d'un corridor : «Que connait le milieu des affaires des enjeux vécus sur le plancher de l'action communautaire ?»

Plusieurs groupes trouveraient moins leur compte dans cette augmentation du financement par les acteurs philanthropiques. Les groupes en défense collective des droits, par exemple, auraient de la difficulté à faire le poids dans la dynamique de compétition qui s'installe dans la recherche de financement.

Il est évident que certains enjeux touchent davantage les donateurs que d'autres, soit pour des raisons publicitaires ou autres. Comment alors prendre en compte les besoins réels dans ce contexte ou «l'acceptabilité sociale» prendrait le dessus ? Comment arriverons-nous à s'occuper des besoins sociaux «moins rentables» économiquement ? Est-ce que cela signifie que certains besoins, et donc certaines vies, valent plus que d'autres ?

Il ne fait pas de doute que ces quelques enjeux doivent faire partie du débat lorsqu'il est question de la place occupée par le secteur philanthropique au Québec. Or, il semble que le vieil adage «il ne faut pas mordre la main qui nous nourrit» soit particulièrement d'actualité dans le contexte de compressions et d'austérité tous azimuts. L'arrivée de la philanthropie d'affaires dans le milieu communautaire comme ailleurs pose toutefois une question fondamentale qui serait souvent oubliée : le marché peut-il à lui seul régler les problèmes qu'il a créés ?

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Mai 2017

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