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Loi C-36 sur la prostitution: la moralité de l'histoire

C-36 fait en sorte que «le plus vieux métier du monde» garde des conditions de travail datant de l'époque qu'on lui reconnait, c'est-à-dire des conditions archaïques.
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La prostitution est un sujet qui vient nous chercher, la sexualité étant un sujet intime entouré de valeurs, de ressentis, d'expériences et, encore aujourd'hui, de tabous. La sexualité est un endroit où s'exprime tout ce dont l'humain est capable : parfois un lieu où on s'ouvre dans toute sa vulnérabilité pour se connecter avec l'autre, parfois un endroit où on a du plaisir sans attente et parfois aussi un endroit où les désirs des uns n'entendent pas le refus des autres. La sexualité peut être un endroit où les relations de pouvoir malsaines, non désirées et subies se rejouent. Elle est parfois un lieu de violence et d'exploitation. La sexualité a plusieurs visages et ses possibilités sont infinies, comme l'humain, comme l'infinité des sentiments qui nous lient.

Fondamentalement, il est difficile pour beaucoup de gens d'accepter que le corps des personnes, et particulièrement des femmes, puisse être vu comme une marchandise à consommer, en faisant abstraction de la personne qui l'incarne. La prostitution, c'est souvent un dernier recours et une absence de choix, voire un passage contraint et violent. On voit les images de jeunes filles dont on abuse ailleurs, mais aussi ici et des clients et le système qui profitent de la vulnérabilité des unes pour consommer un corps comme un droit, ou pour tirer en tirer profit. Tout cela existe. Tout cela est intolérable.

Lorsque j'ai travaillé auprès de femmes en itinérance, j'en ai vu tellement se faire utiliser et détruire à petit feu, se laissant passer sur le corps par des hommes. Des hommes qui se voulaient du bien, souvent la conscience plus légère de payer, et la culpabilité restante transformée en mépris pour celles qu'ils utilisaient, allant jusqu'à la violence pour certains. « Juste une pute! » J'ai aussi vu le système refuser à ces femmes les soins dont elles avaient besoin, le corps policier sur elles, souvent en contraventions abusives, parfois de façon plus proximale...

Pourtant, malgré ma reconnaissance et mon refus de toute cette violence, je suis fondamentalement en soutien des luttes pro travail du sexe, c'est-à-dire que je reconnais l'importance d'envisager la prostitution comme un travail. Ainsi, les personnes du milieu peuvent se réunir et réclamer ensemble des dispositions qui rendent le travail qu'elles font, par choix ou par absence de choix, plus humain, digne et sécuritaire. Que l'on considère que ce travail est précaire et dangereux ou qu'il peut être un choix, les personnes qui y sont présentement ont droit à des conditions de travail décentes, même si ça n'est pas un travail comme un autre.

Je refuse aussi qu'on pense à la place des femmes et qu'on leur impose un cadre moral leur dictant ce qu'elles devraient faire de leur corps. Ce qui fait mal dans la prostitution, ce n'est pas le fait d'acheter, d'échanger ou de vendre des services sexuels. C'est le fait que certaines personnes se retrouvent contraintes dans ce commerce, sans y consentir ou sans avoir le pouvoir nécessaire pour poser leurs limites. Certaines personnes choisissent d'être payées pour avoir des relations sexuelles, et ça ne regarde personne d'autre qu'elles. En fait, ce qui nous regarde, c'est de ne pas créer un cadre qui les met légalement dans une situation de vulnérabilité pour un choix qui leur appartient.

S'il faut opprimer des gens pour en libérer d'autres, c'est que nos solutions n'ont pas la nuance et la sensibilité des mouvements qui rendent la société réellement meilleure et plus libre. C'est qu'on n'a pas ciblé le problème de fond. On ne combat pas l'oppression par l'oppression tout comme on ne peut imposer la liberté. La prostitution a de multiples visages : elle est souvent subie, parfois choisie, et c'est le consentement et le choix qui différencie les deux réalités, profondément différentes, même si la loi les encadre toutes.

Avec C-36, les conservateurs imposent à toutes et tous leur cadre moral passéiste, dans lequel la protection des collectivités passe jusque dans le titre de la loi avant la protection des prostituées. Robert Guogen, député conservateur, parlait ouvertement de protéger les enfants qui pourraient être entrainés dans la prostitution par l'exposition à cette pratique dans des lieux publics. La loi prévoit expressément que les personnes qui pratiquent la prostitution devront rester loin des endroits qui pourraient être fréquentés par des enfants. Les enfants ont le dos large quand il s'agit de protéger les yeux du bon public.

Pour la nouvelle année, le projet de loi C-36 viendra donc remplacer les anciennes dispositions du Code criminel, invalidées par la Cour suprême parce qu'elles mettaient en danger la sécurité et la vie des prostituées, par un autre cadre légal qui met en danger les personnes qui se prostituent. Les conservateurs ont travaillé fort pour que la prostitution ne soit pas simplement décriminalisée. Par chance, on protègera au moins les enfants puisqu'il est bien connu qu'on se lance dans la prostitution après avoir vu que ça existait... On se croirait avec les mêmes personnes qui pensent que de ne pas parler de contraception diminuera les grossesses non planifiées ou que l'hiver est la preuve que les changements climatiques n'existent pas. Oh, wait...

La criminalisation du client rend l'acte de prostitution illégal. Les prostituées devront donc continuer de se cacher. La criminalisation de la prostitution fait porter le poids de cette illégalité à la personne qui a le moins de pouvoir dans la relation, alors qu'elle considère toutes les prostituées comme des victimes. C'est un étrange paradoxe, ou une acceptation du fait que les personnes qui ne choisissent pas les mesures de sorties de la prostitution qui leur seront proposées seront victimisées par un cadre légal qui prend pour prémisse créative que la prostitution soit abolie.

La prostitution ne cessera pas d'exister avec C-36, même si on se bouche les yeux jusqu'à y voir des papillons. Le cadre légal continuera d'être oppressif pour les travailleuses et travailleurs du milieu. Ces personnes seront simplement plus invisibles et marginalisées. La loi annonce quelques mesures de soutien pour celles qui voudraient en sortir pendant que l'on continue de prôner des mesures qui fragilisent la société et qui poussent les gens à y entrer. En fait, tout semble laisser croire que c'est la société qu'on cherche à protéger de la vue du travail du sexe plus que les personnes qui se prostituent, et ce, en choisissant d'ignorer les personnes qui choisissent la prostitution et de ne pas protéger vraiment celles qui la subissent.

Il y a des gens pour parler de la prostitution comme d'un droit pour l'acheteur, qui permettrait aux hommes de satisfaire des pulsions incontrôlables ou comme un service permettant aux exclus de vivre une expérience qu'on juge comme incontournables. Cette position me semble si méprisante pour les hommes, qu'on assimile a des personnes sans empathie et gouvernées par leurs pulsions sexuelles. Je ne reconnais pas ce droit de baiser et ne le reconnaitrai jamais, tout comme je reconnais aux hommes la capacité de se comporter en êtres humains capables d'empathie et de contrôle. Le problème avec la criminalisation du client, c'est qu'elle condamne tout, sans nuances.

Ainsi, C-36 fait en sorte que « le plus vieux métier du monde » garde des conditions de travail datant de l'époque qu'on lui reconnait, c'est-à-dire des conditions archaïques. Pourvu que les yeux des bonnes personnes avec de bonnes valeurs soient épargnés.

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