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Alice au pays du viol

Ces jours-ci, je pense à Alice et à tout le courage dont elle devra faire preuve pour voir son nom étalé partout, juste à côté des doutes, alors qu'elle expose au monde les blessures qu'elle a prises à jamais dans son corps.
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Ces jours-ci, je pense à Alice et à tout le courage dont elle devra faire preuve pour voir son nom étalé partout, juste à côté des doutes, alors qu'elle expose au monde les blessures qu'elle a prises à jamais dans son corps.

Hier encore, j'entendais en ondes un policier parler de son courage, tout en mettant en doute du même souffle la véracité de son histoire, en marchant sur des œufs. Dans notre société, si on a un peu compris qu'il faut faire attention aux victimes, on n'admet toujours pas que ça implique qu'il y ait toujours un agresseur en filigrane. La présomption d'innocence qu'on offre aux agresseurs va avec la présomption de mensonge qu'on offre aux victimes 100% du temps, à un point ou l'autre de leur parcours, alors que les fausses allégations sont estimées à 2%. Le fardeau de la preuve, on le donne à celles qui viennent de se faire piétiner le corps et l'âme, et elles le portent souvent seules.

«On vous croit», donc, mais... on a encore des doutes. De telles attitudes de la part des témoins sont au cœur de l'ampleur du courage qu'il faut trouver pour dénoncer un viol et subir la violence d'être déshumanisée une deuxième fois. Être violée, c'est être traitée comme si on n'existait plus. Dénoncer son viol, c'est encore souvent être contrainte à se faire traiter sans la dignité qu'il revient à un être humain.

Il n'y a aucune façon vraiment socialement acceptable de dire: j'ai été violée.

Et on s'étonne encore que des femmes ne dénoncent pas, ou on leur demande de dénoncer autrement, mieux, avec des noms et des détails, ou de garder les détails avec pudeur. Il n'y a aucune façon vraiment socialement acceptable de dire: j'ai été violée.

Derrière le dégoût et avec les détails qu'on réclame pour doser l'indignation ou la rendre plus graphique, plusieurs se demandent si elle ne l'avait pas cherché un peu, Alice. Elle aura assurément son procès avant celui de Sklavounos. Et s'il y a procès, ce sera encore un peu son procès à elle : elle est tout de même montée avec lui jusqu'à sa chambre. Elle l'a embrassé. Elle est même retournée le voir. Oups. Ce n'est pas le viol parfait dans l'imaginaire collectif: dans le fond d'une ruelle, violent, avec un agresseur inconnu ou une personne qu'on peut identifier comme un être répugnant, sans nuances.

Pourtant, Alice, elle ne voulait pas et, ça, c'est un viol.

Dans les faits, des «violeurs sympathiques», des Sklavounos ou des Ghomeshi, des pères respectables et aimants, des gens connus ou des personnes pour lesquelles les victimes ont eu des sentiments, il y en a beaucoup. Le viol, c'est ignorer les limites exprimées par l'autre personne et ne plus l'entendre. Ça se perpétue souvent dans le cadre d'une relation: en plus de violer le corps, on viole la confiance.

À partir de là, c'est une zone grise pour certaines personnes, un tabou, un malaise culturel qu'on n'ose pas creuser par crainte de trouver des agresseurs près de nous, et peut-être même en nous. C'est aussi ça, la culture du viol: le fait qu'on arrive à concevoir que si une fille dit non au-delà d'une ligne floue qu'elle n'a pas tracée elle-même, elle est peut-être une victime, mais que le gars, lui, il n'est pas un violeur: c'est un gars. Il aurait des pulsions qui peuvent outrepasser son libre arbitre. On a accepté l'agression sexuelle comme un fait social inévitable, biologique. Heureusement, plusieurs hommes sont assez humains pour se revendiquer au-delà de ce statut de mâle primal, ce qui ne change rien au fait que toutes les femmes ont raison, statistiquement, d'avoir peur.

La seule sexualité qu'on devrait penser comme acceptable, c'est quand l'enthousiasme est pleinement là, que tout le monde a du plaisir et qu'il y a de l'espace pour renégocier ses limites en tout temps...

S'il y a procès, on entendra surement que Sklavounos, comme d'autres, il aime ça un peu rough ou qu'il ne savait pas qu'Alice, elle ne voulait pas. Je pense que plusieurs agresseurs sont souvent sincères quand ils affirment n'avoir agressé personne. Ils pensent juste avoir poussé un peu sur les limites. Ils ont cherché à extraire le «oui» du «non» clairement exprimé, oublié que la femme près d'eux n'est pas un objet qui leur doit du plaisir. Ça se fait souvent en douceur, dans une violence symbolique qui marque. Et parfois, sur l'agression sexuelle, il y a en prime de la violence. Alice, elle a tout eu.

Pourtant, la seule sexualité qu'on devrait penser comme acceptable, c'est quand l'enthousiasme est pleinement là, que tout le monde a du plaisir et qu'il y a de l'espace pour renégocier ses limites en tout temps, peu importe la forme que ça prend. Le reste, c'est une agression sexuelle, un viol. Et lorsque quelqu'un décide de prendre pouvoir sur les désirs d'une autre personne, il y a inévitablement une victime et un agresseur.

S'il y a un endroit de plaisir et de proximité où on devrait pouvoir compter sur le fait de pouvoir être soi-même, en confiance et vulnérable, c'est bien dans la sexualité humaine. Ce n'est pas une attitude qui se négocie dans une cour criminelle, mais qui se bâtit en société, ensemble. Et le premier pas, c'est de dire sans détour ni bémols qu'une relation non consentie, c'est toujours un viol. Toujours.

Et que, Alice... on te croit.

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