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Centre jeunesse: là où la réussite se cache

Je vous jure que leur plus grande réussite, c’est de croire encore que le bonheur est possible et qu’ils en méritent une partie.
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Quand on travaille avec une clientèle écorchée vive, quand on travaille avec des jeunes qui ont été traités comme de la bouette et qui sont certains d’être de la bouette, «réussir» est un bien grand mot.
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Quand on travaille avec une clientèle écorchée vive, quand on travaille avec des jeunes qui ont été traités comme de la bouette et qui sont certains d’être de la bouette, «réussir» est un bien grand mot.

On me demande souvent si, en tant qu'éducatrice en centre jeunesse, je vois beaucoup de mes jeunes réussir. Je réponds toujours que la réussite est une notion bien relative. Si je juge la réussite de l'autre en fonction de mes propres standards de réussite, il y a des chances que je ne trouve pas beaucoup de progrès, et je confirme que ça ne ferait pas 24 ans que j'aurais le même employeur.

Quand on travaille avec une clientèle démunie pour la plupart, écorchée vive, détruite, quand on travaille avec des jeunes qui ont été traités comme de la bouette et qui sont certains d'être de la bouette, «réussir» est un bien grand mot.

Si pour moi, viser un gros salaire c'est primordial, pour eux, se sortir de l'illégalité pour vivre d'aide sociale sans voler ni se faire exploiter sexuellement, c'est un exploit.

Si pour moi, finir son secondaire est important, pour eux, finir un module de français est immense. Si pour moi, viser un gros salaire c'est primordial, pour eux, se sortir de l'illégalité pour vivre d'aide sociale sans voler ni se faire exploiter sexuellement, c'est un exploit.

Un de 17 ans, classé en deuxième au secondaire, qui s'inscrit à l'école aux adultes, une de 15 ans qui s'éloigne de parents toxiques, une de 14 ans qui cesse de détruire sa belle face à coup de lame de rasoir, et celle qui nous appelle à sa chambre avant de nouer un j-string autour de son coup, je vous jure que c'est de la réussite. Si pour plusieurs la réussite est d'avoir une maison, deux enfants, un travail de 40h semaine dans une grand compagnie, si c'est une collation des grades, une mention, une promotion, eh bien non, désolée, mon taux de réussite est nul et j'ai juste à changer de vocation.

Une réussite en centre jeunesse, c'est faire comprendre à une jeune qu'elle vaut plus que son profil sur un site d'escortes, c'est amener un jeune à aller boxer au lieu de tout détruire.

Une réussite en centre jeunesse, c'est faire comprendre à une jeune qu'elle vaut plus que son profil sur un site d'escortes, c'est amener un jeune à aller boxer au lieu de tout détruire, c'est enseigner qu'on a le droit de dire non, c'est convaincre le pimp qu'une fille, ça ne sert pas juste à se faire utiliser. Mimi réussi quand elle nomme sa peine avec des poèmes au lieu de chercher à s'ouvrir les veines, Dom réussi quand il sort d'un cours sans menacer le prof et qu'il vient nous dire comment il se sent, Nana réussit quand elle nous regarde dans les yeux en nous parlant au lieu de chercher à se glisser dans les craques du plancher.

De grandes réussites, j'en vis tous les jours. Ça passe par un point au basketball, quand un gars n'osait même pas venir au gym il y a deux mois, ça passe par un «Bonjour» le matin, quand la petite voulait nous tuer trois jours avant, ça passe par un contact physique réconfortant pour celle qui sort d'un réseau d'exploitation sexuelle et qui vient de se faire violer par 300 clients. Quand elle me laisse arranger sa tresse, qu'elle me laisse passer mes bras autour de ses épaules, je considère qu'elle a réussi quelque chose.

Peut-être que vous voulez des diplômes, des désintox, des belles jobs avec un fonds de pension et des assurances, je n'en ai pas beaucoup. Il y a Mimi qui travaille dans un petit café, il y a la petite de la chambre 8 qui est rendue éducatrice en garderie, il y a le petit frère de l'autre qui finit son DEP en mécanique de quelque chose. Il parait aussi que celle qu'on a reçue à sept ans et qui est partie à sa majorité est dans une ressource pour les femmes victimes de conjoint violent, j'ai entendu dire qu'elle allait enfin le dénoncer. Je pense que ça, c'est réussir quelque chose.

Est-ce que mes jeunes réussissent? Ils sortent de l'abandon, du rejet affectif, ils sont victimes de négligence, de sévices, sont familiers avec la violence, carburent aux fausses promesses, sont tombés dans la dépendance, la criminalité, ont percé leur première dent dans l'injustice, se sont fait bercer par la honte ou la haine.

Leur plus belle réussite, c'est d'avoir encore la certitude que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.

Je vous jure que leur plus grande réussite, c'est de croire encore que le bonheur est possible et qu'ils en méritent une partie. Leur plus belle réussite, c'est d'avoir encore la certitude que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.

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