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Un enfant qui quitte la maison, c’est normal. Le problème, c’est celui qui ne revient pas.
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On a tous cet enfant de 10 ans qui quitte la maison pour se rendre à pied chez un ami, on a tous ce petit Maxime, Mathieu, Loïc, Billy, Jérémi. Un enfant qui quitte la maison, c'est normal. Le problème, c'est celui qui ne revient pas.

Quand la sirène a retenti dans ma radio mardi, j'ai eu froid dans le dos. J'ai ressenti ce déchirement qui m'avait déjà traversé au moment ou dans une foule immense ma fille s'était égarée. J'ai vécu l'horreur pendant 17 minutes. L'horreur, je vous dis, c'est comme si on m'avait arraché le cœur.

S'il y a un morceau qu'on ne peut pas lâcher, s'il y a un moment dans la vie où on est incapable de maintenir normalement le cours de sa vie, c'est bien quand notre enfant part du point A et n'atteint jamais le point B. Quand l'explication est quelque part entre les deux, mais que personne n'a rien vu de ce qui s'est passé. La solution est là, dans un angle bizarre de caméra, elle est là dans le char de quelqu'un qui l'a vu passer sur la rue, quelqu'un qui a remarqué les p'tits souliers jaunes, elle est là cette raison du non-retour, sur une avenue achalandée de passant, de commerce, de gens comme vous et moi qui ont croisé la même route au même moment.

On questionne les gens, les commerçants, on fait appel au public, on ratisse les bois, les rives, le font d'une rivière, on tente de retrouver les traces malgré la tempête qui s'est abattue et dont personne n'avait réellement besoin. On repense à Jolene, à Cédrika, à la petite Julie et aussi à Alexandre. Après ça, on panique en pensant à notre Jessica, notre Émilie, notre Samuel, et on se demande si le bonhomme 7 heures existe réellement.

Ce n'est pas inexplicable cette histoire-là. Il y a la thèse de la fugue, de l'enlèvement, de l'accident, il y a une réponse quelque part derrière un camion, un buisson, quelque chose ou quelqu'un a attiré son attention, les souliers jaunes ont déviés, ils se sont enfargés, ils ont voulu aider se sont trop aventuré. Ce n'est pas un film de Twilight Zone, ce n'est pas du X files, il n'y a pas Batman qui va ramener l'enfant blotti sous sa cape de superhéro. C'est Montréal ici, pas Gotham city. Il y a quelque chose qui nous manque et c'est caché quelque part dans l'après-midi de lundi dernier.

Il y a quelque chose qui nous manque et c'est caché quelque part dans l'après-midi de lundi dernier.

Il n'y a rien de plus banal que de marcher sur une rue à 10 ans. On va s'acheter de la gomme au dépanneur, on revient de l'école avec les amis, on va patiner au parc, on va chez un copain jouer aux jeux vidéos. Maman donne la consigne importante de jamais s'arrêter, de pas parler aux inconnus, de ne pas s'approcher des chiens, de ne pas jouer sur les bords de la rivière, elle répète encore et encore chaque consigne, lui dit d'appeler quand il sera arrivé pis avant de repartir pour compter les minutes que ça prend pour revenir.

Une maman, ça connait le temps que ça prend pour revenir de partout, ça regarde l'heure, ça attend le texto qui soulage, celui qui rassure. On fait quoi quand le texto ne rentre pas, quand la porte d'entrée ne s'ouvre pas ? On se dit que son cell est déchargé, le réseau non disponible, que le p'tit a encore oublié, trop pressé d'aller jouer. On se répète qu'il va arriver, on essaye de se calmer. Ça monte vite l'angoisse dans ce temps-là. On regarde dehors au 5 minutes en espérant retracer les petits souliers qui se démarque comme un petit soleil dans l'avant tempête. On se parle pour essayer d'effacer les images de gros titres sur un journal, on met de la musique pour plus penser à Cédrika, Alexandre, Jolène, Julie. Mais la musique on ne l'entend pas et on se rend à l'évidence que ses souliers ne sont toujours pas dans l'entrée.

On lui a dit tellement souvent de les ramasser, de ne pas marcher avec dans la maison quand ils étaient mouillés, on était tellement tanné de les remettre en place, à leur place, et là, on voudrait tant les voir trainer pour avoir la chance de les ramasser. L'entrée est vide, le téléphone ne sonne pas. On se souvient des reportages qui disent que les premières minutes sont primordiales, mais appeler et signaler les 3 chiffres c'est reconnaitre une partie de l'inévitable.

On s'imagine un peu qu'une lettre livrée par un hibou a invité notre gars à Poudlard pour sa première année d'apprentis magiciens, et qu'on n'en savait rien. Ça fait moins mal que de penser aux plongeurs qui vont affronter le courant d'une rivière ou la gendarmerie, les hélicos, les enquêteurs, et ce moment déchirant où on devra choisir une photo à faire circuler sur tous les réseaux sociaux.

On ne peut pas disparaitre de même sans laisser aucune trace en laissant seulement le son d'une sirène à la radio et un gros titre sur un journal, on ne peut pas juste s'effacer sans laisser rien d'autre que l'image de ses souliers jaunes sur une caméra de surveillance de station-service en plein Montréal.

Ça prend des mots d'encouragement, ça prend de l'espoir, des prières, un lampion, le chapelet au complet pour avoir le courage de survivre à chaque minute qui nous est livrée directement de l'enfer.

Il n'y a rien que je voudrais entendre mis à part le son des souliers mouillés sur mon plancher fraichement lavé.

Je ne peux même pas m'arrêter pour penser une seule seconde à ce que je voudrais qu'on me dise pour m'encourager, même pas les mots d'une amie, d'un curé, d'un flic, d'une voyante. Il n'y a rien que je voudrais entendre mis à part le son des souliers mouillés sur mon plancher fraichement lavé.

Avril 2018

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