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Quand le destin part en échappée

15 enfants dans le même bus en même temps, 15 familles, 15 frères et sœurs, 15 vies suspendues à un fil, invincible comme si leur équipement de hockey pouvait les protéger.
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Le destin est reparti avec la vie d'un coach, d'un commentateur, et trop d'ados trop jeunes pour mourir.
La Presse canadienne
Le destin est reparti avec la vie d'un coach, d'un commentateur, et trop d'ados trop jeunes pour mourir.

J'ai souvent pris la route dans des conditions minables pour le hockey. Y'a des fois où je me demandais pourquoi des matchs n'étaient pas simplement annulé. Du p'tit novice, du p'tit atome, du p'tit peewee, des peut-être futurs p'tits Crosby. On partait des fois sachant que le verglas serait là à notre sortie, sachant que la tempête s'amplifierait et que les routes seraient une menace. On partait pour une partie de tournoi ou de saison régulière sans trop s'en faire comme si une poche de hockey pouvait nous protéger. Parfois, on se rassurait en se disant qu'heureusement, le match était local, mais les routes qui menaient à l'aréna n'étaient pas larges, sombres et relativement rurales.

Y'a des fois où je ne serais même pas allé plus loin que le IGA au coin de chez moi, mais le hockey c'est le hockey et l'engagement c'est l'engagement, et on transportait le goaler, tsé.

On partait avec les deux enfants bien attachés, le char en bonne condition, avec le stock dans la valise et les bâtons de travers entre les bancs. On était 34 familles dans la même situation. On se disait « Faut ben y aller, tout le monde y va » Je ne sais pas combien de fois j'ai appréhendé des accidents. J'me disais que ça n'avait pas de bon sens de mettre nos vies en danger pour peut-être deux points de plus au classement.

J'me souviens aussi d'une saison où le pire est arrivé. Ça fait quelques années, mais on s'en rappelle, y'a une croix encore sur le bord d'un chemin qui mène à St-Canut. Deux enfants gravement blessés, un papa au paradis; le stock de hockey n'a pas suffi à les protéger et la vie est partie en échappé.

Quand à la sortie de l'aréna les enfants se retrouvent dans le char d'un ami ou que t'en prends trois de plus dans le tien pour écouter le match des Canadiens en jouant au mini hockey dans le sous-sol, quand la petite sœur n'embarque pas parce qu'elle s'en va tripper Just Dance chez la p'tite sœur d'un autre, tu souhaites juste que tout le monde arrive à bon port.

On est monté en Abitibi pour une coupe Dodge au moment où la tempête pouvait frapper n'importe quand même si c'était déjà le printemps, on a rempli des autobus pour monter au Saguenay en plein novembre quand le parc se revire de bord à tout moment. J'me disais « s'il fallait ».

15 enfants dans le même bus en même temps, 15 familles, 15 frères et sœurs, 15 vies suspendues à un fil, invincible comme si leur équipement de hockey pouvait les protéger

J'me disais « sil fallait » en me confirmant finalement qu'il valait mieux ne pas y penser. Ça n'arrive pas que j'me disais pour me consoler. On voit ça dans les films, mais jamais en vrai, le destin ne peut pas être aussi injuste, voyons donc, il ne peut pas envisager d'en prendre 15 en même temps.

Le destin a frappé. Parti en échappée avec l'intention de la crisser top net pis aucun gaoler aurait pu l'arrêter. Le destin est reparti avec la vie d'un coach, d'un commentateur, et trop d'ados trop jeunes pour mourir. Je ne les ai pas vus, en fait je n'ai rien vu, je suis incapable de lire les articles tellement j'ai le cœur qui veut exploser. Juste de l'écrire me donne la nausée.

Je n'ai pas vu les visages, mais je sais qu'ils sont beaux, beaux comme des gars de 18 à 21 ans qui ont la vie devant eux, beaux comme un joueur de centre, comme un ailier, comme un defense player, beau comme un goaler, beau comme le mien. Ils jouaient à Fortnite, écoutaient leur playlist, partageaient des vidéos, avaient pris soin de ne pas oublier la combine chanceuse des séries, avaient un surnom et le reste, c'est secret parce que ce qui se passe dans le vestiaire, ça reste dans le vestiaire.

Je ne les ai pas regardés, je n'y arrive pas, mais je sais qu'ils avaient en profil une photo avec un beau chandail, un numéro et un logo, le logo de Broncos comme des armoiries qui représente toute la dynastie d'une famille parce qu'une équipe de hockey, c'est 15 frères unis dans la défaite, dans la victoire, unis pour le meilleur et pour le pire,

C'est 15 frères qui visent le même but, jouer leur vie pour gagner la partie.

Le destin a pris en même temps une famille de 15 enfants et une partie de la vie de ceux qui restent. Je ne peux pas croire que ça, c'était écrit quelque part, quelqu'un l'aurait vu et on aurait changé le cours de l'histoire, on aurait pu changer l'issu de la partie.

Je ne veux même pas imaginer la suite. Je l'ai vu de loin ici, l'année d'un tragique accident. Les funérailles d'un coach où toute l'équipe portait le chandail de l'équipe, j'ai entendu les minutes de silence tenues dans tous les arénas où se déroulaient les séries, j'ai vu les lettres RIP sur les casques et les messages de réconfort sur les bâtons de hockeys, j'ai vu l'équipe remettre une rondelle à la mère de leur coéquipier toujours hospitalisé sans papa pour le consoler et l'encourager. Un seul décès dans une famille, c'est déjà insurmontable, je ne peux juste pas imaginer ça, fois 15.

Ça fesse même si on ne les connait pas personnellement. Ça fesse parce qu'on se dit que ça aurait pu nous arriver aussi, ça fesse parce que c'est juste trop. Le destin a frappé dans un filet désert, il a fait face a aucune résistance, aucune hostilité, y'a chargé un but complètement ouvert et décoché un slap shot d'la mort, égoïstement, injustement, sournoisement sans que personne puisse le voir arriver, sans cœur et sans aucun remord.

Quelque part dans un aréna, le cri de ralliement résonnera plus dans les gradins, le net n'a plus de gardien, y'a plus de capitaine pour la mise au jeu, le coach ne rappellera pas ses gars, et la voix du commentateur ne décrira aucun but. Partout, les drapeaux sont en berne, la partie est finie et tout l'monde a perdu.

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