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Broncos de Humboldt, je me souviens

Quand j'ai vu ce matin pour la première fois le visage de Layne Matechuk, numéro 28 des Broncos, j'ai braillé ma vie pis j'ai murmuré «patine mon gars, vas-y, fonce, prends ta rondelle pis drive le net, va compter des buts».
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Quand l'accident des Broncos de Humboldt est survenu, j'ai été atterrée pendant des jours. Je voyais chacune de nos rides en autobus, quand les gars partaient pour un tournoi au Saguenay, une Coupe Dodge à Rimouski ou pour une game à Mont-Laurier.
Anick Claveau
Quand l'accident des Broncos de Humboldt est survenu, j'ai été atterrée pendant des jours. Je voyais chacune de nos rides en autobus, quand les gars partaient pour un tournoi au Saguenay, une Coupe Dodge à Rimouski ou pour une game à Mont-Laurier.

Ce matin, j'ai vu quelque chose qui m'a beaucoup émue.

Quand l'accident des Broncos de Humboldt est survenu, j'ai été atterrée pendant des jours. Je voyais chacune de nos rides en autobus, quand les gars partaient pour un tournoi au Saguenay, une Coupe Dodge à Rimouski ou pour une game à Mont-Laurier. Je les revoyais dropper leur poche à côté du bus avec leur beau tracksuit identifié, je voyais les poignées de mains entre les coéquipiers, les coups d'épaules, je les entendais confirmer qu'ils avaient pris leurs combines chanceuses.

Le numéro 22 était responsable de la musique, le 34 avait son jeu de cartes, le 18 était en retard, les deux frères voulaient s'assoir à l'arrière pis on savait déjà que le 46 dormirait tout le long et qu'il se réveillerait avec des marques de crayon dans la face. Dans l'autobus, les gars avaient leur toune, leur place selon qu'ils étaient vétérans ou recrues; dans l'autobus, les gars étaient à leur place.

Tout ça, ce n'est pas qu'une «ride» en bus, c'est un rituel d'équipe, comme un souper de famille où chacun tient son rôle, c'est une identité, un système où chaque élément fait partie d'un tout, où chaque élément prend sa force dans la force de l'autre.

J'me souviens des matins où il faisait froid, la neige craquait sous nos pas à l'heure où le matin n'était pas encore prêt à se lever. J'étais là, dans le stationnement de l'aréna, un peu intimidée par le grondement du moteur, l'autobus me regardait avec ses petits plafonniers qui trahissaient la noirceur, j'étais là avec mon bas de pyjama sous mes jeans de la veille, mon gros café vanille pis je tenais fermement les deux bâtons de goalers.

Le 27 me saluait en me souhaitant bon matin, le 42, le 22, tout le monde passait. On leur souhaitait bonne route pis bonne chance pour le premier match, on leur disait qu'on se retrouverait en soirée. Une poignée de main, un bec sur le front, on leur disait de prendre ça relax, un sourire au chauffeur, on lui souhaitait bonne route en lui rappelant d'être prudent.

Quand la tragédie de Humbolt est arrivée, j'ai revu tout ça dans ma tête, j'ai pleuré. Je ne comprenais pas qu'une faucheuse pouvait passer dans un rêve aussi beau, aussi sain. Je n'ai jamais été capable de regarder le visage des gars, j'avais peur de transposer mon 22, mon 27, mon 43, mon gardien. Je savais que dans cet autobus les gars jouaient aux cartes, écoutaient de la musique pis que quelque part, y'en a un qui dormait la tête déposer sur un oreiller, contre la vitre.

M*rde

Le mien était au Nouveau-Brunswick au même moment, le même niveau de jeu, loin de chez lui. Il traversait les maritimes chaque week-end, Cap-Breton, Nouvelle-Écosse, ile du Prince-Édouard, y'avait le 62 qui mettait de la musique, le 31 qui jouait aux cartes avec le 17 pis le 25, pis au fond y'avait le 19 qui ronflait tout le long.

Ouin, j'me souviens des Broncos, des minutes de silence, des cérémonies...

Aujourd'hui, en me réveillant, j'ai vu la vidéo d'un des survivants et de son premier retour sur la patinoire. Il porte son chandail, c'est le numéro 28, c'était peut-être lui qui s'occupait de la playlist, je ne sais pas. Il patine pour la première fois depuis l'accident qui a laissé un grand vide dans son souper de famille, dans son rituel.

Il patine en prenant appui sur un but, comme un ti-cul qui apprend. Y'a quelqu'un qui tient le but juste au cas, pour éviter un accident. Le 28 patine lentement, on sent qu'il réfléchit à chaque mouvement, qu'il pense à son transfert de poids, à sa posture. Ses mouvements sont désarticulés, désynchronisés, il doit penser à pousser son pied, penser à le ramener, penser à pousser l'autre.

Un mouvement pour lui si naturel devient aujourd'hui une séquence à retenir, à mémoriser. Il se souvient sûrement d'avoir appris à patiner avant même d'avoir appris à marcher. Il se souvient comment ça faisait partie de lui, comment c'était spontané, inné, il se souvient sûrement avoir traversé la glace à toute vitesse en échappé, se souvient de chaque mise en échec duquel il s'est relevé. Là, le numéro 28 patine lentement, accroché à ce but qu'il défiait pourtant sans aucune hésitation ou qu'il défendait avec détermination.

On voit le 28 qui lance au but, la rondelle arrive lentement vers lui et d'un mouvement réfléchi, il soulève le bâton, tient son équilibre, regarde vers la cible, et parvient à tirer au but, c'est comme une scène au ralenti. On sent la douleur, l'hésitation, la peur...

Pourtant...

Son chandail c'est la fierté d'être un joueur de hockey, son numéro c'est son identité, son logo c'est sa famille. Son poids déposé sur ses lames fait grincer la glace comme avant, on peut sans doute sentir l'odeur d'humidité qui se dégage dans les estrades, quelque part y'a quelqu'un qui boit un café, comme avant, dans un coin, le gars de la Zamboni regarde la scène, attendri. C'est un peu comme avant.

Le 28 joue au hockey, il a «tapé» son bâton, mis son casque, enfilé ses gants, le 28 joue au hockey, il monte au filet, shoot, marque des buts, quand il perd un peu l'équilibre, il se redresse un peu désorienté, il parvient à rester debout et il rit.

Le numéro 28 des Broncos de Humboldt est de retour sur la glace, il patine, tir au but et il rit.

Quand j'ai regardé la vidéo, j'ai eu le cœur gros, j'me suis dit, ça, c'est le hockey qui se réveille après la tragédie, c'est le hockey qui sort du coma un peu engourdi, c'est la passion qui reprend sa place, c'est le naturel qui reprend son dû, qui reprend ce que la faucheuse ne lui a pas prit.

Quand j'ai vu ce matin pour la première fois le visage de Layne Matechuk, numéro 28 des Broncos de Humboldt, j'ai braillé ma vie pis j'ai murmuré «patine mon gars, vas-y, fonce, prends ta rondelle pis drive le net, va compter des buts».

J'espère un peu qu'il m'a entendu.

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