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Comment la technologie a piraté nos cerveaux

Dans les cafés, aux arrêts de bus, ou dans des voitures stationnées, je remarque qu'il est de moins en moins courant de voir des gens parler à leurs voisins, ni même bouger. Il y a des groupes entiers assis immobiles, fixant et tapotant convulsivement leur téléphone.
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Étudiant de premier cycle à Harvard dans les années 60, j'ai été fasciné par mes visites au laboratoire du psychologue B.F. Skinner. En réponse à une lumière ou à un son, les rats dans les cages du labo se mettaient à courir dans tous les sens jusqu'à ce qu'ils poussent par mégarde une barre provoquant la chute d'une boulette de nourriture. Assez rapidement, ils faisaient le rapprochement. La lumière ou le son conduisaient alors les rats à pousser intentionnellement la barre pour récupérer la nourriture, un procédé que Skinner a appelé le "conditionnement opérant".

J'ai regardé ces rats jusqu'au moment où j'ai souhaité ne jamais les avoir vus.

L'une des idées phares de Skinner : pour obtenir que les rats appuient sur la barre de façon persistante, il ne fallait leur donner une récompense que de temps en temps. En d'autres termes, suivre la lumière ou le son, obtenir une boulette chaque fois qu'ils appuyaient sur la barre ou au contraire ne jamais l'obtenir alors qu'ils faisaient la même chose, ne les conduisait pas à appuyer sur la barre de façon compulsive. Le moyen de faire du rat un obsessionnel triste et désespéré du martèlement de la barre, la patte ensanglantée, était de faire rouler les boulettes de nourriture après un nombre aléatoire de pressions : trois, huit, quatre, deux, une, cinq, dix-neuf, six, etc. Avec des récompenses si sporadiques, les rats ne cessaient plus d'appuyer sur la barre. Ainsi, ils oubliaient de faire ce que les rats faisaient depuis des millénaires - chercher la nourriture, un partenaire, construire les nids pour les portées, élever la progéniture. Quelle que soit la part d'autonomie et - j'ai envie de le dire - de dignité qu'un rat possédait, elle disparaissait au profit de cette obsession, en général jusqu'à ce qu'ils s'épuisent.

Faisons un bond de cinquante ans en avant. Chaque jour, lors du chemin que j'emprunte pour me rendre à Tucson, je suis stupéfait de voir comme les plus anciens des comportements humains ont pu changer rapidement. Tout le temps où ils ont été des homo sapiens - soit en gros 200 000 ans -, la vie des gens s'est principalement réduite à deux choses : parler avec d'autres gens et pratiquer des activités physiques. Chacune de ces choses exigeait - et entretenait - un effort physique et une capacité à reporter la récompense, mais les deux conduisaient à des existences que les gens trouvaient en général gratifiantes.

Maintenant, dans les cafés, aux arrêts de bus, ou dans des voitures stationnées, je remarque qu'il est de moins en moins courant de voir des gens parler à leurs voisins, ni même bouger. Il y a des groupes entiers assis immobiles, fixant et tapotant convulsivement leur téléphone.

Cela n'est pas anodin. Répondre à un courriel, à un SMS ou à un nouveau post sur Facebook en réponse à une vibration ou à un son est incroyablement similaire au comportement de ces rongeurs obsessionnels qui m'avaient perturbé il y a si longtemps. Notre compulsion à le faire, tout comme celle des rats de Skinner, est alimentée par ce qui suit :

  • Facilité. Si votre seule façon de pouvoir lire un courriel était de courir d'abord un kilomètre, la notion d'urgence s'évanouirait rapidement. Les êtres humains font sans cesse un effort subconscient : estimer la récompense. Taper sur un clavier est la plus facile des tâches physiques.
  • Récompense irrégulière. La plupart des courriels sont ennuyeux, la plupart des SMS sont sans intérêt, la plupart des notifications sur Facebook sont futiles. Mais assez de ces médias électroniques offrent une récompense suffisante à une fréquence juste assez aléatoire pour que le petit effort de taper sans cesse sur un clavier ait presque l'air de valoir le coup.

Maintenant, ajoutez à ces supports électroniques, d'autres expériences du genre, comme jouer aux jeux ou tout simplement surfer sur le Net. Nous ne faisons pas cela en réponse à un vibreur ou à une sonnerie, mais l'acte compulsif de s'accorder ce plaisir, est pour beaucoup de gens, presque toujours présent, et peut être déclenché par des signaux plus discrets. Par exemple, j'ai remarqué qu'à chaque fois que quelqu'un dans un groupe sort son téléphone et se met à pianoter dessus, presque tout le monde dans le groupe va se mettre à faire la même chose. Il est de plus en plus clair que le "signal" est souvent le simple fait qu'il n'y a rien d'autre autour attirant notre attention immédiate. Le calme et la solitude sont devenus des signaux pour commencer à pianoter.

Du coup, que ce soit en réponse à un signal manifeste ou subtil, la tendance à tapoter sur un écran ou une souris en cherchant de nouvelles expériences stimulantes devient presque irrésistible pour un nombre grandissant de personnes. Le résultat : des heures, des jours, des années et - je le crains - des vies, vont se transformer en une multitude confuse de désirs dysfonctionnels et mal orientés vers des expériences stimulantes qui s'exprimeront en tapant frénétiquement sur cette barre.

Le monde est assailli par bien des problèmes, mais selon moi, ce détournement des centres de récompense de notre cerveau par les supports électroniques est potentiellement l'un des plus destructeurs. Je ne prétends pas que les êtres humains ne soient plus capables de communiquer, ou de mouvoir leur corps, ou de faire un travail utile - à l'évidence ils le peuvent et le font toujours. Je ne soutiens pas non plus du tout que l'ère moderne des médias électroniques et interactifs est complètement négative. Beaucoup de gens, moi-même y compris, utilisent les nouvelles technologies comme une merveilleuse opportunité d'apprendre, de partager et de grandir, et à l'évidence, je me sers d'un de ces supports électroniques pour communiquer avec vous en ce moment même.

Mais nous en sommes aux premiers balbutiements. L'usage généralisé d'Internet a moins de vingt ans, et l'utilisation omniprésente des téléphones intelligents est encore plus récente (l'iPhone d'Apple a moins de six ans).

Que pouvons-nous faire ? Je crois que notre longue expérience avec un autre genre d'attraction irrésistible - en l'occurrence, l'alcool - peut nous donner quelques indications. Certaines personnes :

  • N'aiment pas ça, ne boivent pas, et n'auront jamais de souci.
  • Boivent de temps en temps et peuvent arrêter quand ils le choisissent.
  • Ressentent le besoin et établissent des règles - ne pas boire seul avant 17h - pour éviter de sombrer dans l'alcoolisme.
  • Font le choix rigoureux de ne pas boire du tout sinon ils risqueraient d'avoir une vie soumise à une dépendance destructrice.

Les gens qui appartiennent aux deux catégories du milieu profitent des avantages de l'alcool sans en avoir les inconvénients. Vous savez où vous placez sur l'échelle de l'alcool. Je vous encourage à trouver aussi votre place sur l'échelle allant de "l'indifférent à l'obsédé des supports sociaux" et à adopter une discipline de vie en conséquence.

Personnellement, j'ai appris que le mieux pour moi est d'éteindre mes appareils à partir de 15 h. C'est souvent douloureux, mais après quelques minutes, l'envie se calme et je continue ma journée. Si les gens insistent sur le fait que je devrais être plus longtemps "branché" que ça, je suis assez direct avec eux - je n'abandonnerai pas cette règle. Si votre travail exige une connexion 24h sur 24, 7 jours sur 7, demandez à changer les règles de l'entreprise (comme l'a fait le Huffington Post) et si ça ne marche pas, envisagez de changer de travail. Nous sommes souvent plus libres que nous le croyons.

Maintenant, j'aimerais exploiter le côté positif de l'interactivité digitale et vous demander : "Qu'avez-vous fait pour limiter votre usage des supports électroniques ?"

Andrew Weil, Docteur en médecine, est le fondateur et directeur du Arizona Center for Integrative Medicine et le directeur éditorial de www.DrWeil.com. Suivez le Dr. Weil sur Facebook et/ou Twitter et visitez son blogue de conseils quotidiens pour une bonne santé.

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