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Jeux dangereux entre la junte thaïlandaise et la Chine

La dictature thaïlandaise continue à bafouer les libertés individuelles et à tolérer l'esclavage moderne.
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Depuis plus d'un an, le rapprochement entre les gouvernements chinois et thaïlandais déroute autant qu'il inquiète quant à la stratégie politique de la Thaïlande. Entre décembre 2014 et septembre 2015, les premiers ministres et ministres de la Défense de chaque pays ont multiplié les visites dans leur capitale respective, provoquant l'incompréhension des observateurs extérieurs.

Les échanges bilatéraux entre les deux pays rappellent certes un passé pas si lointain, quand le royaume de Siam était un point de passage incontournable sur la route maritime entre la Chine et l'Inde. Mais aujourd'hui, ils ont surtout de quoi interpeller l'exécutif américain, partenaire historique de la Thaïlande depuis la Guerre froide, dont les rapports avec Beijing sont particulièrement tendus.

Lors d'une visite officielle à Bangkok en novembre 2012, Barack Obama affichait encore clairement son soutien à Yingluck Shinawatra, alors première ministre du royaume. Mais depuis la prise de pouvoir par la junte militaire en mai 2014 ‒ le 12e coup d'État réussi sur 19 tentatives depuis 1932 ‒, les relations entre Washington et Bangkok se sont subitement et logiquement refroidies.

Pour ne rien arranger, plusieurs projets sont à l'étude entre la Chine et la Thaïlande, comme celui d'un train à grande vitesse reliant le Laos au golfe de Thaïlande pour environ 16 milliards de dollars, et la vente de 2 millions de tonnes de riz et de 200 000 tonnes de caoutchouc à la Chine.

Provocation en période de tensions sino-américaines

Plus offensive, l'annonce d'achat de trois sous-marins d'attaque à la Chine pour plus d'un milliard de dollars n'a pas laissé Washington de marbre. Même si le projet semble être tombé à l'eau, il a fait office de véritable provocation en plein confit sino-américain en mer de Chine du Sud, zone très prisée pour ses ressources en poisson et, surtout, en hydrocarbures. Les États-Unis suivent en effet de près les échauffourées sur l'île de Woody, propriété revendiquée par Taïwan et le Vietnam, où la Chine aurait placé des missiles anti-aérien, d'après le ministre de la Défense taïwanais. Autre lieu de confrontation: la construction par la Chine de pistes d'atterrissage sur les îles Spratlys, que se disputent plusieurs nations, dont les Philippines.

Pour tenter de réduire ces tensions en eaux troubles, Barack Obama a d'ailleurs organisé un sommet réunissant les 10 membres de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) les 15 et 16 février derniers en Californie. Au terme des échanges, le président américain a lancé un appel à l'apaisement, dirigé tout particulièrement vers son homologue chinois. Dans son discours de clôture, le président américain a également plaidé pour un «retour à une loi civile» en Thaïlande, estimant que les atteintes aux droits de l'Homme «ne font qu'entraver le progrès et rendent les choses plus difficiles pour que les pays grandissent bien et prospèrent».

Crime de lèse-majesté et esclavage moderne

Ce n'est pas la première fois que l'exécutif américain fait référence aux nombreuses dérives autoritaires rapportées en Thaïlande. En janvier 2015, Daniel Russel, secrétaire d'État adjoint américain, les avait déjà condamnées lors d'un déplacement à Bangkok : «La Thaïlande est en train de perdre sa crédibilité aux yeux de ses partenaires étrangers en ne prenant pas ses dispositions pour une levée prochaine de loi martiale et la restauration des droits civiques».

En novembre 2015, le nouvel ambassadeur américain en Thaïlande, Glyn Davies, avait lui ouvertement critiqué les «longues peines de prison» infligées aux personnes accusées de crimes de lèse-majesté, s'attirant les foudres du général Prayut Chan-o-cha.

Depuis sa prise de pouvoir par la force, la junte réprime en effet toute forme de critique du régime, procédant régulièrement à des arrestations arbitraires de journalistes et d'opposants politiques. Censés ne pas dépasser 7 jours, ces «ajustements d'attitude» peuvent en réalité aller jusqu'à 25 jours de détention dans des camps militaires, où ont été rapportés des actes de torture pour obtenir des aveux forcés.

Autre fléau du pays : l'esclavage moderne des travailleurs étrangers, y compris des mineurs, qui pour rembourser leur voyage aller sont forcés à travailler gratuitement et à la merci de leurs employeurs. Dénoncée par une enquête diligentée contre le groupe Nestlé, cette pratique, si elle n'est pas nouvelle, continue en toute impunité sous le regard détourné des autorités thaïlandaises.

Une autre enquête de l'Associated Press sur la production de crevettes, dont la Thaïlande est le plus gros exportateur mondial, a également constaté de «bas coûts de production résultant des conditions de travail déplorables», en partie dues à l'exploitation de ces «esclaves des temps modernes».

Un non-sens aux conséquences désastreuses

Si la Chine semble peu se préoccuper des dérives du gouvernement provisoire, qui a repoussé d'éventuelles élections à une date indéterminée, Bangkok se doit néanmoins de ménager l'allié américain, qui reste un partenaire commercial majeur. En 2014, les États-Unis ont investi près de 300 milliards de dollars en Asie du Sud-Est, soit plus qu'en Chine, au Japon et en Corée du Sud réunis. Si la dictature thaïlandaise continue à bafouer les libertés individuelles et à tolérer l'esclavage moderne, elle prend le risque de couper définitivement les ponts avec les investisseurs étrangers. Au Bangladesh, plusieurs grandes marques occidentales s'étaient retirées du pays en 2013 suite à la mort de plus d'un millier d'ouvriers du textile, révélatrice de leurs conditions de travail déplorables.

Outre la terrible image renvoyée au monde extérieur, le non-sens thaïlandais se traduit également par une baisse désastreuse de la croissance, retombée à 0,7 % en 2014, contre plus de 5 % avant le putsch. Malgré un tourisme très performant (près de 30 millions de visiteurs en 2015) et de nombreux atouts naturels, le royaume du sourire est promis à un avenir sombre sans un rapide retour à la démocratie. Faut-il que la situation se dégrade encore davantage pour que la communauté internationale durcisse réellement le ton ?

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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