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Imaginez si cela se produisait avec notre système de santé…

Quand on compare le destin d'une épicerie de village au système de santé.
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PhotoAlto/James Hardy via Getty Images

Il était une fois, un petit village de quelques milliers d'habitants. Dans ce joli petit village de campagne, situé à environ une heure du grand centre urbain le plus proche, il y avait une petite épicerie locale tenue par M. Henri, troisième du nom, qui succédait à son père, qui avait lui-même succédé à son père avant lui. M. Henri connaissait presque tous ses clients par leur prénom. Il savait quels produits se vendraient bien dans son épicerie et quels produits seraient plus difficiles à écouler. M. Henri commanditait souvent des événements locaux, il était très impliqué dans sa communauté. Il créait des emplois stables dans son village et beaucoup d'adolescents avaient faits leurs premiers pas dans le monde du travail dans son épicerie. Il y vendait des produits locaux autant que possible pour encourager les agriculteurs de la région. Si les villageois désiraient un nouveau produit, ils pouvaient en discuter avec M. Henri qui pouvait adapter son offre en fonction des demandes de ses clients.

Mais un beau jour, M. Henri, en écoutant les nouvelles du soir après une bonne journée de travail, apprit que le ministère de l'Alimentation venait d'adopter une nouvelle loi imposant la fusion de toutes les épiceries d'une même région avec un conseil d'administration unique, et ce, dans le but de pouvoir offrir partout les mêmes produits et de permettre une plus grande accessibilité à ces produits pour tous les habitants d'une même région.

M. Henri perdit son titre de propriétaire et devint simple gérant de succursale. Ce n'était plus l'épicerie Chez Henri, c'était maintenant Supermarché Québec.

Ce n'était plus l'épicerie Chez Henri, c'était maintenant Supermarché Québec.

Un beau lundi, Mme Simon ne trouva plus sa sorte de tisane habituelle sur les tablettes de l'épicerie. Elle demanda au commis, qui était un très vieil employé de Mr Henri et qui avait souvent réponse à ses questions, où était passée sa sorte de tisane. Le commis lui répondit que plusieurs produits avaient changé, mais qu'il ne savait pas trop pourquoi, qu'il fallait s'adresser directement à Mr Henri. M. Henri lui dit que cette sorte de tisane n'était pas très populaire dans le grand centre urbain donc qu'il n'était plus rentable pour Supermarché Québec de s'en procurer pour la région. Mme Simon demanda alors où elle pouvait se procurer cette tisane, Mr Henri répondit qu'il ne savait pas.

Le mardi suivant, lorsque M. Beaudouin se rendit à l'épicerie, il fut surpris de découvrir qu'il n'y avait plus de tomates de la Ferme du Ruisseau, la petite ferme au toit bleu à la sortie du village. M. Henri tenta de lui expliquer qu'il en coûtait moins cher à Supermarché Québec de s'approvisionner en tomates à un seul endroit et que c'était la Ferme du Grand Chêne à 200 km d'ici qui avait été choisie.

Le mercredi, M. Bouchard s'étonna, qu'il ne restait plus de pain sur les étalages. Selon M. Henri, c'est que la moyenne des gens de la région mangeait moins de pain que les habitants du village. Il fallait faire des représentations auprès de Supermarché Québec pour justifier des besoins supérieurs en pain. Les procédures étaient en cours, mais la personne responsable de l'analyse du dossier changeait tellement souvent que cela ralentissait considérablement la démarche.

Le jeudi, Mme Binette remarqua en se garant dans le stationnement de l'épicerie qu'il y avait un nouvel abri pour ranger les paniers d'épicerie à l'extérieur. Lorsque vint le temps de payer sa commande, aucun emballeur ne vint l'aider. Elle s'en étonna à la caissière, mais celle-ci lui répondit qu'elle n'était au courant de rien et qu'il fallait s'adresser directement à M. Henri. Celui-ci lui expliqua que Supermarché Québec trouvait plus rentable de permettre aux clients de sortir leur panier d'épicerie à l'extérieur plutôt que de payer des emballeurs. De toute façon, plusieurs épiceries de la région n'avaient plus recours à ces services depuis longtemps. Oui, mais, objecta Mme Binette, notre village est l'endroit de la région où il y a le plus de personnes âgées et celles-ci apprécient grandement ce service. Il fallait harmoniser l'offre de services répondit M. Henri. Il fallait voir le bon côté des choses, nous avions maintenant des sushis dans nos comptoirs.

Il fallait voir le bon côté des choses, nous avions maintenant des sushis dans nos comptoirs.

Le vendredi, M. Drouin ne reconnut ni la caissière ni le commis dans les allées de l'épicerie. C'étaient des employés venant d'une autre épicerie qui faisaient un remplacement. Ils n'avaient visiblement pas le goût d'être là. Ils ne souriaient pas, ils n'avaient aucune idée d'où se trouvaient les produits et on les entendait souvent se plaindre que c'était loin et ennuyant de travailler ici.

Le samedi, Mme Blanchette voulut réserver certaines pièces de viande comme à son habitude pour son souper de famille du dimanche. Le boucher lui donna un formulaire à remplir. Il fallait l'acheminer au centre administratif et compter quelques semaines avant que la demande ne soit traitée. On communiquerait alors avec elle par courriel pour lui dire quand venir chercher ses pièces de viande à la boucherie centrale à 45 km de chez elle. Mme Blanchette n'avait pas de courriel. Elle n'avait pas de voiture non plus. Inutile de préciser que le transport en commun ne desservait pas leur petit village.

Le dimanche, M. Henri dut apprendre à ses cinq employés que deux postes seraient supprimés. Il dut ensuite tenter de rassurer les trois employés restants en leur faisant croire qu'ils n'auraient pas à accomplir à trois le travail de cinq et il dut tenter de les convaincre, comme les grands patrons le lui avaient dit, qu'on réorganiserait leur travail et que tout irait bien.

Le mois suivant, on annonça à M. Henri que ses services n'étaient plus requis. Tout serait dorénavant géré à partir du centre administratif urbain.

Les trois loyaux employés continuèrent de faire rouler à eux seuls l'épicerie et ils travaillèrent d'arrache-pied pour offrir toujours un service de qualité à leurs clients, mais ils manquaient de temps et de soutien, surtout lorsqu'on leur imposa des heures d'ouverture obligatoires. Ils devaient également dorénavant se rendre régulièrement dans l'épicerie du village voisin pour dépanner, car cette épicerie avait perdu plusieurs de ses employés. Ils tentèrent à maintes reprises de joindre leur nouveau responsable ayant pignon sur rue à 80 km de là, mais celui-ci était difficilement joignable, ayant plusieurs épiceries sous sa responsabilité. Et, lorsque les employés parvenaient à lui parler, il confondait souvent leur épicerie avec celle du village voisin.

Le mois suivant, les trois employés, exténués et surmenés, démissionnèrnt. Supermarché Québec afficha les nouveaux postes disponibles dans l'ancienne épicerie de M. Henri. Il s'étonna d'avoir de la difficulté à les combler.

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