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Pour une analyse véritablement indépendante des effets biologiques des compteurs «intelligents»

Les autorités sanitaires n'ont aucune preuve de l'innocuité de ces appareils, puisqu'aucune étude scientifique n'a jamais été réalisée sur leurs effets sanitaires! Elles ne font que conclure qu'ils nous exposent à des doses de radiofréquences inférieures à celles émises par un cellulaire ou une antenne relais, ce qui est faux dans bien des cas.
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Cher monsieur Jason Luckerhoff, professeur agrégé au département Culture et Communication de l'Université du Québec à Trois-Rivières,

Je vous félicite d'avoir prévu de diriger l'hiver prochain un séminaire de maîtrise en « Communication et dialogue civil » axé sur les compteurs dits « intelligents » émetteurs de radiofréquences (RF). Je suis tout à fait d'accord avec vos propos rapportés dans Le Nouvelliste du 3 novembre 2014, à savoir « qu'Hydro-Québec est allée trop vite dans l'installation des fameux compteurs intelligents et qu'il n'existe pas assez d'études scientifiques vraiment indépendantes pour prouver l'innocuité de ces appareils qui émettent des ondes électromagnétiques dans les domiciles ».

Je suis certain que vos étudiants analyseront le rapport Les compteurs d'électricité de nouvelle génération présentent-ils un risque pour la santé? soumis à la Régie de l'énergie en 2012 par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), ainsi que la position des directeurs régionaux de santé publique du Québec concernant les radiofréquences émises par les compteurs intelligents, publiée le 5 décembre 2013. Dans sa conclusion, le rapport du MSSS affirmait : « À la lumière des connaissances scientifiques actuelles concernant les RF et la santé, et en tenant compte des niveaux d'exposition extrêmement faibles de RF provenant des compteurs de nouvelle génération d'Hydro-Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec les directeurs de santé publique des Agences de la santé et des services sociaux, tient à informer la population que les RF émises par ces appareils ne posent pas de risques pour la santé. »

Des milliers de personnes en souffrance

En fait, les autorités sanitaires n'ont aucune preuve de l'innocuité de ces appareils, puisqu'aucune étude scientifique n'a jamais été réalisée sur leurs effets sanitaires! Elles ne font que conclure qu'ils nous exposent à des doses de RF inférieures à celles émises par un cellulaire ou une antenne relais, ce qui est faux dans bien des cas si l'on tient compte de l'exposition cumulative et des nombreux pics d'émissions. Or, dans plusieurs pays, des milliers de personnes se sont plaintes que leur santé s'était détériorée après l'installation sur leur domicile d'un compteur communicant avec des RF (micro-ondes). Notez que je préfère éviter le terme « compteur intelligent » inventé par un quelconque génie du marketing pour mieux faire passer la pilule.

Vos étudiants devraient aussi lire l'avis de l'Association médicale autrichienne qui s'est opposée à l'installation de tels compteurs en prédisant une augmentation des symptômes et maladies multisystémiques causées par l'électrosmog. Le 18 janvier 2012, l'Association demandait au ministre autrichien de l'Économie, de la Famille et de la Jeunesse : « Qui est responsable dans l'éventualité de problèmes de santé et de maladies causés par l'accroissement de l'exposition aux champs [électromagnétiques] émis par le compteur intelligent? » J'aimerais bien que le premier ministre Philippe Couillard réponde à cette question et remette aussi en cause l'installation d'antennes relais sur les écoles et les hôpitaux, ce qui est interdit dans certains pays européens.

Parmi les autres textes que vos étudiants devraient analyser, il y a évidemment la lettre ouverte Technologies radiofréquences - Pour un débat guidé par la science, publiée dans Le Devoir du 24 mai 2012, ainsi que la réplique à cette lettre, Compteurs intelligents : des experts dénoncent la « désinformation flagrante », que j'ai commandée au Dr David O. Carpenter, ancien doyen fondateur de l'École de Santé publique de l'Université Albany (New York) et coéditeur des rapports BioInitiative réclamant des normes d'exposition aux champs électromagnétiques (CEM) fondées sur leurs effets biologiques. Cette dernière fut appuyée par une cinquantaine d'experts internationaux en la matière, dont nul autre que le président du Comité national russe sur la protection contre les radiations non ionisantes et membre du comité conseiller de l'Organisation mondiale de la santé en la matière, le médecin Yuri Grigoriev.

Des milliers de salves quotidiennes

Ces experts estiment que les symptômes (neurologiques, cardiaques, dermatologiques, etc.) dont se plaignent les gens sont sans doute déclenchés par l'effet cumulatif des ondes émises par les compteurs à RF, et en particulier leurs nombreux pics de puissance. Ces pics mesurent jusqu'à 50 000 microwatts par mètre carré (μw/m²) à un mètre du compteur alors qu'Hydro-Québec ne cite que la moyenne de 55 μw/m². Ils sont autant de gifles répétées qui peuvent faire déborder le vase d'un système nerveux asymptomatique, mais au bord de l'épuisement à cause d'une surexposition quotidienne aux micro-ondes émises par divers appareils sans fil et antennes.

Pour citer cette cinquantaine d'experts internationaux : « Les compteurs intelligents sans fil émettent des micro-ondes pulsées atypiques, de très courte durée, mais relativement nocives, dont les effets biologiques n'ont jamais été pleinement testés. Ces salves qui durent des millisecondes peuvent être émises en moyenne 9 600 fois par jour jusqu'à un maximum de 190 000 transmissions quotidiennes, et à un niveau d'émission en période de pointe deux fois et demie plus intense que le signal de sécurité déclaré, a admis le fournisseur californien Pacific Gas & Electric devant la Commission de services publics de la Californie. Ainsi, les gens qui vivent à proximité d'un compteur intelligent risquent d'être exposés à ces ondes de façon beaucoup plus intense que s'ils sont à côté d'un cellulaire, sans parler de l'effet cumulatif de ces mêmes ondes sur les gens exposés à plusieurs compteurs, à des routeurs ou à des bornes collectrices recevant les données de consommation de jusqu'à 5 000 foyers. »

La lettre ouverte parue dans Le Devoir fut signée par quelque 60 universitaires québécois. Or parmi ceux-ci, on retrouve un architecte, quelques chimistes ainsi que des dizaines de physiciens et d'ingénieurs. Si je ne m'abuse, aucun d'entre eux n'a jamais réalisé une seule étude sur les effets biologiques délétères des faibles expositions chroniques aux CEM non ionisants, parue dans une revue médicale révisée par des pairs.

Des normes « sérieusement imparfaites »

Le principal auteur de cette lettre, Thomas Gervais, professeur adjoint de génie physique à Polytechnique Montréal, est notamment spécialiste des « laboratoires biomédicaux sur puce » utilisés dans le traitement du cancer. Parmi ses cosignataires, signalons le magnat montréalais de l'imagerie médicale Lorne Trottier, président de Matrox. En 2012, M. Trottier finançait la Brigade électro-urbaine mise sur pied par M. Gervais pour mesurer la densité de puissance des radiofréquences dans 23 demeures et 34 lieux publics québécois. Comme on pouvait s'y attendre, cette étude a conclu que « les intensités mesurées se situent bien en deçà des normes canadiennes, normes qui demeurent fort comparables aux normes internationales les plus sévères en la matière ».

En fait, les lignes directrices sur l'exposition aux RF recommandées par le Canada et les États-Unis, de 6 000 000 μw/m² pour la fréquence 900 mégahertz (MHz) et 10 000 000 μw/m² pour de 1 500 à 15 000 MHz, sont parmi les plus laxistes au monde. Dès 1993, trois organismes fédéraux américains, dont la Food and Drug Administration, les qualifiaient d'inadéquates et de « sérieusement imparfaites ».

C'est qu'elles ne tiennent compte que des effets thermiques des RF pour une exposition à court terme lors d'un test durant six minutes sur le crâne d'un mannequin représentant un homme en santé. Bref, on ignore totalement les effets possibles à long terme liés à des expositions chroniques : en 2011, les RF étaient classées « peut-être cancérogènes » sur la base d'un risque accru de cancer du cerveau associé à l'utilisation du téléphone sans fil pendant plus de 10 ans. Alors que les effets cardiaques et neurologiques ressentis par les riverains des antennes relais débutent à une exposition chronique de 500 à 1 000 μw/m² (Kundi 2009), l'Association médicale autrichienne recommande de viser, pour les expositions à long terme, le seuil de sécurité de 0,1 μw/m² prescrit par l'Institut allemand de bau-biologie.

Un mécène ami d'Hydro-Québec

De 2001 à 2012, Lorne Trottier a donné 42,5 millions de dollars à la Faculté de génie et de la science de l'Université McGill et 10 millions à l'Hôpital Royal Victoria. M. Trottier est un généreux mécène et ses dons pour aider à guérir des maladies comme le cancer méritent d'être louangés.

Il est cependant aussi webmestre du site biaisé emfandhealth.com qu'il rédige avec des professeurs de chimie de McGill qui ont bénéficié de ses dons ainsi qu'avec le Dr Michel Plante. En plus d'être responsable de la protection de la santé du public à Hydro-Québec, le Dr Plante représentant de Rogers Communication, Bell et Vidéotron, notamment lors d'assemblées publiques où des citoyens contestent l'érection d'antennes relais près de leur résidence. Pour un débat guidé par la rigueur scientifique, on repassera.

Sur son site emfandhealth.com, Lorne Trottier s'évertue à discréditer en traitant d'alarmistes les chercheurs comme la toxicologue environnementale Magda Havas qui a publié plusieurs études et mises en garde sur les effets biologiques des RF. Bien qu'il m'ait répondu avoir très peu d'intérêts financiers investis dans les technologies sans fil, je doute qu'il investisse autant d'efforts pour se divertir.

Thomas Gervais et la Fondation Suzuki

Par ailleurs, Thomas Gervais est membre du cercle scientifique de la Fondation David Suzuki, qui reçoit « plus de 100 000 $ par année » de la fondation de la famille de Lorne Trottier. Dans un blogue publié sur le site de la Fondation David Suzuki le 12 mai 2011, M. Gervais écrivait que la vaste majorité des études concluent qu'il « n'existe aucune preuve statistiquement significative de l'effet des champs électromagnétiques de faibles intensités et fréquences ».

Mais ce n'est pas la quantité, mais la qualité des études qui importe, comme celle du physicien Paul Héroux, professeur de médecine à l'Université McGill, qui a démontré que les très faibles expositions répétées aux champs magnétiques domestiques (60 Hertz) sont des promotrices de cancer qui rendent les tumeurs plus malignes. Au chapitre des faibles expositions répétées aux RF, depuis 2012, pas moins de 144 études ont indiqué qu'elles peuvent provoquer des effets neurologiques, selon le groupe BioInitiative.

Or comme l'a souligné l'Agence européenne de l'environnement (AEE) dans ses deux rapports Signaux précoces et leçons tardives, les industries polluantes (tabac, amiante, métaux lourds, etc.) n'ont jamais hésité à financer une multitude de recherches concluant à l'innocuité de leurs produits et à financer des chercheurs et organismes qui attaqueraient la réputation des chercheurs indépendants - et sous-financés - qui les contredisaient. D'ailleurs, dans sa résolution 1815 (Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leurs effets sur l'environnement) adoptée le 27 mai 2011, le Conseil d'Europe soulignait « l'importance cruciale de l'indépendance et de la crédibilité des expertises scientifiques pour obtenir une évaluation transparente et objective des effets nocifs potentiels sur l'environnement et la santé humaine ».

Je préfère de loin l'approche de l'AEE qui prône la précaution ainsi : « L'incertitude scientifique ne justifie en aucun cas l'inaction lorsqu'il existe des preuves plausibles de dommages potentiellement graves. Privilégier le principe de précaution est presque toujours bénéfique - à la suite de l'analyse de 88 cas de prétendues ''fausses alertes », les auteurs du rapport n'en n'ont validé que quatre. Le rapport montre également que les mesures de précaution permettent souvent de stimuler plutôt que d'étouffer l'innovation... L'évaluation des risques peut également être améliorée en adoptant l'incertitude de façon plus généralisée et en reconnaissant ce qui n'est pas connu. Par exemple, « aucune preuve de danger » a souvent été interprété à tort comme signifiant « n'étant pas dangereux », alors même que des recherches pertinentes n'étaient pas disponibles... »

Je recommande fortement la lecture de ce deuxième rapport de l'AEE au docteur Couillard et à son ministre de la Santé Gaétan Barrette.

Au plaisir d'en discuter davantage avec vous, cher monsieur Luckerhoff.

Meilleures salutations

André Fauteux

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