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Cellulaire et cancer: quand la science berne les journalistes

Les journalistes et chroniqueurs non familiers avec l'épidémiologie se font souvent berner. Ils devraient pourtant savoir qu'une seule étude ne permet pas d'établir ni d'infirmer une relation causale, car il y a toujours le risque de biais méthodologiques.
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« Ne raccrochez pas... Le cellulaire ne cause pas le cancer », tranchait la chroniqueuse de La Presse Suzanne Colpron la semaine dernière. Elle se basait sur une récente étude épidémiologique qui concluait que l'incidence des tumeurs cérébrales malignes n'avait pas augmenté en Australie depuis la commercialisation des cellulaires, il y a 29 ans.

Dommage que Mme Colpron n'ait pas interviewé des experts indépendants pour avoir l'autre côté de la médaille. Ils lui auraient souligné que les auteurs de l'étude ont sciemment évité de se centrer sur les types de tumeurs bénignes et malignes spécifiquement associés à l'usage du cellulaire. Ce qui fait dire à Joel M. Moskowitz, directeur du Centre de médecine familiale et communautaire de l'Université de Berkeley, que leur étude fut « conçue pour servir de propagande ». D'ailleurs, son auteur principal, Simon Chapman, a déjà été financé par l'industrie du cellulaire et n'a pas divulgué le nom de ses bailleurs de fonds cette fois-ci. Il a récemment traité d'alarmiste l'épidémiologiste américaine Devra Davis qui prône la précaution en matière d'exposition aux radiofréquences, à l'instar de nombreux organismes et pays qui veulent notamment protéger les enfants davantage.

Une science imparfaite

Les journalistes et chroniqueurs non familiers avec l'épidémiologie (étude statistique des facteurs influant sur la maladie dans une population) se font souvent berner ainsi. Ils devraient pourtant savoir qu'une seule étude épidémiologique ne permet pas d'établir ni d'infirmer une relation causale, car il y a toujours le risque de biais méthodologiques. C'est la prépondérance de la preuve de plusieurs études (épidémiologiques, cliniques et en laboratoire) qui permet de trancher.

L'étude de Chapman ne change rien au classement « peut-être cancérogènes » (classe 2B) des RF, fait par les experts conviés en 2011 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Si ce classement s'applique à toutes les sources de RF, il fut basé sur les études qui ont révélé que le risque de gliome, une forme de tumeur cérébrale maligne, augmente avec l'usage du téléphone portable. Le risque était deux fois la normale chez les gens qui l'ont utilisé au moins 30 minutes par jour en moyenne sur plus de dix ans, selon l'annexe numéro 2 de l'étude Interphone publiée en 2010. Plus vaste étude jamais faite sur le sujet, elle a duré plus de 10 ans et compté sur des chercheurs de 13 pays. D'autres études ont même démontré que le risque de gliome est presque triplé du même côté de la tête où l'on tient le combiné pendant plus de 10 ans et jusqu'à quintuplé si on adopte le cellulaire couramment avant l'âge de 20 ans. C'est ce classement 2B qui incite plusieurs à prôner la modération en matière d'exposition aux RF.

Le projet Interphone a aussi démontré, comme d'autres études l'ont fait, que le risque de neurinome acoustique, une tumeur maligne du nerf trijumeau dans l'oreille, pourrait quasiment quadrupler chez les gros utilisateurs à long terme. Les résumés de plus de 500 études sur les téléphones portables sont publiés sur le site powerwatch.org.uk/science/studies.asp.

Plus mortel que le tabac et l'amiante?

Le chercheur qui a signé le plus d'études sur le sujet, l'oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell, ne cesse de découvrir un risque accru du type de gliome le plus commun et le plus agressif, le glioblastome multiforme, chez les usagers à long terme du cellulaire ou même du téléphone sans fil classique. En 2014, une de ces études a révélé que les risques de tumeur cérébrale étaient les plus élevés après 25 ans d'usage du cellulaire et de 15 à 20 ans d'usage du téléphone sans fil. L'étude de Chapman cherché des hausses d'incidence après seulement 10 ans d'exposition. Pourtant, les tumeurs cérébrales prennent souvent plus de 10 ans à se développer, selon le neurochirurgien australien Vini G. Khurana, qui prédit que le cellulaire sera plus mortel que le tabac ou l'amiante. Chapman aussi fait fi des tumeurs les plus communes associées à l'usage du cellulaire, les bénignes comme le très douloureux neurinome acoustique.

Selon le Dr Hardell, l'étude de Simon Chapman n'apporte rien de neuf, car elle a fait fi des types de tumeurs ni de leur emplacement. Comme le fait remarquer Joel M. Moskowitz, certains types de cancers du cerveau ont bel et bien augmenté dans divers pays, dont l'Angleterre, en ce qui concerne le gliome du lobe frontal et temporal, et les États-Unis, pour ce qui est du glioblastome multiforme. Et ce ne pourrait être que la pointe de l'iceberg, selon Lennart Hardell, car les registres nationaux de tumeurs cérébrales sont incomplets et donc non fiables. En Suède, il a récemment constaté une forte hausse des tumeurs cérébrales classées comme « de type inconnu ». « Vous ne pouvez pas prouver ou infirmer une hypothèse causale en observant les registres de tumeurs dans le temps », explique M. Moskowitz.

Études biologiques probantes

Par contre, les études en laboratoire incitent assurément à la précaution. Sur 100 études expérimentales, 93 ont démontré que l'exposition chronique à de faibles doses de RF cause un stress oxydatif qui perturbe la communication intercellulaire au point de produire des radicaux libres et des dommages à l'ADN, deux des précurseurs de cancer, précise Joel M. Moskowitz. « Et presque toutes les études épidémiologiques qui ont examiné l'usage intensif des cellulaires à long terme ont trouvé un risque accru de tumeurs cérébrales (malignes ou non). »

Selon Chapman, l'utilisation du téléphone cellulaire ne peut pas expliquer la hausse de l'incidence du cancer du cerveau qu'il a remarquée chez les personnes de 70 à 84 ans, car elle a débuté en 1982, soit avant la commercialisation du cellulaire. Sauf que le téléphone sans fil, introduit dans les années 1970, pourrait y avoir contribué, selon M. Moskowitz. De plus, Chapman a trouvé une petite mais significative hausse de cancer du cerveau chez les hommes depuis l'adoption massive des cellulaires. Comme bien des études, la sienne a la faiblesse de n'être basée que sur les dossiers d'abonnements des fournisseurs de cellulaires. Elle n'a pas cherché à mesurer quand les individus ont adopté le portable ni l'intensité de leur usage.

Des chercheurs crédibles

Aujourd'hui, divers experts consultés par le CIRC en 2011 estiment que les études les plus récentes justifient que les RF soient classées au minimum 2A (« probablement cancérogènes »). C'est le cas d'Anthony B. Miller qui, de 1971 à 1986, fut le directeur de la division de l'épidémiologie à l'Institut national du cancer, à Toronto. Quant à Lennart Hardell, il est convaincu que les RF sont cancérogènes. Et bien que leurs opinions soient loin de faire consensus parmi les experts, leurs compétences sont des plus respectées. Hardell fut l'un des premiers chercheurs à étudier les dangers du DDT, des BPC et du glyphosate (le fameux Roundup de Monsanto), tous trois aujourd'hui classés 2A. Autant de bonnes raisons de limiter son usage du cellulaire et du téléphone sans fil et de ne jamais porter de cellulaire allumé sur soi sans se protéger de ses émissions avec un matériau blindant (voir lessemf.com et em3e.com).

Sachant que plusieurs études indiquent que les RF nuisent notamment à la production de mélatonine, qui freine la croissance des tumeurs, ainsi qu'à la motilité et à la viabilité des spermatozoïdes, n'y a-t-il pas lieu d'écouter l'Académie américaine de pédiatrie, qui recommande de limiter l'utilisation des appareils sans fil par les enfants? En effet, les tout petits sont plus vulnérables à la pollution (les ondes pénètrent plus profondément dans le crâne d'un enfant que dans celui d'un adulte) et les limites d'exposition ne tiennent pas compte de cette plus grande vulnérabilité.

Pour sa part, Devra Davis dit utiliser un téléphone intelligent mais recommande l'usage du haut-parleur ou d'un casque d'écoute ainsi que leur mise en mode Avion le plus possible (pour les les tablettes aussi). Cette cofondatrice du premier centre d'oncologie environnementale au monde, à l'Université de Pittsburgh, pose une question très simple : « Voulez-vous vraiment risquer la santé de vos enfants ainsi que la vôtre en vous exposant constamment à un cancérogène de classe 2B? »

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