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Est-ce que je choisis de m'intégrer à la société, ou est-ce que je choisis de prendre part à une communauté à travers laquelle je saurai m'identifier? Avec quels termes ai-je envie de me représenter?
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Qu'est-ce qui définit la personne sourde?

Le recensement des personnes sourdes est difficile à effectuer selon l'Association des Sourds du Canada, car la définition même de sourd n'est pas unique. En effet, qu'est-ce qu'un sourd? À partir de quel degré de perte d'audition peut-on qualifier quelqu'un de sourd?

En fait, l'audiogramme, qui est l'instrument avec lequel les audiologistes représentent graphiquement notre capacité auditive, est ce qui permet de voir un peu dans quelles zones nous nous situons (allant d'audition normale à surdité totale). Ce qui signifie qu'il y a des variations de surdités possibles, et donc que tout n'est pas blanc ou noir.

De là s'ensuivent les termes de sourd ou de malentendant. Encore une fois, de façon culturelle, le terme sourd évoque souvent chez les gens la notion de langage des signes. Un sourd est probablement muet. Un sourd n'est pas capable de parler en français, il fait des gestes. Pour ce qui est du malentendant, on pense alors aux personnes âgées devenues sourdes. Des gens qui entendent moins bien maintenant, à cause de l'âge ou de conditions médicales, comme les séquelles d'une otite.

En fait, ces termes font l'objet de nombreux débats. La personne sourde, selon certains, doit ne pouvoir absolument rien entendre depuis la naissance et communiquer en L.S.Q. (langue des signes québécoise) alors que la personne malentendante n'a que de la difficulté à entendre, mais peut quand même communiquer.

Pour ma part, je suis une personne née sourde, avec une surdité qualifiée de moyennement sévère à profonde (car cela varie en fonction des fréquences allant de aiguës à graves), mais pourtant je n'utilise pas la langue des signes pour communiquer. J'ai des appareils auditifs qui me permettent très bien de m'intégrer à la société, en utilisant la parole comme moyen principal de communication. J'ai tout de même appris la L.S.Q. pour mon propre plaisir et connaître un peu cette culture sourde.

Maintenant, que suis-je? Suis-je sourde?

Non, bien sûr, car je porte des appareils auditifs - ce qui n'est pas particulièrement préconisé dans la culture sourde - et car je ne parle pas couramment la L.S.Q.

Alors suis-je entendante, étant donné que j'ai des appareils auditifs et que certaines personnes ne sauront probablement jamais que je suis sourde?

Alors là non, définitivement pas, et les enfants avec qui je travaille me le feront remarquer: «Pourquoi tu parles bizarre?»; ou les adultes: «Ah! Mais quel bel accent! D'où ça vient?»; ou encore les regards outrés des gens à qui j'ai fait répéter plus de quatre fois (ce n'est pas de ma faute si certaines personnes ne savent pas articuler ou passent leur temps à cacher leur bouche).

Alors, je crois que je suis simplement dans une zone grise. La zone grise des personnes sourdes qui s'intègrent à la société plutôt que de faire partie d'une communauté restreinte.

Maintenant, pourquoi s'intégrer à la société ? En fait, la question est plutôt pourquoi ne pas s'intégrer à la société? Pourquoi réduire ses chances d'augmenter son niveau de scolarité, ses chances de mieux voyager, d'être capable d'apprendre des langues, de rencontrer des gens, d'être capable de parler un langage universel?

Encore là, il est certain que certaines personnes sourdes gestuelles (ce qui d'ailleurs est un terme davantage adéquat pour distinguer les sourds, en les qualifiant de gestuels ou d'oralistes) sont capables de s'intégrer et de bien fonctionner dans la société, même s'ils ne parlent pas la même langue. Mais mon avis est quand même que cela ne facilite pas les choses.

Cesser d'entendre est pour moi simplement une option non discutable, car tellement de moyens existent pour me permettre d'être résiliente et de m'adapter à ce que je ne qualifie même plus comme un handicap, mais simplement comme une caractéristique qui, parmi tant d'autres, me définit. Mes parents sont en majeure partie la raison pour laquelle je perçois ce handicap de cette façon: après tout, si selon eux ce n'est pas la fin du monde, selon moi cela ne sera pas non plus la fin du monde.

Un enfant qui naît sourd ne prend pas la décision d'apprendre la parole ou la langue des signes ou de porter un implant cochléaire, un appareil auditif, ou rien du tout. Cela dépend du milieu familial, de l'éducation des parents, de la sensibilisation faite par les professionnels, du réseau de soutien, etc. Ceci étant dit, pour ma part, je crois que vaut mieux en faire trop que pas assez, donc d'outiller l'enfant avec un appareil auditif ou un implant cochléaire et, si possible, de lui apprendre à parler une langue généralisable à la société. Ensuite, les enfants grandissent, deviennent des personnes à part entière et sauront faire leurs choix. Mais, au moins, ils auront eu la possibilité de voir les deux côtés de la médaille.

Je m'éloigne de la question de base, mais c'est simplement pour mentionner que le débat en être sourd ou malentendant est influencé par la vision qu'ont les gens de leur problème d'audition. Se dire malentendant est une façon de minimiser en quelque sorte le handicap, du moins au regard des personnes que l'on dit entendantes, et donc de se faire accepter plus facilement dans la société.

D'autre part, d'accepter sa surdité à part entière peut aussi vouloir dire de se qualifier comme sourd, étant donné également que nous faisons partie d'une communauté à laquelle l'on s'identifie et se représente. Par ailleurs, les gens ayant développé une surdité à l'âge adulte avancé ne sauront se qualifier de sourd, étant donné que leur sentiment d'appartenance n'y est pas, puisqu'ils ont vécu la majeure partie de leur vie comme une personne ayant une audition qualifiée de normale. Pour eux, un terme de perte d'audition ou encore de malentendant les définirait mieux.

Ceci étant dit, apparaît à travers tout ça la notion de respect: le respect du choix que la personne vivant avec une surdité fait, dans la façon qu'elle se représente son handicap ou cette caractéristique qui, entre autres, la constitue.

Est-ce que je choisis de m'intégrer à la société, ou est-ce que je choisis de prendre part à une communauté à travers laquelle je saurai m'identifier? Avec quels termes ai-je envie de me représenter cette identité que je me suis constituée?

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Mai 2017

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