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Il me semble que la société s'est complètement trompée en interprétant cette histoire de «tout avoir». Quand on brûlait nos brassières dans les années 60, c'était pour que les femmes aient le choix. L'idée, ce n'était pas de devoir tout faire en même temps.
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Il n'y a que les femmes pour accepter un truc pareil.

Je vais prendre les devants en reconnaissant que je suis une privilégiée : je suis une femme blanche, diplômée, mariée, j'habite une jolie petite ville au milieu des montagnes, j'ai un boulot qui me plaît. Une connasse à qui la vie réussit, quoi.

Pourtant, pour moi, voilà à quoi ça ressemble de "tout avoir" :

Il y a quelque temps, j'allais chercher mon courrier, toute contente de moi : j'ai un fils de trois ans et demi, et un bébé qui a tout juste un mois. Depuis l'accouchement, je n'ai pas arrêté de travailler, ce qui m'a permis de gagner assez d'argent pour payer toutes les factures et permettre à l'entreprise de mon mari de survivre. J'ai fait du bon boulot, et j'en suis fière. Surtout que je n'ai jamais cédé à la tentation d'annoncer que je venais d'accoucher.

Tandis que je m'auto-félicitais de cette "réussite", une quantité non négligeable d'urine a coulé le long de mes cuisses. C'était on ne peut plus voyant sur mon jogging gris clair, et c'est devenu vraiment gênant quand mon voisin s'est approché pour me saluer. Je suis rentrée juste à temps pour ma vidéoconférence, et je n'ai donc pas eu l'occasion de me changer.

Par chance, mon bébé a dormi pendant toute la durée de l'appel, mais il s'est réveillé en hurlant juste après parce qu'il était affamé. Encore une demi-heure à macérer dans mon urine. Je l'ai nourri, lui ai fait faire son rot... et il a régurgité dans mes cheveux. J'étais pressée alors j'ai juste pris une pince pour attacher tout ça. Vite, j'ai changé le bas, et j'étais prête à me remettre au boulot. Allez-y, les gars. Je suis une femme forte, j'assure et je peux tout avoir.

Vers 17h, mon fils débarque en demandant si j'ai fait des brownies, comme je le lui ai promis. La réponse est non, forcément. Arrive mon mari, qui s'enquiert de ce qu'on mange ce soir. Je mets le bébé dans l'écharpe de portage et descends m'occuper du dîner et des brownies.

"Et merde."

"Euh, qu'est-ce qui se passe?"

"Je crois qu'un des fils a craqué."

"Quoi? Comment tu peux le savoir? Et c'est grave, non?"

"Ce que je sens entre les jambes n'est vraiment pas normal. Oui, c'est probablement grave, mais qu'est-ce que je peux y faire?"

Je remonte. Enfin l'heure de la douche. Ce qui me tenait autrefois lieu de vagin est désormais une plaie douloureuse (lors de l'examen post-partum, le médecin m'a dit que les points étaient presque partis mais que ma "blessure" n'était pas encore guérie, beurk). Retour au lit, un pain de glace entre les jambes, le bébé au sein, mon ordi sur les genoux.

Ça fait un mois que je ne suis quasiment pas sortie de cette chambre, sauf pour des passages éclairs dans la cuisine. J'ai pris une journée de congé pour accoucher. Essayez de vous représenter la situation. Heureusement, j'ai une salle de bain et des toilettes juste à côté.

Admirez la pile de linge sale qui me fait face (et aussi mes horribles pieds. Ce vernis date d'il y a au moins deux mois.).

Et ça, c'est un sac de couches sales, à un mètre de moi. Juste à côté de l'autre énorme pile de linge. Toute la pièce pue la diarrhée.

Je ne suis pas une mère célibataire. D'ailleurs, mon mari m'aide bien plus que le conjoint ou le père moyen. J'ai un emploi payé correctement, je ne suis pas vraiment défavorisée. Sauf que je suis une mère qui travaille et que j'habite aux États-Unis.

Vous voulez avoir des relations sexuelles sans tomber enceinte? Pas de problème.

Vous êtes enceinte, mais pas en mesure d'élever ce bébé (ou alors il est issu d'un viol, gravement handicapé, difforme, ou tout autre scénario possible)? Aucun souci, vous pouvez choisir d'avorter.

Vous voulez travailler? Allez-y!

Vous voulez être mère au foyer? Super!

Vous voulez combiner les deux? Trop cool.

Vous voulez être coquette et vous maquiller? Ou mal fagotée et ne jamais prendre de douche? Faites comme bon vous semble.

L'idée, ce n'était pas de devoir tout faire en même temps. Par définition, les mères célibataires actives ont "tout" depuis des lustres, et la société n'en fait pas des modèles pour les autres femmes. C'est simplement ce qui arrive quand on est pauvre et qu'on ne peut pas faire autrement. Mais, aujourd'hui, c'est aussi le cas de toutes les femmes (sauf les vraiment très riches) qu'on encourage à combiner travail et enfants sans rien changer du monde qui les entoure.

On n'a jamais entendu une femme (ou un homme, d'ailleurs) s'exclamer : "Eh, vous savez ce qui serait génial? Me réveiller à 5h du matin, préparer le petit déjeuner pour toute la famille, m'habiller (avec talons aiguilles, évidemment), déposer mes enfants à la garderie, bosser dix heures, aller chercher les enfants, rentrer, faire le souper et le ménage, coucher les enfants, travailler au lit jusqu'à minuit pour ne pas prendre de retard, et recommencer le lendemain après à peine cinq heures de sommeil. "

"Il me semble que la société s'est complètement trompée en interprétant cette histoire de "tout avoir". Quand on brûlait nos soutifs dans les années 1960, c'était pour que les femmes aient le choix."

C'est comme si on avait dit : "Tiens, et si on changeait le statut des femmes, mais juste sur le plan professionnel?" Et on voudrait qu'elles soient tellement contentes de pouvoir travailler et d'avoir des relations sexuelles sans s'inquiéter qu'elles en oublient qu'on leur impose un objectif toujours plus dur à atteindre, et de moins en moins souhaitable.

Voilà ce qu'on nous dit aujourd'hui : "vous pouvez - vous devez - conjuguer enfants et emploi. Si vous ne le faites pas, vous êtes a) paresseuse, b) faible, c) indigne d'être une vraie femme. Et vous le ferez sans aide, sans congé de maternité payé par l'État, sans abuser de la garde d'enfants (sinon vous êtes une mauvaise mère) et sans prendre de retard au travail (sinon vous êtes une mauvaise employée... comme toutes les femmes, quoi!). Et vous ne vous ferez pas trop aider par votre mari non plus (sinon c'est une gonzesse).

On félicite les entreprises qui donnent une compensation financière aux femmes qui font congeler leurs ovules. Mais on ne les encourage pas à faire en sorte que leurs employées puissent avoir des enfants quand elles en ont l'âge, puis réintégrer leur poste. Plutôt que de changer le système, on impose aux femmes de courber l'échine. Parce que, bien entendu, c'est de notre faute si on ne se débrouille pas toute seule. Eh bien merde. Je suis tellement courbée que je me casse la gueule.

Oui, les pères sont tout autant parents que nous et je sais que le congé paternité est important. Mais se remettre d'un accouchement et s'occuper d'un bébé est vraiment fatigant, surtout quand on allaite et qu'on ne peut pas déléguer la nuit. Aux États-Unis, on fait comme si on n'était pas au courant. Pourtant, il est utile de rappeler que les femmes ont souvent besoin de plus de congés que les hommes à la naissance d'un enfant.

Notez bien, messieurs les masculinistes, que je n'ai rien contre les hommes. Je veux juste que l'ensemble de la société revoie ses positions. Il est souvent arrivé que des femmes évitent de me confier une mission parce que j'étais enceinte, ou se plaignent que je ne pourrais pas assister à la réunion du soir à cause de mes enfants.

À vrai dire, ce sont généralement les femmes qui me font payer le fait d'être mère, et s'interrogent sur ma capacité à concilier travail et vie privée. Avec les hommes, le sexisme se manifeste autrement : ils doutent de mon intelligence ou de ma capacité à comprendre ce qu'ils me disent parce que je suis une femme, et non parce que j'ai fait le choix d'avoir des enfants.

Je ne pense pas pour autant qu'on doit tout faire pour me faciliter les choses, que je ne dois pas assumer les conséquences de mes choix ou que je dois obtenir ce que je veux sans me donner à fond.

"On impose aux femmes de courber l'échine. Parce que, bien entendu, c'est de notre faute si on ne se débrouille pas toute seule. Eh bien merde. Je suis tellement courbée que je me casse la gueule."

Mais il faut vraiment arrêter avec les contes de fées. Cessons de dire aux femmes qu'elles peuvent tout avoir sans rien sacrifier. Vous voulez la vérité? Si vous choisissez de mener de front l'éducation de vos enfants et votre carrière, les deux en pâtiront. Vous aurez constamment l'impression de ne pas accorder suffisamment de temps à chacun, de ne pas être à la hauteur. Vous n'aurez jamais de temps libre (au moins les premières années). Vous devrez faire des choix en permanence et ne penserez jamais à vous. Vous serez jugée pour chaque chose que vous faites, et ça ne sera jamais assez bien aux yeux des autres.

Pour vraiment changer la situation des femmes, il va falloir modifier les normes sociales. On doit pouvoir choisir de ne pas avoir d'enfants sans que ça pose problème. On fait comme si c'était déjà le cas, mais la plupart de mes amies sans enfant doivent sans cesse se justifier et je lis encore énormément d'articles qui défendent le choix inconcevable d'être femme sans être mère! Ces plaidoyers sont trop nombreux pour qu'on puisse penser que c'est entré dans les mœurs.

Et je ne vous parle même pas de toutes celles qui ont des problèmes de fertilité, qui ont le sentiment qu'on ne leur a pas laissé le choix. Et qui, pourtant, doivent quand même expliquer si elles veulent des enfants et, si oui, quand? Et si on arrêtait simplement de poser la question aux femmes sur ce choix personnel qu'est la reproduction? Si elles veulent vous en parler, elles le feront.

Il faut aussi accepter qu'elles puissent choisir d'arrêter de travailler. Je ne parle pas de cette attitude de pseudo tolérance où l'entourage pense secrètement qu'elles gâchent leur potentiel, et où elles se sentent obligées d'être les meilleures mères du monde, de s'épuiser à emmener leurs enfants à toutes les activités possibles et à leur apprendre mille et une choses. Non, une véritable acceptation. Pouvoir recevoir ses amis l'après-midi pour déguster un cocktail en cloîtrant les petites bêtes dans le jardin pendant une heure sans que ça déclenche un scandale. Passer la journée entière avec un petit, c'est aussi éprouvant que frustrant. Tout être humain normalement constitué aurait besoin de décompresser.

À l'inverse, elles doivent pouvoir continuer de travailler. Pas comme aujourd'hui, où elles doivent faire semblant (littéralement, dans mon cas) de ne pas avoir d'enfants et assurer de tous les côtés tout en s'occupant de bébé. Il ne faut plus que ça pose de problèmes. Elles doivent pouvoir être enceintes sans que les collègues paniquent et pensent qu'elles ne travailleront plus jamais ou qu'elles ne voudront plus se charger des tâches les plus exigeantes.

En bref, qu'elles n'aient pas à congeler leurs ovules et attendre 45 ans pour avoir un enfant (sauf si elles en ont envie) par peur de devoir faire une croix définitive sur leur carrière à 28 ans. Qu'elles ne se sentent pas obligées de déposer leur nouveau-né à la garderie pour filer au travail, au risque de regretter cette décision toute leur vie.

Vous voulez la vérité? Si vous choisissez de mener de front l'éducation de vos enfants et votre carrière, les deux en pâtiront."

"

Nous devons aider toutes les mères, indépendamment de la couleur de leur peau ou de leur revenu. La vice-présidente d'une entreprise de nouvelles technologies ne mérite ni plus ni moins de prendre un congé de maternité, d'avoir la sécurité de l'emploi et une garde d'enfants adaptée à ses besoins que la serveuse d'un restaurant. C'est simplement qu'on oblige aujourd'hui les mères à travailler. Elles sont beaucoup à avoir un boulot, mais pas par commodité ou par choix. Il faut que cela cesse.

Je ne veux pas de traitement de faveur ou que les femmes passent leur temps à clamer que la maternité est bien le travail le plus exigeant qui soit. Et je n'exige pas non plus, comme me l'ont récemment reproché quelques masculinistes sur Twitter, qu'on "me file de l'argent et des passe-droits parce que j'ai un vagin".

Ce que je dis, c'est que les femmes doivent pouvoir dire qu'elles sont enceintes, ou prendre du repos après l'accouchement sans craindre de nuire à leur carrière.

Donnons une nouvelle définition à l'expression "tout avoir". Mieux, laissons chacune décider de ce qui lui correspond le mieux. Parce que, quand j'y pense, j'ai passé le premier mois de la vie de mon fils à faire comme si je ne venais pas d'accoucher. Je me suis même félicitée d'avoir si bien réussi. Et il n'y a rien de plus triste.

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Cet article initialement publié sur le Huffington Post États-Unis a été traduit de l'anglais.

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