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Enfin, on assiste à un effort concerté pour traduire le groupe État islamique en justice

Grâce à une nouvelle enquête internationale, les victimes de l’organisation terroriste ont à présent un espoir de se faire entendre dans les tribunaux.
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Amal Clooney, avec Nadia Murad, victime yézidie de l'Etat islamique, à l'ONU, le 9 mars 2017.
Lucas Jackson / Reuters
Amal Clooney, avec Nadia Murad, victime yézidie de l'Etat islamique, à l'ONU, le 9 mars 2017.

Pour la première fois, les Nations unies ont lancé une enquête internationale sur les crimes de Daech. Elles adressent ainsi un message à ces terroristes: leurs génocides, crimes de guerre ou crimes contre l'humanité les exposent à présent à des poursuites. Quant aux victimes, elles pourront peut-être enfin être entendues devant les tribunaux.

La résolution 2379, proposée par le Royaume-Uni, a été adoptée jeudi à l'unanimité par les 15 membres du Conseil de sécurité. Elle met en place une équipe d'enquêteurs, dirigée par un conseiller spécial et chargée de recueillir des preuves des crimes de Daech en Irak. Ces éléments pourront ensuite être mis à profit pour juger les militants de l'organisation terroriste aux quatre coins de la planète. Cette décision — rare démonstration d'unité pour le Conseil de sécurité — oppose à Daech une riposte internationale qui transcende l'aspect militaire en s'engageant à poursuivre les islamistes devant les tribunaux. Pour les victimes, qui n'ont cessé de s'engager pour que justice soit faite, cette éventualité pourtant tardive de voir leurs bourreaux sur le banc des accusés représente une immense victoire.

D'après le ministère des Affaires étrangères américain, Daech a "commis une écrasante majorité des graves atteintes aux droits de l'homme" perpétrées en Irak. L'ONU a documenté ses terribles abus envers les chiites, les chrétiens, les sunnites et d'autres groupes, ainsi que des exactions s'apparentant à un génocide envers les Yézidis. Notamment parce qu'elle n'a pas de livre saint, les membres de cette minorité, qui n'est ni chrétienne ni musulmane, sont considérés par Daech comme les pires de tous les infidèles.

Nadia Murad, une rescapée devenue ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes de trafic d'êtres humains, fait partie de ces milliers de Yézidis kidnappés et réduits au rang d'esclaves sexuels par les combattants terroristes. Sa mère et ses frères ont été exécutés et ses neveux, enrôlés comme enfants soldats.

Nadia ne comprend pas pourquoi aucun membre de Daech n'a encore été traduit en justice pour ce génocide, qui a pourtant débuté il y a plus de trois ans. Pire encore, les traces de ces crimes disparaissent jour après jour: fuite des témoins, perte de preuves médico-légales, destruction de documents... Des fosses communes, y compris celle où, selon Nadia, sa mère serait enterrée, ont subi des altérations propres à compromettre leur exploitation. Si les éléments nécessaires ne sont pas recueillis dès aujourd'hui, justice ne pourra jamais être rendue. C'est pourquoi l'intervention du Conseil de sécurité est essentielle, non seulement pour les Yézidis mais pour toutes les victimes des sévices de Daech.

Les traces de ces crimes disparaissent jour après jour: fuite des témoins, perte de preuves médico-légales, destruction de documents.

L'équipe créée par le Conseil de sécurité travaillera en collaboration avec les procureurs et les juges irakiens pour récolter des preuves pour tout procès conforme aux normes internationales d'équité, dans le pays comme à l'étranger. Si de nombreux partisans de Daech ont trouvé la mort en Irak, des milliers d'autres y ont été arrêtés, et un nombre encore supérieur pourrait être maintenu en captivité pendant le processus de rassemblement des preuves. Certains combattants étrangers retournent aujourd'hui dans leur pays d'origine, où ils pourraient également être traduits en justice. La Cour pénale internationale, dont la compétence s'étend à tous les ressortissants de ses 124 Etats membres, pourrait elle aussi bénéficier de ces nouvelles pièces à conviction.

La résolution 2379 répond à un appel à l'aide du gouvernement irakien, pour qui le jugement des atrocités perpétrées massivement envers sa population représente un véritable défi. Si des procès ont déjà été tenus contre des membres de Daech dans le pays, le génocide et les violences sexuelles n'y ont jamais été cités parmi les chefs d'accusation. Ces procédures ont également suscité de sérieuses inquiétudes quant au respect des normes internationales en matière de justice.

L'ONU a constaté "des violations systématiques (...) des normes d'équité" de la part des tribunaux irakiens. D'après les observateurs dépêchés sur place, les juges basent régulièrement leurs condamnations sur des aveux obtenus sous la torture, et les accusés "sont rarement autorisés à présenter leur défense (...) ou à s'entretenir avec un avocat". Les rapports de Human Rights Watch et d'Amnesty International sont arrivés aux mêmes conclusions. Malgré ces lacunes, les verdicts sont souvent de lourdes peines de prison, voire des exécutions, car la peine capitale est de plus en plus répandue dans le pays.

Certains combattants étrangers retournent aujourd'hui dans leur pays d'origine, où ils pourraient également être traduits en justice.

Les Nations unies ne doivent pas se rendre complices de tribunaux devenus des machines à tuer, ni de procès non équitables, qui nient aux victimes le droit à une véritable justice. C'est pourquoi il est essentiel que la résolution exige "le plus strict respect des normes possible" dans le rassemblement des preuves, qui ne devront servir que dans des procédures "équitables et indépendantes". Sa formulation impose expressément le respect du droit international et des bonnes pratiques défendues par l'ONU de la part de l'équipe qu'elle mandate. C'est là une véritable exigence d'équité et l'engagement à ne pas recourir à la peine de mort.

La résolution 2379 prévoit également l'apport au système judiciaire irakien d'une aide internationale de longue durée visant à le rendre plus à même de tenir des procès équitables. Elle propose un "partage de savoir-faire et d'assistance technique avec l'Irak" de la part des experts internationaux de l'équipe mandatée, démarche que d'autres États devraient reprendre afin de "renforcer les tribunaux [irakiens]".

Ces mesures d'aide devraient comprendre une offre de formations à destination des juges et avocats, ainsi que des conseils d'ordre juridique sur la manière d'introduire les crimes internationaux dans la législation. Mais, à court terme, on imagine difficilement comment les tribunaux du pays pourraient respecter les normes relatives à l'équité sans une aide approfondie, comprenant une implication pertinente de juges, procureurs et superviseurs étrangers dans les procès.

Au final, l'issue de cette initiative dépendra des conditions de sa mise en pratique par les Nations unies et l'État irakien. Il reste beaucoup à faire, et le succès de l'enquête est loin d'être assuré. Mais Nadia et des milliers d'autres victimes de la barbarie de Daesh ont une raison de se réjouir: aujourd'hui, la justice est enfin à portée de main.

Amal Clooney est l'avocate de nombreuses victimes yézidies des exactions de Daech, dont Nadia Murad et les personnes représentées par l'association Yazda. Elle plaide depuis plus d'un an pour que les crimes de Daech fassent l'objet d'une enquête de l'ONU et de poursuites devant les tribunaux internationaux. Elle représente actuellement des femmes yézidies dans des affaires les opposant à des membres actuels et passés de l'organisation terroriste, en Allemagne et aux États-Unis.

Cet article, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast For Word.

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