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Avons-nous encore des raisons communes de vivre ensemble?

Les incompatibilités entre l’islam et la démocratie libérale sont brandies comme étant une vérité de fait indépassable.
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Philippe Lissac /GODONG via Getty Images

Il devient de plus en plus difficile d'être un citoyen occidental de confession musulmane, comme il devient angoissant d'être un citoyen occidental appelé à vivre avec des concitoyens musulmans. Ce constat d'une coexistence difficile entre les Québécois musulmans et les Québécois non-musulmans ne s'explique pas seulement par un prétendu choc des civilisations. Elle tient au fait que ces deux sujets, à la faveur des circonstances nationales et internationales que ni l'un ni l'autre ne contrôle véritablement, sont en phase de ne plus partager un monde commun.

Le désir de séparation

L'angoisse, la crainte, la rupture et l'inimité sont en train devenir les nouvelles modalités du rapport entre ces deux sujets, qui, par la confrontation de ce qu'ils sont, ne semblent plus pouvoir partager un même monde : l'appartenance est devenue un motif de distanciation ; comme si exister est devenu l'autre nom de la négation de l'autre. L'incompréhension est devenue totale. Les incompatibilités entre l'islam et la démocratie libérale sont brandies comme étant une vérité de fait indépassable. Le langage est devenu incapable de dire le réel ; les réalités elles –mêmes sont soumises à l'arbitraire des perceptions. L'heure est à la catégorisation et aux positions extrêmes. La nuance est devenue une compromission. Le juste milieu un défaitisme. Jamais le désir de séparation n'a été aussi réel. Le politique, contrairement aux espoirs d'Hannah Arendt, ne permet plus d'aimer et d'habiter le monde ; car le monde, parce qu'il est culturellement diversifié, est devenu suspect ; cette suspicion s'accroit davantage sous l'effet justement diversifiant de la présence musulmane en occident.

L'essoufflement du langage

Au Québec, on s'est pris à rêver que l'attentat contre la grande mosquée de Québec aurait pu susciter l'espoir de bâtir un monde commun entre les Québécois musulmans et les Québécois non-musulmans. Effectivement, les manifestations incroyables de solidarité et l'attitude responsable affichée par la classe politique pendant cette tragédie témoignaient à la fois de l'existence d'un résiduel du commun et de la possibilité de maintenir vivantes les raisons communes qui fondent une communauté politique. Mais le propre d'une tragédie, c'est de rappeler à l'homme la positivité du mal, et l'inviter, au moyen de ce rappel, à prendre conscience de la responsabilité qu'il doit assumer dans la conservation du monde. Rien ne dit, par ailleurs, que la conscience de la fragilité du monde induirait une responsabilité effective en vue de le préserver. Pour concilier ces deux dimensions, il faut compter sur le temps. Or, le temps efface, il atténue ; sans jamais faire disparaître, il fait oublier. Entre le 29 janvier 2017 et le 29 janvier 2018, on peut se demander, vu l'effet du temps sur les évènements, si nous avions tiré des leçons qui nous permettront de réinventer des rapports nouveaux entre les Québécois musulmans et non musulmans ? Autrement dit, les leçons tirées de la tuerie survenue à la grande mosquée de Québec peuvent-elles nourrir l'espoir d'un monde commun, un Québec aimable et habitable ? serait-il possible de DIRE NOUS avec les citoyens musulmans ? Ce ne serait pas impossible, mais présentement il est permis d'en douter.

Il suffit de prendre connaissance des controverses qui entourent l'usage du terme islamophobie, et de la manière dont on perçoit le rapport entre l'islam et le mot valise d'islamisme.

Il suffit de prendre connaissance des controverses qui entourent l'usage du terme islamophobie, et de la manière dont on perçoit le rapport entre l'islam et le mot valise d'islamisme. Pour certains, le terme islamophobie ne doit pas être consacré parce qu'il impliquerait l'idée que tous les Québécois sont islamophobes, et empêcherait la critique légitime de l'islam; tandis que pour d'autres, les actes de violence qui visent certaines personnes parce qu'elles sont musulmanes relèvent de l'islamophobie. Racisme antimusulman ou islamophobie ? On ne sait plus trop comment qualifier les craintes et les peurs en l'endroit des musulmans; comment nommer les actes haineux qui ne cessent de se multiplier ? Là où certains dénoncent une islamophobie imaginaire, d'autres perçoivent une islamophobie réelle. Et pourtant l'islam et les musulmans suscitent des peurs, à tort ou à raison. Mais devant le caractère irréconciliable des perceptions, le langage est essoufflé; il bat en retraite, laissant la description de la réalité au phantasme de chacun.

Islam et islamisme. Quel rapport ? Ici encore, c'est la cacophonie, le cafouillage. Chacun y va de soi. Qu'est-ce que l'islamisme ? (Le terrorisme ? Porter le voile ou le niqab? Demander des accommodements raisonnables ? ). Et l'islamiste, qui est-il ? (Le chef de Daesh ? Tariq ramadan ? Dalila Awada ? ceux qui demandent une journée nationale contre l'islamophobie ? Ceux qui ne sont pas des penseurs dits libéraux ?). S'agissant de l'islamisme et des islamistes, tout dépendrait visiblement de nos choix. Et pourtant un vivre ensemble ne peut pas se construire sur la base de perceptions arbitraires. Il va falloir se décentrer, éprouver ces propres perceptions afin que les positions de chacun rendent possible un espace des raisons communes.

Avril 2018

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