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Qu'est-ce qui pousse des entreprises à payer pour leurs émissions de carbone?

ECONOMIE- Ma recherche a consisté à éclairer ce paradoxe et les raisons qui poussent des entreprises, des collectivités, voire des particuliers à payer pour leurs émissions de carbone sans y être obligés par la loi.
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Ce billet est publié dans le cadre de l'opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d'universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Comment expliquer que des entreprises financent des projets de lutte contre le réchauffement climatique alors qu'elles ne sont pas soumises aux obligations du protocole de Kyoto? Ce dernier, qui prenait fin en 2012, avait mis en place un marché carbone réglementé, mais aujourd'hui, faute de réglementation et d'une baisse des demandes liée à la crise économique, le prix de la tonne de CO2 échangée sur ce marché n'atteint pas même un dollar. Il existe, cependant, un autre marché carbone, cette fois volontaire, qui se porte plutôt bien: le prix de la tonne de CO2 se situe lui en moyenne à 5,9 dollars US (environ 6,5$).

Ma recherche a consisté à éclairer ce paradoxe et les raisons qui poussent des entreprises, des collectivités, voire des particuliers, à payer pour leurs émissions de carbone sans y être obligés par la loi. Mon travail a permis de mettre en lumière le rôle joué par la régulation publique et celui joué par les «opérateurs» (ONG et entreprises qui offrent le financement de projets de réductions de GES) dans l'émergence de ce marché.

Deux marchés carbone

Le «marché carbone réglementé» a été mis en place en 2005 par le protocole de Kyoto afin d'aider les états ayant ratifié le protocole à respecter leurs objectifs de limitation d'émissions de gaz à effet de serre (GES) (1). Son principe est le suivant : chaque état alloue des quotas d'émissions à ses entreprises les plus polluantes et dans le cas où ces dernières dépassent leurs quotas, elles doivent acheter des quotas d'émissions à des entreprises qui en ont un surplus et/ou acquérir des «crédits carbone», via lesquels elles financent des projets de réduction d'émissions de GES dans des pays en voie de développement.

Dans le cas du marché carbone volontaire, il n'y a pas de quotas puisque l'on ne se trouve pas dans le secteur des entreprises les plus polluantes et contraintes par la loi à réduire leurs émissions. Il existe cependant le même principe de "compensation carbone" où l'achat de "crédits carbone" volontaires permet le financement d'un projet de réduction d'émissions de GES à l'étranger pouvant être, par exemple, un projet de reboisement pour stocker du dioxyde de carbone ou un projet de recouvrement de décharge pour limiter les émissions de méthane liées à la décomposition des déchets.

La régulation publique aux sources du marché carbone volontaire

Sur le plan international, le marché carbone volontaire s'est véritablement développé à partir de 2006, soit un an après l'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto et la mise en place de règles élaborées par l'ONU.

Les opérateurs du marché volontaire se sont en effet appuyés sur les règles de l'ONU comme par exemple les méthodes de calcul des réductions d'émissions de GES ou encore la vérification par un auditeur externe du projet de réduction de GES afin de garantir le sérieux des tonnes de CO2 évitées qu'ils vendent aux entreprises clientes.

En France, les opérateurs, qui sont des entreprises ou ONG, ont également bénéficié de l'action étatique. En effet, la loi « Grenelle 2 », promulguée en juillet 2010, a mis en place pour les entreprises de plus de 500 salariés l'obligation de réaliser un bilan d'émission de GES. Les entreprises ayant calculé leurs émissions de GES, elles étaient alors plus sensibles au démarchage des opérateurs qui leur proposaient d'investir dans des projets de compensation carbone afin d'atténuer leur bilan d'émissions de GES.

En outre, les incertitudes régnant sur l'évolution de la régulation publique ont encouragé la formation d'une "demande" volontaire. Le périmètre futur des obligations à compenser les émissions de CO2 étant demeuré incertain, il est arrivé que certaines entreprises veuillent investir dans des projets de compensation afin d'anticiper la mise en place éventuelle de normes plus contraignantes.

Une offre conçue par les opérateurs de compensation pour transformer les crédits carbone en biens d'investissement

Par ailleurs, mon enquête a permis d'établir qu'à côté du rôle joué par les puissances publiques, le développement du marché volontaire doit aussi à « l'intelligence » de l'offre mise en place par les opérateurs. Une offre qui procède à la fois d'une démarche technique et commerciale.

Premièrement, pour assurer la valeur environnementale de leurs produits, en l'occurrence des tonnes de CO2 évitées, les opérateurs recourent à des ingénieurs, dont les compétences permettent de développer des projets répondant à des critères de labellisation, lesquels varient d'un standard privé à un autre mais s'inspirent globalement de ceux qui ont été établis par l'ONU dans le cadre du marché carbone réglementé. Il s'agit là d'une condition indispensable pour mettre les clients en confiance avant qu'ils investissent dans un produit nouveau dont la valeur est incertaine. Il s'agit aussi d'assurer les prospects que leur opération ne pourra être taxée de simple opération de communication, assimilable à du Greenwashing.

Au-delà de ces aspects techniques, encore faut-il comprendre comment les opérateurs recrutent leurs clients dans un contexte de crise économique où la dépense d'une compensation volontaire peut sembler « irrationnelle » au sens de l'économie classique. Pour ce faire, les commerciaux cherchent à susciter l'intérêt des entreprises clientes dans la compensation carbone. Par exemple si une entreprise cliente décide de s'implanter au Brésil, le commercial lui proposera d'investir dans un projet de reforestation en Amazonie afin qu'elle puisse valoriser son installation auprès des populations locales et de ses clients.

C'est donc une stratégie combinant élaboration technique et approche commerciale qui permet aux opérateurs de convaincre les clients de la qualité et de la rentabilité de leur investissement. Une stratégie qui semble porter ses fruits au regard de la « bonne santé » du marché volontaire.

Cependant, la période d'engagement définie par le protocole de Kyoto s'est à présent achevée et de nouveaux engagements contraignants n'ont toujours pas pu être pris lors de la dernière conférence de Varsovie sur le changement climatique. Quelle sera donc l'évolution du marché volontaire, pourra-t-il se maintenir, voire se développer sans engagements de la communauté internationale et des Etats?

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(1) Les "gaz à effet de serre" (GES) réchauffent la Terre en piégeant la chaleur solaire renvoyée par le sol. C'est le même phénomène que celui qui est observé dans une serre : les vitres emprisonnent une partie du rayonnement solaire, ce qui explique qu'il fasse plus chaud dans la serre qu'à l'extérieur (Bellassen et Leguet, La compensation carbone volontaire, 2008, Pearson, Paris, p.9-11).

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