Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Cocaïne et états de conscience: rencontre avec Lolita Sene

Rencontre avec Lolita Sene, ex-cocaïnomane devenue écrivaine.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Comment la cocaïne altère-t-elle nos états de conscience? Émousse-t-elle notre capacité à éprouver désir et plaisir? S'immisce-t-elle dans nos rêves?

Lolita Sene est devenue malgré elle une experte de la coke. Dans son livre C., la face noire de la blanche, qui sort en ce moment, elle raconte son histoire, de sa première ligne à sa dernière descente.

Je l'ai rencontrée lors d'une visite à Paris pour sonder les effets de cette drogue sur notre conscience.

La chute

Rien ne s'installe aussi vite qu'une mauvaise habitude... Mais si on commence souvent par jeu ou par curiosité, on peut basculer du jour au lendemain dans l'accoutumance. D'abord sans s'en rendre compte, Lolita s'aperçoit au bout de quelques années qu'elle est devenue sérieusement dépendante: pas de semaine sans produit, et encore moins de week-end, ni de vacances. Pas d'ami, ni de petit ami sans substance. La poudre est devenue le feu qui permet à notre protagoniste d'exister.

Pendant cinq ans, elle n'arrête jamais, et quand elle arrête, c'est pour reprendre au bout de quelques mois.

Le double

Lorsqu'elle arrête, elle a le sentiment de «dire au revoir à sa meilleure amie, au meilleur versant d'elle-même». Sous cocaïne, Lolita est autre: confiante, elle se trouve belle, elle s'adore. Une euphorie qui brûle l'être qui la nourrit. Comme une actrice qui brillerait d'autant plus que son double se fane en coulisse. On pense à Dorian Gray ou à Peau de chagrin. Dire au revoir à cette amie lui fend le coeur, mais une fois détachée, elle se rend compte qu'elle s'est gâchée, «bâclée».

«Si on tombe très vite amoureux de la cocaïne, c'est aussi parce que l'on tombe amoureux de soi-même», me dit Lolita. «Quand je tapais, alors je m'aimais tellement... au point où le sexe n'existait plus, car on n'avait pas vraiment besoin de l'autre».

Le plaisir

Avoir systématiquement accès à un plaisir total et absolu, de façon régulière, doit vraisemblablement éroder notre capacité à apprécier ce plaisir. Comme avec une machine à sous: si à chaque fois qu'on tire le levier on tombe sur trois symboles identiques: on se lasse... L'incertitude est donc le sel du plaisir. Et pourtant, la cocaïne nous pousse à tirer le levier encore et toujours.

«La vie c'est aussi être triste et s'ennuyer», continue Lolita, «notre société nous préfère performants, souriants, et nous évite si nous sommes malheureux. Alors la cocaïne répond parfaitement à ces attentes. Quand j'ai arrêté, je suis passée par une période de depression et j'ai compris que je devais l'accepter.»

L'anticipation

Prendre de la cocaïne, c'est oublier le temps. «Le nombre de rendez-vous hyper-importants qui ont sauté à cause de ça... La drogue annule tout l'espace-temps autour de soi, y compris le présent. C'est la défonce.»

C'est presque un retour à l'état foetal, ou une accélération vers la mort.

La confiance en soi

Chimiquement, le cerveau est en ebullition avec cette drogue. Un état d'auto-satisfaction s'empare de la conscience. Mais Lolita précise: «Certains deviennent très sombres sous coke. Ce sont ceux qui consomment depuis longtemps. Pour eux l'effet euphorique fonctionne moins qu'avant. Au debut, j'étais une pile électrique qui n'arrêtais pas de parler. Mais après six ans de consommation, cet état a dégénéré en un état d'énervement. Disons qu'au debut, on vit cinq heures positives et une heure négative. Puis, plus les années passent, plus le ratio s'inverse... d'où la fuite en avant.»

Une fois sevrée, elle continue à voir ses amis, eux restés accros: «Je venais d'arrêter, et mes amis sont arrivés chez moi, ont commencé à taper, et d'un coup je ne comprenais plus rien à ce qu'il racontaient. Ils passaient du coq à l'âne toutes les secondes, debout, un vrai ping-pong. Je suis partie, ça tournait à vide.»

La créativité

«On n'écrit pas vraiment bien sous cocaïne», ajoute-t-elle, «on a ce mythe de l'artiste qui devient génial sous l'emprise des substances... Mais 90% des grandes oeuvres ont été écrites à jeun. À chaque fois que j'écris à jeun, c'est bien mieux. Je suis en phase, c'est une recherche de spiritualité, comme une prière. Peut-être cherche-t-on ça avec la drogue. Il vaut mieux réussir à rentrer dans cette méditation réellement, et donc être sobre.»

La curiosité

La cocaïne aiguise-t-elle la curiosité? «On a l'impression de s'intéresser à beaucoup de choses et mais aussi beaucoup à soi... Oui, on a cette envie de connaître, d'apprendre, mais ça ne mène à rien car il y'a tellement d'infos qu'on oublie, on ne peut plus faire le tri. C'est pour ca que cette drogue se marie bien avec notre société: la vitesse, la confiance en soi, le trop plein d'informations, les rencontres et les sourires... Ça me rappelle Facebook...»

L'ennui

Prend-on de la coke par ennui, ou par peur de l'ennui? Lolita répond: «Depuis le début du XXe siècle, on a cette idée de gommer l'ennui. Mais l'ennui fait partie non seulement du processus créatif, mais aussi de l'épanouissement, de la vie tout simplement.»

Fuir devant son désert intérieur est-ce une forme de lâcheté? Oui.

Les rêves

«À présent, je me souviens mieux de mes rêves, et j'ai du réapprendre à dormir», me dit-elle, «mais pendant mes périodes de craving [manque], j'ai rêvé que je tapais, deux fois, et à chaque fois c'était incroyable, j'étais heureuse, comme quand on se sépare de son petit copain et qu'on se retrouve en rêve». La drogue connait donc aussi vos joies les plus secrètes.

Le désir

Au cours de son récit, Lolita ne vit des histoires d'amours qu'avec de lourds consommateurs. Le désir amoureux s'en retrouve contaminé: vouloir l'être ou la substance, quelle importance quand on peut avoir les deux? Lorsque que l'un vient à manquer, c'est la panique. La drogue polarise le désir, comme un pirate de l'air s'infiltrant dans le cockpit et forçant le pilote à ne survoler que des zones où il est écrit en lettres gigantesques: «ICI COCAÏNE».

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

L’Affaire Myosotis (Québec Amérique, mars)

Livres québécois à surveiller en 2015

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.