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Briser le plafond de verre pour les personnes trans

En janvier prochain, je deviendrai la première personne trans francophone dans l’histoire canadienne, spécialiste des études trans, à être embauchée comme professeur pour enseigner la diversité sexuelle et de genre, en français.
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jakkapan21 via Getty Images

En janvier prochain, je deviendrai la première personne trans francophone dans l'histoire canadienne, spécialiste des études trans, à être embauchée comme professeur pour enseigner la diversité sexuelle et de genre, en français. Si j'ai explosé de joie lorsque l'École de service social de l'Université d'Ottawa m'a annoncé cette nouvelle, je ne peux me résoudre à penser à toutes ces personnes trans sans emplois au Canada. Bien que j'aie envie de célébrer le fait que j'aurai désormais la chance de pouvoir me consacrer à ma passion intellectuelle et ce gain historique pour les communautés, les savoirs et les études trans francophones, il me semble qu'il serait réducteur de focaliser cet éditorial sur mon expérience personnelle, précoce de crier victoire et inconscient de ne pas saisir cette occasion pour sensibiliser les gens aux diverses formes de violence, d'exclusion, de marginalisation et de discrimination que vivent les personnes trans.

Les enjeux trans sont de plus en plus visibles dans les représentations culturelles, dans les médias, ainsi que dans les réseaux activistes, communautaires et universitaires. Dans les universités, les étudiants démontrent un vif intérêt pour ces enjeux et de plus en plus de travaux sont menés sur ceux-ci, tant par des étudiants que par des professeurs cisgenres (i.e. non trans) s'intéressant à la diversité sexuelle et de genre. Cet engouement pour les réalités trans pourrait laisser croire que le nombre de personnes trans spécialistes des études trans dans les universités canadiennes se multiplie. Or ce n'est pas le cas. Malgré la multiplication de personnes trans diplômées expertes de ces enjeux, il semble que les départements ne soient pas prêts à les embaucher. Selon mes recherches, seules huit d'entre elles occupent des postes de professeurs (permanents ou menant à la permanence), tous départements confondus. Parmi celles-ci, il n'y a que deux femmes, une personne racisée et aucune francophone. Je deviendrai ainsi le neuvième professeur et premier francophone trans spécialiste des réalités trans au Canada.

La discrimination indirecte se manifeste également sur le plan des savoirs considérés valables et légitimes au sein des départements, qui ne voient pas l'importance d'embaucher des spécialistes des réalités trans.

Mes travaux sur la sous-représentation des personnes trans spécialistes des études trans comme professeurs dans les universités montrent que leur relative absence s'explique à la lumière de discriminations directes fondées sur l'identité de genre ou son expression, mais aussi de discriminations indirectes, comme l'absence de mécanismes de soutien institutionnels tels que les mesures de discrimination positive, prenant en considération les barrières systémiques comme la transphobie et le cisgenrisme ou les réalités spécifiques comme les chirurgies ou le temps de convalescence qui sont vécues par les personnes trans. La discrimination indirecte se manifeste également sur le plan des savoirs considérés valables et légitimes au sein des départements, qui ne voient pas l'importance d'embaucher des spécialistes des réalités trans. Un autre facteur contribuant à cette sous-représentation est l'exploitation du travail invisible que font les personnes trans permettant aux universitaires de poursuivre des recherches sur les personnes trans en continuant de les exclure des postes permanents. Les personnes trans sont pourtant présentes dans diverses fonctions à titre de chargés de cours, professeurs contractuels, assistants de recherche, etc., et portent dans l'ombre une charge importante de travail, souvent gratuitement. Il est donc temps de briser ce plafond de verre.

Les discriminations auxquelles font face les personnes trans dans les universités sont le reflet de celles qu'elles vivent plus généralement sur le marché de l'emploi; seulement 37% sont employées à temps plein au Canada, situant ainsi les populations trans parmi les groupes marginalisés les plus affectés par le chômage et la pauvreté, avec un revenu moyen de 15 000$ par année ou moins (Trans Pulse Survey). Pour les personnes trans qui occupent des emplois, elles vivent d'importantes formes de violence, de discrimination et d'exclusion dans les milieux de travail. Moqueries, violences verbales, non-respect des pronoms choisis, absences de congés médicaux liés à la transition, accès difficile aux toilettes/vestiaires, bris de confidentialité quant à leur statut trans en sont quelques exemples.

Heureusement, j'ai obtenu un emploi après quatre ans à la recherche active d'un poste. En revanche, la situation me désole pour mes collègues trans qui n'ont pas les mêmes privilèges et pour toutes les personnes trans sans emplois. C'est donc un cri du cœur que je lance à mes collègues des milieux universitaires et communautaires, aux employeurs, aux décideurs politiques et d'autres personnes qui, comme moi, jouissent d'une tribune publique pour s'exprimer, afin que nous joignions nos voix pour dénoncer le « tokenism » des personnes trans dans divers milieux et commencions à véritablement inclure leurs voix au sein de nos actions, revendications, politiques, recherches, institutions et milieux de travail.

Avril 2018

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