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Repenser le «viagra féminin»

Et si les femmes ne manquaient pas de libido? Et si tout ce qu'on prétend connaître sur la sexualité des femmes découle de mythes et de fantasmes masculins?
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Dernièrement, la pilule Addyi, surnommée le «Viagra féminin», s'est fait donner le feu vert par la Food and Drug Administration (FDA) américaine dans le but de servir de «traitement pour le trouble de désir sexuel».

Malgré les difficultés passées de cette pilule (dont les rejets multiples de la part de la FDA, «l'efficacité» mise en doute et les nombreuses restrictions et risques qu'elle engendre), la directrice générale de l'entreprise Sprout Pharmaceuticals, Cynthia Whitehead, s'est extasiée devant l'opportunité d'exploration du désir sexuel féminin en affirmant que: «For decades, millions of women have been waiting for a medical solution to restore their sexual desire. And I'm thrilled that today the decision is finally being turned over to women and their health care providers regarding their sexual health.»

Alors que certaines et certains peuvent juger qu'il s'agit d'un gain pour les femmes, le discours mis de l'avant par celles-ci et ceux-ci s'inscrit dans la standardisation de la sexualité des femmes en fonction des attentes masculines.

En effet, la sexualité des femmes s'inscrit dans une dynamique sexuelle patriarcale, c'est-à-dire que ce sont historiquement les discours typiquement masculins et misogynes qui alimentent la normalisation de la sexualité, et un exemple flagrant qui se manifeste dans les médias est la fétichisation de la «frigidité» féminine (l'image de la Madone) et la sexualité «dévergondée» de la femme tentatrice, sexuelle et sexualisée.

Ces deux images catégorisent les femmes selon une narration masculine, pour qui ces femmes existent pour le plaisir et pour la famille. Bref, elles sont mises à la disposition des hommes, et ces mythes s'amplifient avec la fétichisation ethnique et les stéréotypes imposés aux corps racisés jugés «exotiques», comme la douceur chez les femmes asiatiques, pour n'en nommer qu'un.

Même au sein du mouvement féministe, certaines ne sont pas exemptes de calquer l'idée de la libération sexuelle féminine sur le gabarit des mythes masculins. Par exemple, des critiques envers les femmes qui refusent de voir la prostitution comme étant une forme de libération sexuelle (considérant entre autres le manque de choix et les violences systémiques qui poussent certaines femmes à devoir se prostituer) se voient greffer l'expression «pearl clutching» (qui se traduit par agripper son collier de perles et qui évoque l'idée d'une femme généralement plus âgée aux convictions puritaines). Une fois de plus, il est question de forcer une opposition entre la «frigide» et la «libérée».

En revenant à Addyi, on remarque que cette pilule se présente comme un traitement pour le manque de désir engendré en partie par une disparité jugée normale entre les désirs sexuels: de la libido mythique et binaire, parfois manquante et d'autres fois trop présente des femmes, et la libido dite incontrôlable des hommes. Au lieu de se questionner sur ces dynamiques entre sexes en fonction des discours qui existent sur la normalisation de la sexualité, on assiste à une solution qui adresserait des «dérèglementations chimiques».

Et si les femmes ne manquaient pas de libido? Et si tout ce qu'on prétend connaître sur la sexualité des femmes découle de mythes et de fantasmes masculins? Oser considérer le manque d'intérêt sexuel non pas comme un trouble à régler, mais bien par la raison bien simple que, parfois, les femmes n'ont tout simplement pas envie?

Au Québec, par exemple, les raisons ne manquent pas pour remarquer un désintérêt lié à des facteurs extérieurs, sociaux et économiques. En effet, les femmes gagnent généralement moins que les hommes, occupent plus souvent des emplois jugés précaires (c'est-à-dire qu'elles travaillent plus souvent à temps partiel ou de façon temporaire), elles sont majoritaires à la tête des familles monoparentales, et doivent s'absenter davantage du travail que leurs collègues masculins pour prendre soin des jeunes enfants ou pour des obligations familiales.

Historiquement, la «frigidité» des femmes n'était pas associée au manque de désir, mais bien le manque de désir de pénétration. La féministe Sheila Jeffreys s'est attardée aux discours entourant la sexualité au début du XXe siècle en marge des tentatives de «psychologisation» dans son livre The Spinster and Her Enemies pour constater que «Lesbianism and masturbation were likely to include some sexual response and were cited as cause and result of frigidity. Frigidity was quite simply woman's failure to respond with enthusiasm to one particular sexual practice, sexual intercourse.»

Or, le désir existe, mais le désir en fonction du modèle masculin semble être ce qui importe pour certains. Plus largement encore, les femmes ont-elles le droit de dire non?

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