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Comment se réapproprier sa ville? L'exemple des ruelles blanches à Montréal

Les ruelles blanches ont leur rôle à jouer dans l'amélioration de la qualité de vie des familles et,, pour mettre un frein à l'exode urbain.
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Il y a plus d'un an, à la suite d'une plainte émise par un voisin, des employés municipaux de l'arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension ont procédé à la démolition de deux patinoires construites par des citoyens. C'est ainsi que le concept des « ruelles blanches », celles que l'on s'approprie pour en faire des patinoires et des terrains de jeux hivernaux pour les enfants, est apparu dans les médias : il s'agirait du pendant hivernal des ruelles vertes. Or, cette décision en a indigné plus d'un ; en effet, pourquoi brimer une initiative proprement citoyenne qui revitalise l'espace commun, par ailleurs, laissé à l'abandon pendant la saison hivernale? De fait, les ruelles ne sont, de toute façon, généralement pas déneigées.

C'est pourquoi le 4 décembre 2013, quelques mois après le dépôt d'une motion instiguée par Elsie Lefebvre, la conseillère municipale de Villeray, et visant à « étudier les conditions de faisabilité d'appropriation hivernale des ruelles par le voisinage limitrophe », l'arrondissement a adopté un règlement nécessitant le « consentement signé par 50 % plus 1 des riverains dont la résidence longe directement l'espace convoité dans la ruelle » . Par ailleurs, le maire de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie, où les ruelles blanches existent depuis plusieurs années sans menace de conflits, et où les résident.e.s aménagent leur ruelle verte durant l'hiver, préfère une politique de non-ingérence et de non-intervention. Peu importe le moyen adopté pour encourager ces aménagements, il convient d'établir que des initiatives de la sorte, qui semblent pourtant anodines, s'inscrivent dans le cadre de la réappropriation citoyenne de l'espace public et ont des bénéfices considérables pour notre société, notamment à l'heure où le cynisme semble envahir la sphère politique et où les citoyen.ne.s peuvent se sentir impuissants devant l'administration de leur ville.

Contexte historique : la réappropriation citoyenne de l'espace public

Dans un premier temps, on peut inscrire les ruelles blanches et les initiatives citoyennes en général - on pensera aux ruelles vertes, au programme Place au soleil ou même aux carrés d'arbres - dans un mouvement qui est à l'origine d'une réaction contre l'urbanisme fonctionnaliste. Celui-ci, qui s'impose dès la Dépression et jusqu'aux années '70 , favorise la privatisation des espaces au détriment des citoyens qui s'en retrouvent dépossédés. En effet, en raison du manque d'espace croissant, les villes renoncent à leur culture urbanistique propre pour tendre vers une architecture fonctionnelle en s'inspirant des gratte-ciel américains. On remplace les rues traditionnelles par des axes de circulation destinés aux voitures et séparés des zones résidentielles. Quant aux ruelles, elles ne servent plus que de voie d'accès au stationnement. Dans les grands centres urbains, cela se traduit par une appropriation de l'espace jadis public par le domaine privé, ce qui a des conséquences indubitables sur le milieu urbain, notamment environnementales. En effet, les urbanistes de Lyon édictent qu'en destinant la rue à l'usage de l'automobile, on aurait négligé le fait que les espaces publics sont également des lieux de vie communs.

Or, au début des années '70, les urbanistes, les architectes et les environnementalistes élaborent un nouveau modèle urbanistique permettant de « répondre aux impératifs techniques de la circulation ». Ce modèle s'inscrit dans une véritable révolution culturelle dans laquelle s'incluent les autres mouvements contestataires de l'époque et où le citoyen veut reprendre sa place dans la société moderne. Le meilleur exemple de cette nouvelle culture urbaine figure dans les principes élaborés par Weber et Häfliger qui prônent la planification participative - plutôt que des études élaborées par des groupes restreints - pour réaménager la Seftigenstrasse dans la ville de Wabern en Allemagne.

À Montréal, en 1988, on a transformé un espace de stationnement en place publique pour favoriser la vie citoyenne : le parc Émilie-Gamelin. Cela met en exergue le concept d'initiative citoyenne au sein de ce type de projets urbains lorsqu'il qualifie la place publique de « place paysage » où une collectivité concernée peut s'approprier et habiter un espace et où la ville sert de lieu de représentation de la collectivité .

Les ruelles blanches : un moyen pour freiner l'exode urbain

En premier lieu, les conditions du secteur immobilier ont une conséquence importante dans les grandes villes industrialisées : la hausse des taxes foncières. À ce titre, en 1974, on a évalué que la valeur du mètre carré à Atlanta est passée de 200 à 1 200 dollars en dix ans. Cette contrainte, qui se conjugue au manque d'espace persistant en milieu urbain évoqué précédemment, a donné lieu à un phénomène qui touche particulièrement les jeunes familles à Montréal : l'exode urbain. On peut le définir par le déplacement des ménages montréalais vers les banlieues avoisinantes où les habitations concèdent plus d'espaces et ce, à moindre coût.

Un exemple approprié pour illustrer l'ampleur de ce phénomène serait le rapport d'étape piloté par l'actuel ministre de la Métropole, Jean-François Lisée. Ce rapport nous apprend qu'en 2006, 40% des « jeunes parents » âgés de 25 à 44 ans qui ont des revenus familiaux nets se situant entre 50 000$ et 99 999$ et ayant eu au moins leurs deux premiers enfants dans les cinq dernières années avaient quitté Montréal pour les municipalités avoisinantes. Néanmoins, peu avaient fait le chemin inverse, avec un ratio d'échange de 1 pour 17 . Le rapport cerne trois problèmes reliés à ce phénomène démographique : le coût élevé du logement, l'offre des produits domiciliaire qui ne répond pas aux besoins des jeunes familles, mais aussi la mauvaise perception de la qualité de vie urbaine pour élever des enfants. C'est pourquoi l'un des principaux axes d'intervention préconisés par ce rapport est d'« agir sur la qualité de vie des familles et promouvoir Montréal comme milieu de vie pour les familles ».

À la lumière de ce rapport, on peut émettre le postulat que les ruelles blanches ont leur rôle à jouer dans l'amélioration de la qualité de vie des familles et, a fortiori, pour mettre un frein à l'exode urbain. En effet, celles-ci permettent aux parents d'offrir une activité sportive aux enfants qui peuvent jouer à l'extérieur durant l'hiver sans même avoir besoin de se déplacer vers les parcs et les arénas.

Des initiatives citoyennes pour favoriser des améliorations juridiques et sociales

En définitive, ce sont parfois les petits gestes quotidiens propres aux citoyens qui sont les vecteurs de grands changements sociaux. À la lumière du cas des « ruelles blanches », une philosophie envisageable serait alors de combiner les initiatives du domaine municipal en aménagement qui améliorent la qualité de vie des citoyens, d'une part, à la participation citoyenne en elle-même, d'autre part, en favorisant les gestes quotidiens dans l'espace public. On peut notamment espérer que la responsabilité civile incombera à la ville plutôt qu'au citoyen en cas de plainte. Ainsi, bien que le règlement adopté en l'espèce soit un pas en avant, il serait souhaitable de voir que, dans le cadre plus général d'un litige soulevant des enjeux municipaux, les tribunaux considèrent la réappropriation et la revitalisation de l'espace public ainsi que les bienfaits qui en résultent comme des critères justifiant la limitation de certains privilèges rattachés au droit de propriété.

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Références :

  1. Ville de Montréal, Assemblée ordinaire du conseil municipal, Procès-verbal, CM 13 0160, (27 février 2013) à la p 69.
  2. Ville de Montréal, Utilisation des ruelles pendant l'hiver : l'arrondissement autorise les initiatives citoyennes à des fins récréatives, 4 décembre 2013.
  3. Ron F. Williams, « Déclin et survie des espaces publics canadiens au 20e siècle » dans Yona Jébrak et Barbara Julien, dir, Le temps de l'espace public urbain : construction, transformation et utilisation, Montréal, Éditions MultiMondes, 2008 à la p 16.
  4. François Tomas, La temporalité des villes, Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2003 aux pp 92-93.
  5. Isaac Joseph, La ville sans qualités, La Tour-d'Aigues, L'Aube, 1998 à la p 12.
  6. Ruedi Häfliger et Ueli Weber, Le changement de valeurs liées au trafic, à l'exemple de la Seftigenstrasse, Sulgen (Suisse), Anthos, 2000 cité dans François Tomas « L'espace public, un concept moribond ou en expansion ? » (2001) 76 : 1 Géocarrefour à la p 81.
  7. Jonathan Cha, « La « place paysage » : le dernier temps d'aménagement de la place publique à Montréal» dans Yona Jébrak et Barbara Julien, dir, Le temps de l'espace public urbain : construction, transformation et utilisation, Montréal, Éditions MultiMondes, 2008, à la p 79.
  8. Ibid à la p 85.
  9. Jean-Paul Gilli, Redéfinir le droit de propriété, Paris, Centre de Recherche d'Urbanisme, 1975 à la p 15.
  10. Québec, Assemblée Nationale, Ministère du conseil exécutif, Rapports d'étape du Comité de pilotage MONTRÉAL = FAMILLES. (19 septembre 2013).

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