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Les attentats de Paris montrent qu'Al-Qaïda avait peut-être raison à propos de Daech

TERRORISME - A ce stade, beaucoup de questions restent en suspens: la destruction de l'avion russe dans le Sinaï, les multiples attentats suicides de la semaine dernière à Beyrouth et ceux de Paris ont-ils été planifiés au plus haut niveau de Daech, et coordonnés depuis Raqa ou Mossoul?
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TERRORISME - A ce stade, beaucoup de questions restent en suspens: la destruction de l'avion russe dans le Sinaï, les multiples attentats suicides de la semaine dernière à Beyrouth et ceux de Paris ont-ils été planifiés au plus haut niveau de Daech, et coordonnés depuis Raqa ou Mossoul?

François Hollande a évoqué un lien avec Raqa, sans étayer ses accusations. Admettons que cela soit le cas. Du fait de ce revirement majeur dans la stratégie de l'organisation terroriste, les Occidentaux ne pourront plus passer sous silence les origines wahhabites de groupes comme Daech ou Al-Qaïda, ni les liens étroits qui les unissent à l'Arabie saoudite. Le royaume, qui leur est longtemps venu en aide, redoute aujourd'hui que sa progéniture monstrueuse ait aujourd'hui l'intention de "nettoyer" le pays de l'influence de la famille Al Saud et de revenir au wahhabisme pur ("l'Islam véritable" dont se revendique Daech) sur lequel le pays avait été fondé.

Contrairement à Al-Qaïda, organisation mondiale, éphémère et virtuelle, Daech a des ambitions territoriales.

Après le 11-Septembre, le fait que 15 des 19 terroristes étaient saoudiens a été passé sous silence par les autorités, qui ont privilégié la théorie des armes de destruction massive supposées de Saddam Hussein, une théorie sur laquelle Washington aurait aimé que le reste du monde se concentre davantage. Il sera plus difficile d'ignorer le contexte historique cette fois-ci.

Les Etats-Unis vont devoir prendre du recul et réexaminer entièrement la nature de ses alliances avec des partenaires comme la Turquie et l'Arabie saoudite, qui ont tous deux clairement manifesté leur intention de continuer à apporter leur aide aux forces du Califat (Daech, Al-Qaïda et Ahrar al-Sham) en Syrie. Il ne faut pas oublier que la population civile y vit quotidiennement, depuis cinq ans, dans la terreur de ce que Paris a connu vendredi. Il est difficile d'imaginer que les Occidentaux pourront continuer à fermer les yeux sur ces complicités après ce qui s'est produit dans le Sinaï, à Beyrouth et Paris.

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L'épouse d'une des victimes du double attentat qui a frappé une rue commerçante de Beyrouth. (MAHMOUD ZAYYAT/AFP/Getty Images)

Qu'est-ce qui explique donc ce revirement stratégique de l'organisation terroriste? Disons qu'il y a toujours eu un désaccord majeur entre les leaders d'Al-Qaïda et Daech: les premiers ont dit publiquement que les seconds avait fait une erreur en proclamant le Califat, que cette déclaration était prématurée et que les conditions n'étaient pas favorables.

Les opérations militaires d'Al-Qaïda ont pour objectif de "contrarier et épuiser" les Etats-Unis et ses alliés occidentaux, afin des les obliger à se disperser, ce qui aurait un impact sur le plan moral, militaire, politique et économique. La volonté d'Al-Qaïda de travailler en partenariat avec d'autres groupes insurgés en Syrie est l'un des signes de cette approche différente. A l'inverse, Daech rejette toute idée de coopération, et exige que les autres groupes lui fassent allégeance absolue.

Le groupe a choisi une position absolutiste: œuvrer, de toutes ses forces et sans plus attendre, à la création d'une "principauté divine" (le Califat) implantée géographiquement, avec des frontières, une administration, et un système judiciaire répondant aux préceptes de la sharia. La différence majeure entre les deux groupes est donc la notion de "territorialité." Contrairement à Al-Qaïda, organisation mondiale, éphémère et virtuelle, Daech a des ambitions territoriales.

Il est trop tôt pour savoir si Daech est en train de s'effondrer, mais cela semble être partiellement le cas.

Daech craindrait-elle de perdre le contrôle de ses territoires? Il se passe des choses étranges en Syrie. Les villages qu'elle a envahis depuis deux ans retombent en quelques heures aux mains des troupes gouvernementales. Partout, l'armée syrienne et ses alliés gagnent peu à peu du terrain, dans des zones âprement contestées. Il est trop tôt pour savoir si Daech est en train de s'effondrer, mais cela semble être partiellement le cas.

Alors, si elle commence à perdre ce qui la caractérisait - sa dominance sur une partie des territoires syrien et irakien - ses leaders se diront peut-être qu'Ayman al-Zawahiri avait raison, et qu'ils doivent adopter la stratégie d'Al-Qaïda (qui a déjà appelé à constituer un front commun face aux interventions russe et iranienne en Syrie).

Et si la destruction de l'avion russe, les attentats suicides à Beyrouth et Paris n'étaient pas l'œuvre des cadres de Daech? Ont-ils pu être commis de manière spontanée par des partisans locaux, sans décision ni assentiment de Raqa ou Mossoul?

Dans ce cas, le problème auquel l'Europe est confrontée serait différent, mais tout aussi sérieux. Par certains aspects, les éléments rendus publics infirment l'hypothèse d'une initiative menée depuis Raqa. De ce que nous savons à l'heure actuelle*, tous ceux qui étaient impliqués dans les attentats parisiens étaient Européens. Il s'agirait donc, en quelque sorte, d'une guerre entre Européens, d'autant qu'il n'est pas établi que les terroristes étaient allés en Syrie (l'authenticité du passeport syrien trouvé sur les lieux de l'un des attentats n'est pas établie).

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Les débris de l'Airbus A321 russe au lendemain de la catastrophe, dans la péninsule du Sinaï, en Egypte. (KHALED DESOUKI/AFP/Getty Images)

Si ces attentats n'ont pas été directement commandités par les leaders de Daech, il semble à première vue qu'une organisation de type Al-Qaïda soit en train de prendre forme en Europe, car les attentats parisiens ont été méticuleusement planifiés et exécutés. En revanche, les revendications sont à prendre avec des pincettes: certains attentats ont, par le passé, été revendiqués par des groupes islamistes qui ne les avaient pas commandités, ce qui a gravement nui à leur crédibilité.

Comme le remarquait Robert Fisk,

Omar Ismail Mostafai, l'un des kamikazes, était d'origine algérienne. D'autres suspects l'étaient peut-être aussi. Saïd et Cherif Kouachi, les responsables de l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, étaient eux aussi d'origine algérienne. Tous faisaient partie de la communauté algérienne de France, qui compte plus de cinq millions de personnes. Pour beaucoup de ces habitants des taudis de Saint-Denis et d'autres communes de la banlieue parisienne, la Guerre d'Algérie n'a jamais pris fin.

Dans cette hypothèse, la France et d'autres pays européens devront se poser la question de savoir comment leurs politiques ostensiblement multiculturelles ont donné lieu à un apartheid qui ne dit pas son nom, où les musulmans d'Europe se sentent exclus et méprisés par nombre de leurs concitoyens. Les chefs d'Etat européens ne peuvent plus ignorer le contexte historique qui fait que les musulmans algériens pensent (à tort ou à raison) que les Sunnites sont menacés, marginalisés, et dépossédés de leur pouvoir. Ou qu'un Algérien peut dire: "Je suis Syrien" au même titre qu'un Britannique ou n'importe quel Européen déclare: "Je suis Paris". Si tel est le cas, les bombardements de Raqa ne changeront rien à la donne.

Il ne s'agit nullement de justifier quoi que ce soit, mais au contraire de déplorer notre réticence actuelle à voir les choses telles qu'elles sont. Le wahhabisme puritain est la conséquence d'une ancienne crise dans le monde musulman. Il voulait mettre l'Islam à feu et à sang afin de le purger de sa décadence et son idolâtrie supposées. Aujourd'hui que les sunnites européens sont à nouveau en crise, le même appel résonne dans certaines mosquées parisiennes et londoniennes, et sur nombre de chaînes de télévision financées par nos "alliés" saoudiens et dans le Golfe.

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* Billet publié le 17 novembre 2015

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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