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Cette journée du 30 janvier fut synonyme de honte. La honte d'avoir un père qui était raciste. La honte d'avoir déjà eu des idées préconçues. La honte de savoir que le meurtrier était Québécois.
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J'ai vu le jour dans cette ville magnifique que l'on appelait jadis la vieille capitale et qui est de loin la plus vieille et la plus belle ville du Canada. Si belle qu'elle est un joyau du patrimoine mondial de l'UNESCO. Une ville qui sied à point dans la définition du mot romantique. Si bien qu'elle en devient synonyme.

Québec, c'est aussi une ville où l'on a un jour pris la décision de s'entourer de murs. Ces murs font son charme depuis, mais, les murs par définition, servent aussi à s'isoler des autres.

D'aussi loin que je me souvienne, feu mon père, en avait contre les immigrants. Lorsqu'il était petit, les premiers à avoir tenté de s'implanter à Québec furent les Chinois. (Les Irlandais l'ont fait bien avant, mais ils portaient l'étendard du catholicisme avec eux ce qui leur a valu un sauf-conduit valide à vie). Bref, mon père me racontait sans cesse le malin plaisir que lui et ses frères prenaient à emmerder le cuisinier d'un resto chinois. Vol de nourriture, seau d'eau versé du toit sur sa tête, tout y passait. Et moi, je l'écoutais suspendu à ses lèvres en rigolant du malheur de ce pauvre cuistot. Il ne reste depuis que bien peu de vestiges de ce quartier.

Des blagues d'enfants me direz-vous. Certes, j'en conviens! Cependant lorsque je regardais The Price is Right avec lui à l'heure du souper, il ne pouvait s'empêcher de pester contre les noirs. Ces « bougalous » (comme il les appelait) qui au son du « come on down » s'extasiaient en dévalant l'allée, filant tout droit vers Bob Barker, l'horripilaient au plus haut point. Pourquoi tant de haine? C'est encore un mystère pour moi.

Au début de l'âge adulte, je me suis acheté une voiture avec mes prêts et bourses. Une Renault 5, 1984. Ma copine de l'époque était si fière de moi. C'était une voiture usagée, il va sans dire. Elle avait 8 ans cette bagnole et, très tôt, les problèmes sont survenus. Quatre mois plus tard et plusieurs centaines de dollars en réparations, elle était exposée en permanence dans le stationnement de mon bloc appartement tel un artéfact de 1984.

Celui qui m'a vendu cette auto était un Tunisien d'origine que je connaissais bien. En fait, c'était le père d'un ami. Un ami, un coéquipier avec qui je pratiquais le sport préféré des immigrés, j'ai nommé le soccer. Son papa possédait le garage et c'est lui qui m'a vendu cette voiture. Un garage que mon père a menacé de faire exploser s'il ne reprenait pas ma voiture tout de go à la suite à mes mésaventures. Mon papa a utilisé des termes peu courtois à l'égard du garagiste en le traitant de tous les noms.

Quelques jours plus tard, le géniteur de mon ami a racheté ma voiture. Il n'a pas manqué de me rappeler que ce que mon père avait dit était intolérable et avec raison. En fait, il aurait probablement dû appeler la police, car mon père, une fois saoul, pouvait menacer quiconque. Surtout si j'étais impliqué. Surtout que mon père se sentait légitimé du seul fait que le méchant de l'histoire, selon lui, était un immigré.

Les vérités de mon père ont accompagné mes pensées durant plusieurs années et je m'en confesse. Au fond de moi, je savais que quelque chose clochait dans ce raisonnement où tout était blanc ou noir. Je le savais, mais l'actualité parfois, confirmait les appréhensions de papa et les miennes comme ce jour du 11 septembre 2001 où LE musulman a attaqué la ville qui représente le symbole de puissance du monde libre. Ce jour-là à Québec et dans tous les pays occidentaux, le musulman est devenu l'ennemi. Nous avons fait le même amalgame que le groupe État Islamique fait de nos jours avec l'Occident. Ils étaient les vilains et nous avions raison.

Je suis toujours ce gars fier de mes origines, seulement j'ai cessé de voir tout blanc ou tout noir... peut-être, parce que tout est plus gris à Montréal.

J'ai déménagé à Montréal en 2002 avec une jeune femme qui m'a ouvert les yeux sur le monde. Moins d'un an après ces attentats, mes préjugés étaient sans cesse mis à l'épreuve dans la métropole. J'ai vécu des évènements qui m'ont ramené à mes idées premières : « Tous les mêmes », répétais-je sans cesse.

Depuis, quinze années ont passées... et j'ai beaucoup changé. Je suis papa d'un petit Montréalais qui a pour maman une authentique Japonaise. Je suis toujours ce gars fier de mes origines, seulement j'ai cessé de voir tout blanc ou tout noir... peut-être, parce que tout est plus gris à Montréal.

Ce qui m'amène à ce matin du 30 janvier 2017 où je me suis réveillé de deux semaines de vacances de bien mauvaise façon. Je fus réveillé par mes souvenirs de la veille où de ma ville natale parvenaient des images surréalistes.

Toutes ces images tourbillonnaient dans ma tête alors qu'à trente secondes de la garderie en milieu familial de mon fils je fus happé par ce qui serait désormais ma nouvelle réalité. Voyez-vous, la gardienne de mon fils est musulmane. Mon fils l'aime. Je le vois dans ces petits yeux lorsque je lui dis qu'on quitte notre maison pour la sienne. Quant à elle, chaque fois qu'il repart, je le vois qu'elle l'adore et elle ne se gêne pas pour dire «je t'aime» à mon bel Akira. Moi aussi je l'aime, Madame Hafida.

À trente secondes de chez elle, j'ai dû composer avec ce nouveau sentiment que tant de musulmans ressentent depuis des années lorsqu'au nom de l'Islam, on tue des innocents.

Après des excuses maladroitement improvisées, c'est la tête basse que je me suis dirigé au Tim Horton. D'ordinaire, je commande mon café et je détale pour le boulot, mais ce matin, j'ai vu le voile de ma caissière préférée. Ce voile qu'elle porte quotidiennement, sans que je le perçoive vraiment. Ce matin, je lui aurais emprunté volontiers pour m'en couvrir le visage tellement j'étais gêné.

Je longeais le trottoir à l'abri des regards. J'avais honte qu'un musulman reconnaisse l'ancien moi. Lorsque je croyais croiser le regard d'un musulman ou d'une musulmane, j'avais tout de même envie de leur crier: « JE M'EXCUSE! »

Cette journée du 30 janvier fut synonyme de honte. La honte d'avoir un père qui était raciste. La honte d'avoir déjà eu des idées préconçues. La honte de savoir que le meurtrier était Québécois.

Paraphrasant la célèbre citation de René Lévesque: « Je n'ai jamais pensé que je pouvais être aussi honteux d'être québécois que ce soir-là».

Je suis convaincu que le jour viendra où nous serons de nouveau si fiers d'être québécois que les murs resteront à jamais les témoins de notre passé.

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