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Commémorer la solidarité: un hommage à Michel Chartrand

L'oeuvre d'art monumentalérigée en hommage à Michel Chartrand a été inaugurée la fin de semaine du 21-22 octobre. Elle a pris sa place dans l'immense parc de verdure qui porte son nom, à Longueuil, en cette année du centième anniversaire de sa naissance.
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L'oeuvre d'art monumental La force ouvrière érigée en hommage à Michel Chartrand a été inaugurée la fin de semaine du 21-22 octobre. Elle a pris sa place dans l'immense parc de verdure qui porte son nom, à Longueuil, en cette année du centième anniversaire de sa naissance.

Cette dernière création d'Armand Vaillancourt est très imposante, colossale: imaginez 20 plaques d'acier de 10 mètres de hauteur dressées sur une base de béton de 20 mètres par 16 mètres. Vue du ciel, elle évoque un volier d'outardes, une figure de la solidarité selon Vaillancourt.

La force ouvrière : un hommage à Michel Chartrand et à la solidarité

Aucun doute, Michel Chartrand méritait qu'on lui rende hommage: défenseur des droits ouvriers et des droits de la personne, de sa langue et de sa nation, il a été exemplaire de détermination et de courage. Épris de justice sociale, il en a fait un combat de tous les instants.

Ce personnage plus grand que nature a marqué l'histoire du Québec. Après avoir passé deux ans chez les moines trappistes d'Oka, où le silence et la méditation sont la norme, il a dû partir. Il a milité à la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) où il a fait la connaissance de sa femme, Simonne Monet. De cause en cause, il s'est retrouvé à prendre la parole afin de défendre haut et fort les valeurs chrétiennes de justice sociale.

Il s'affirmait socialiste chrétien, voire révolutionnaire chrétien, militant socialiste, mais pas communiste.

En 1949, il se lance comme bénévole dans le soutien aux mineurs d'Asbestos en grève. Par la suite, il apportera son aide aux grévistes de Murdochville, Louiseville, Dupuis Frères, etc. Il deviendra contractuel pour la CTCC (Confédération des travailleurs catholiques du Canada) qui deviendra la CSN en 1960. Il a été une figure dominante du mouvement ouvrier québécois durant cinq décennies.

Il s'est aussi investi de diverses manières dans l'amélioration des conditions de vie des Québécois moins bien nantis, en participant à la création d'associations coopératives et populaires, en mettant sur pied une fondation pour les accidentés du travail. Il a œuvré à la défense des droits et libertés des humains (associations de solidarité internationale). Il a aussi été au premier rang pour la défense du français (coorganisateur des luttes contre le Bill 63 et pour une université McGill en français, etc.).

On l'a souvent qualifié de communiste, mais il a toujours refusé ce qualificatif. Il s'affirmait socialiste chrétien, voire révolutionnaire chrétien, militant socialiste, mais pas communiste.

Concurrence des mémoires au Québec

Les États généraux sur la commémoration historique, tenus du 6 au 8 octobre dernier à Montréal ont rappelé que le gouvernement du Québec n'a pas de politique de commémoration historique, bien qu'en 1998 la Commission des biens culturels ait recommandé l'adoption d'une telle politique et le développement d'un programme commémoratif propre au Québec.

Comme le soulignait C. P. Courtois en conclusion de ces États généraux, les Québécois sont timides en matière de commémoration historique. D'autant plus que l'enseignement de l'histoire s'étiole. Ainsi ils hésitent à se commémorer, pensent que leurs fondateurs et événements historiques sont peu dignes de mention, ou méritent d'être effacés par l'Histoire. Comme si nous ne pouvions être fiers de notre patrimoine.

En fait, les Québécois sont fiers, mais la commémoration historique demeure difficile, dans un contexte canadien de concurrence des mémoires.

Nouvelles pratiques de commémoration: les initiatives du local

Comme l'a fort bien mis en évidence Pierre Nora (2000), on assiste à une certaine métamorphose de la commémoration. Celle-ci n'est plus le privilège exclusif de l'État central, «elle s'enracine de plus en plus dans le local». C'est ce qui s'est passé à Longueuil.

Chartrand et sa famille ont été citoyens de Longueuil une partie de leur vie. Sa femme Simonne Monet et lui ont vu leurs funérailles célébrées dans la cocathédrale de Longueuil et reposent au cimetière de Longueuil.

Après le décès de Michel Chartrand en 2010, le sculpteur Armand Vaillancourt s'est fait le promoteur d'un projet d'oeuvre d'art public en hommage à Chartrand. En décembre 2011, la ville de Longueuil, sa mairesse Caroline St-Hilaire en tête, s'est engagée à accueillir cette oeuvre dans le parc portant son nom.

Il y a eu d'une part, une campagne nationale de cueillette de fonds sous le patronage du comité organisateur afin de financer ce projet estimé à 1,4 million $. Plus de 500 donateurs individuels, la CSN et des dizaines d'organisations syndicales, et nombre d'entreprises ont contribué (la liste des contributeurs est inscrite sur les tableaux présents sur le site). Le Groupe Lune Rouge (Cirque du Soleil-Guy Laliberté), qui a pour mission de contribuer à des initiatives créatrices, a fait un don de 120 000 $ pour la réalisation de cette œuvre hommage. Armand Vaillancourt a lui-même apporté une importante contribution financière.

D'autre part, stimulé par le leadership de la ville, le milieu longueuillois s'est engagé. Depuis plus de 4 décennies, il y a des activités de transformation de l'acier à Longueuil, à l'origine c'était Sidbec, aujourd'hui c'est la multinationale Arcelor Mittal. Cette dernière a fourni gracieusement 500 tonnes d'acier pour cette construction monumentale. Des experts d'ELEMA, de CANAM et d'AGF ont prêté leur concours pour l'érection de cette structure d'acier imposante.

Le monument lui-même sera là pour longtemps et nous invitera à nous remémorer que la solidarité est possible, et qu'elle nous permet d'aller plus haut et plus loin, ensemble.

Longueuil hérite de cette œuvre d'art public pour une petite fraction du coût (10 %, voire moins). En accueillant cette œuvre d'art, Longueuil se positionne. La force ouvrière trouvera sa place aux côtés des autres œuvres d'Armand Vaillancourt, telles que sa sculpture Fontaine de la Plaza Embarcadero à San Francisco, Justice à Québec au Palais de justice, El clamor à Santo Domingo, etc. L'artistique et le culturel peuvent fort bien alimenter le touristique.

Art public: esprit du lieu, connaissance et émotion

L'appréciation d'une oeuvre d'art est une question subjective. Certains aiment, d'autres pas. En matière d'art public, il n'y a jamais unanimité. Mais, comme l'a écrit Walter Benjamin c'est «l'unicité de sa présence au lieu où elle se trouve», son «ici et maintenant» qui fait la valeur d'une œuvre d'art public.

Il faut apprendre à se laisser apprivoiser par l'esprit du lieu. La force ouvrière est placée en bordure d'un écrin de verdure, le site est propice à une petite halte. On peut y marcher et s'y reposer sur un des 4 bancs, y prendre connaissance des panneaux descriptifs, qui rendent compte de l'hommage.

Pour ceux qui n'ont pas connu Michel Chartrand et ceux qui aimeraient se le remémorer, il est possible de visionner le film Un homme de parole produit par l'ONF, ou encore visionner en rafale la série de 12 épisodes Chartrand et Simonne, qui nous replonge au cœur de l'histoire du Québec de 1930 à 1980.

Dans cette télésérie Pierre Vadeboncoeur trace ce portrait éloquent de son ami: «Ce passionné souvent excessif, tout plein d'intransigeance et de feu est animé par des idées d'une générosité sans pareil. Il n'a aucune ambition mesquine ni aucune crainte. Il ne fait aucun calcul, il n'a aucune prudence (...) Il y a une vérité de paix sous son langage agressif. Il y a une vérité de liberté sous sa parole intransigeante. Il y a une excellente nature sous son verbe offensant. Ce malcommode énorme est un superbe ami de l'humanité quoiqu'on en dise. Il n'a jamais cessé en tout cas de la défendre.»

Art public et acte créateur collectif: commémorer la solidarité ensemble

Michel Chartrand s'est engagé corps et âme pour les siens. Aujourd'hui le milieu lui dédie cet hommage. C'est la fin d'un parcours de 5 ans pour Armand Vaillancourt dans son projet de rendre hommage à Michel Chartrand et à la solidarité ouvrière. Lors de l'inauguration populaire, il a dit que ces cinq années ont été parmi les meilleures années de sa vie. Il a apprécié la dynamique de collaboration et d'entraide qui s'est développée dans la réalisation du projet.

Finalement, c'est un peu comme si l'action de création collective qui a fait œuvrer ensemble artiste et ingénieurs, créateurs et techniciens, mairesse et bénévoles du comité, entreprises et syndicats, public (ville) et privé (individus), comme si la pratique de la solidarité avait été plus importante que le monument lui-même. Mais en retour le monument lui-même sera là pour longtemps et nous invitera à nous remémorer que la solidarité est possible, et qu'elle nous permet d'aller plus haut et plus loin, ensemble.

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