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Petit guide historique pour suivre le conclave

«Nous avons un pape!» C'est par cette formule aujourd'hui célèbre que la population de Rome apprenait, au Moyen Âge déjà, l'élection d'un nouveau pape.
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"Nous avons un pape!" C'est par cette formule que la population de Rome apprenait, au Moyen Âge déjà, l'élection d'un nouveau pape.

Une élection qui pouvait prendre plus d'un an. Et qui se caractérisait par toute une série de rituels symboliques, dont la plupart sont demeurés inchangés jusqu'à nos jours.

L'élection du pape telle que nous la connaissons aujourd'hui s'est progressivement mise en place au Moyen Âge. Les premiers cérémonials qui décrivent cette élection dans le détail appartiennent aux toutes dernières années du XIIe siècle. Ils ont été écrits par deux membres de la curie romaine d'alors: Albinus, en 1189, et Cencius, vers 1192. Ces ouvrages nous serviront de guides dans ce "reportage" sur des rituels dont le sens s'est parfois perdu.

Tout commençait avec l'élection proprement dite."Le pontife de Rome étant mort et ayant reçu la sépulture, racontent Albinus et Cencius, les cardinaux se réunissent en un lieu connu, en une église, où, le troisième jour, après la messe en l'honneur du Saint-Esprit, ils traitent de l'élection, et ayant été fait l'examen des volontés de tous les cardinaux par quelques-uns d'entre eux, celui sur qui se porte le consentement de la majeure (ou de la meilleure) partie sera fait pape".

Les cardinaux devaient donc attendre trois jours après l'inhumation du pape défunt avant de se réunir pour débattre de l'élection. Ils se regroupaient dans un lieu "connu", sans s'y enfermer. La décision était prise à la majorité des électeurs. Depuis le troisième concile du Latran (1179), confirmant un décret pontifical de 1059 qui confiait aux cardinaux le droit exclusif d'élire le pape, une majorité des deux tiers des cardinaux présents était nécessaire.

Pour le vote lui-même, on finit par adopter les règles d'élection ecclésiastique que décrit le canon 24 du quatrième concile du Latran (1215). Elles prévoyaient trois types d'élection: celle "par bulletin secret" (un collège de trois scrutateurs était chargé de recueillir secrètement, un à un, tous les votes, et devait en informer par écrit les cardinaux présents); celle "par compromis" (confiée aux bons offices d'une commission d'arbitres, composée généralement de trois membres); ou celle "par inspiration", c'est-à-dire par acclamation.

Une fois le pape élu, le prieur des cardinaux-diacres s'adressait au peuple: "Ecce annuntio vobis gaudium magnum: habemus papam" ("Je vous annonce une grande joie: nous avons un pape"). Il donnait le nom que le pape portait avant l'élection, faisait son éloge et enfin proclamait son nouveau nom. Autant d'éléments restés inchangés jusqu'à nos jours.

Ensuite, racontent encore Albinus et Cencius, l'archidiacre ou le prieur des diacres revêtait le pape d'une chape rouge, ce qui était une façon de rendre tangible la dignité pontificale. Ce geste essentiel est inspiré de la "donation de Constantin", qui affirme que l'empereur avait donné au pape Sylvestre Ier (314-335) "divers vêtements impériaux", parmi lesquels la "chlamyde de pourpre". En réalité, l'usage de ce vêtement est attesté pour la première fois lors de l'élection en 1073 de Grégoire VII.

La suite de la cérémonie permettait de fondre rituels pontificaux sophistiqués et réjouissances populaires, l'ensemble ne durant pas moins d'une semaine, dans les deux grands pôles de la Rome chrétienne: le palais du Latran (siège officiel de l'évêque de Rome jusqu'à son retour d'Avignon, à la fin du XIVe siècle, situé au sud-est de Rome) et la basilique Saint-Pierre au Vatican (nord-ouest).

Portant le manteau rouge, le pape se rendait devant le portique de la basilique du Latran, où il devait s'asseoir sur un siège en pierre, appelé stercorata ou stercoraria, littéralement "siège de fumier", en accord avec un passage du premier livre de Samuel où on lit que Dieu "retire de la poussière le faible, du fumier il relève le pauvre, pour les faire asseoir avec les nobles et leur assigner un siège d'honneur". Puis il se rendait au palais du Latran devant lequel se trouvaient deux sièges que l'on disait de porphyre, roche volcanique dont le rouge intense faisait la pierre impériale par excellence, et qui étaient en réalité de marbre.

Le nouvel élu s'asseyait tout d'abord sur le siège qui était à sa droite. Là, le prieur de l'église Saint-Laurent lui remettait les clés de la basilique et du palais du Latran, ainsi que la férule (ferula), crosse qui, contrairement à celle des évêques, était droite. Le pape entrait par ce geste en possession du palais du Latran, et donc de tous les droits, privilèges et biens liés à sa fonction.

"Cavalcade blanche" à travers Rome

Après s'être assis sur le siège qui se trouvait à sa gauche, il se voyait doter d'une ceinture rouge, d'où pendait une bourse de pourpre contenant douze pierres précieuses, ainsi que du musc. La ceinture était une représentation symbolique de la chasteté, la bourse figurait le trésor qui permettrait au souverain pontife d'être le "serviteur des pauvres et des veuves", les douze pierres renvoyaient aux douze apôtres, le musc enfin rappelait la parole de Saint Paul: "Nous sommes la bonne odeur du Christ". Le nouvel élu recevait ensuite tous les officiers du palais au baiser de paix, geste qui signifiait leur soumission au pape. Le camerlingue lui donnait alors cinq monnaies d'argent qu'il lançait vers le peuple, déclarant trois fois de suite: "En distribuant il donna aux pauvres et sa justice restera dans les siècles et les siècles".

Le billet d'Agostino Paravicini Bagliani se poursuit après la galerie

Puis avait lieu la messe à Saint-Pierre, à la suite de laquelle le pape se rendait sur les gradins devant la basilique. C'est là que, selon Albinus, l'archidiacre lui présentait la tiare. La tiare que le pape portait lors de ces "fêtes de la couronne" est un couvre-chef plus ou moins conique, pointu ou arrondi. Les papes s'en sont servi jusqu'en 1964, date à laquelle Paul VI y renonça officiellement. "Couronne" du pape, elle était empruntée à Byzance. Sa plus ancienne attestation apparaît dans la fausse donation de Constantin, où on lit que Sylvestre Ier aurait renoncé au diadème ou à la couronne que lui offrait l'empereur, mais qu'il voulut bien accepter le chapeau phrygien, symbole de la résurrection du Christ.

Le pape, après avoir ainsi été couronné, rentrait au Latran en chevauchant à travers la ville, entouré par "la jubilation de la foule". C'est ainsi que débute ce que les sources de l'époque appellent la "cavalcade blanche". Le souverain pontife, les cardinaux et les prélats étaient en effet tous vêtus de blanc et le pape montait un cheval blanc -symbole impérial lui aussi. Au XIIIe siècle, dans le contexte de rivalité qui l'opposait à l'empereur germanique, le Saint-Siège accorda une signification particulière à cette symbolique du cheval blanc, le biographe de Grégoire IX (1227-1241) accusant notamment l'empereur Frédéric II de vouloir diminuer "la blanche gloire des chevaux" qui revenait à la papauté romaine. Cette longue procession à travers la cité, le long de la via sacra qui relie le Vatican au Latran, permettait au pape d'avoir un contact direct avec la foule qui venait lui rendre hommage comme au nouveau seigneur de la ville.

L'ensemble de ces cérémonies se déroulait, nous l'avons dit, pendant plusieurs jours. En 1227, par exemple, Grégoire IX fut tout d'abord "intronisé en grande pompe" au Latran le dimanche 21 mars. Le dimanche suivant, il reçut le pallium dans la basilique Saint-Pierre. Le dimanche de Pâques, le 11 avril, après la messe solennelle à Sainte-Marie-Majeure, il "revint dans l'allégresse générale, couronne [tiare] en tête". Le jour suivant, lundi de Pâques, "chérubin transfiguré" et "père de la ville et du monde" ("Pater Urbis et Orbis"), il monta un cheval recouvert de "tissus précieux" en compagnie des cardinaux "revêtus de la pourpre". Le sénateur et le préfet de la ville le suivaient à pied, en tenant les étriers de son cheval.

Pour clôturer les cérémonies, un banquet était offert dans la vaste salle à manger du Latran. Les cardinaux et les prélats présents à Rome y assistaient. Le pape, son manteau rouge sur les épaules et les sandales aux pieds, était assis seul à la table sur laquelle étaient posés des vases d'or. Il portait à son doigt l'anneau le plus précieux, marquant ainsi la solennité de l'événement. Son service était assuré par les nobles laïcs. Le plus important d'entre eux devait servir le premier plat. Si un roi était présent, cette charge lui revenait. C'est ce que firent Charles Ier d'Anjou, roi de Naples et de Sicile (1266-1285), et ses successeurs à plusieurs occasions.

Il ressort des cérémonials du xiie siècle que l'élément central, constitutif, de ces rituels était la prise de possession du Latran, qui précédait chronologiquement la consécration célébrée dans la basilique Saint-Pierre au Vatican. À cet égard, une innovation fondamentale fut introduite en 1272-1273 par Grégoire X. Ce pape novateur renversa en effet cet ordre traditionnel: les cérémonies du Latran suivirent désormais la messe de consécration à Saint-Pierre, ce qui revenait à faire du couronnement proprement dit un élément clé du dispositif. Le verbe "couronner" finira d'ailleurs par remplacer "consacrer" pour désigner l'élection du pape: c'est celui qui est encore utilisé aujourd'hui.

En donnant une telle importance au couronnement, Grégoire X porta à son apogée l'imitation de l'Empire qui avait accompagné l'histoire de la papauté depuis le début de la réforme du XIe siècle -imitation déjà manifeste dans l'utilisation du manteau rouge, de la tiare et du cheval blanc. Et ce ne fut certes pas un hasard si cette innovation fut décidée après la mort de l'empereur Frédéric II Hohenstaufen (1250), soit à un moment où le trône de l'Empire était vacant.

Mais si le nom de Grégoire X occupe une place fondamentale dans l'histoire de l'élection du pape au Moyen Âge, c'est surtout parce que c'est lui qui fit adopter en 1274, par le deuxième concile de Lyon, une constitution exigeant, entre autres, que les cardinaux soient enfermés lorsqu'ils se réunissaient pour désigner le nouveau souverain pontife. Le conclave était né. Pour cela, Grégoire X s'inspira d'une pratique qui avait été expérimentée plusieurs fois au cours du xiiie siècle par des autorités laïques -de Rome, Naples et Viterbe- désireuses de contraindre les cardinaux à conclure leurs négociations, une trop longue vacance du Siège apostolique étant néfaste aux intérêts de leur ville.

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