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La parole du premier ministre

Le malaise identitaire de Philippe Couillard rend son gouvernement incapable de nommer la réalité à laquelle nous faisons face: l'intégrisme religieux menant à la violence.
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Le malaise identitaire de Philippe Couillard est de notoriété publique. De sa stupéfiante déclaration sur le besoin, pour un ouvrier en chaîne de montage, de parler anglais, au cas où un patron américain viendrait visiter une usine, jusqu'à ses réactions émotives et malaisées sur l'intégrisme, le premier ministre multiplie voltefaces, imprécisions tout autant que déclarations péremptoires et, finalement, anathèmes quand il s'agit de fustiger les souverainistes.

En réponse aux attentats terroristes de Paris et, plus près de nous, à ceux de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa, son gouvernement a déposé un plan de lutte contre la radicalisation qui vise explicitement l'embrigadement des jeunes. De ce plan découle le dépôt du projet de loi contre les discours haineux (projet de loi no 59).

Cependant, le malaise identitaire de Philippe Couillard rend son gouvernement incapable de nommer la réalité à laquelle nous faisons face: l'intégrisme religieux menant à la violence. Comment résoudre un problème qu'on n'ose même pas nommer?

Le projet de loi no 59 a suscité un tel tollé que, comme le rapporte Marco Bélair-Cirino dans Le Devoir du 29 août, M. Couillard a déclaré qu'il serait amendé par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, afin de préciser la «démarcation» entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. «Elle doit être explicite et définie. La ligne, pour moi, c'est l'appel direct à la violence», a dit le premier ministre, cherchant à apaiser les inquiétudes des défenseurs de la liberté d'expression. «C'est sur quoi Mme Vallée travaille.»

Or, à notre grande surprise, la ministre n'a déposé aucun amendement répondant à cette volonté de son chef, illustrant encore cette hésitation réelle du gouvernement à s'en prendre aux appels directs à la violence. Le seul amendement à ce sujet déposé par la ministre précise ce qu'elle entend par «discours haineux», qui comprend tout discours qui, «aux yeux d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il est susceptible d'exposer ce groupe à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l'aversion notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble.»

On est loin, très loin, de l'appel direct à la violence. Pourquoi, encore une fois, ce changement de cap du premier ministre? Qu'est-ce qui empêche le Parti libéral de s'attaquer au véritable fléau de ce début de XXIe siècle, l'intégrisme religieux menant à la violence?

N'ayant pas peur des mots justes, le Parti québécois a proposé à plusieurs reprises des amendements pour circonscrire la portée de la loi aux enjeux de l'intégrisme religieux menant à la violence. Nous y sommes presque arrivés. Toutefois, de façon subite et incompréhensible, dans une volteface qu'elle a tenté de banaliser en parlant d'«enlever une coquille», la ministre a changé son projet pour établir maintenant deux types de discours haineux: ceux qui entraînent la radicalisation ou l'endoctrinement menant à la violence, et ceux tenus dans un contexte d'intolérance.

En maintenant l'interdiction générale des discours «tenus dans un contexte d'intolérance», sans les lier à un appel à la violence, bien des possibilités s'ouvriront pour ceux et celles qui veulent bâillonner la critique des religions. Le simple dépôt d'une plainte permettra de stigmatiser une personne, de la mettre sur la défensive. S'ensuit le risque d'autocensure, si souvent mentionné dans les mémoires déposés à l'Assemblée nationale. Quand on sait que le nombre de jours avant qu'une plainte soit traitée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse était de 398 jours en 2014-2015, et que le jugement vient en moyenne 50 jours plus tard, n'y a t il pas matière à se méfier avant de prendre la parole sur la place publique?

Ce sont tous les Québécois qui feront les frais de cette peur qu'a le gouvernement des mots justes et ce sont eux, aussi, qui devront subir cette police de la pensée que le projet de loi no 59 introduira s'il est adopté. Le Parti libéral a bien changé, pour être devenu le pourfendeur de la liberté d'expression. En matière d'identité comme en matière économique, que vaut la parole de ce premier ministre?

Il est donc primordial que les Québécois et les Québécoises suivent de près les travaux entourant le projet de loi no 59, en raison des risques démesurés qu'il fait encourir à leur liberté d'expression. Ces travaux reprennent ce mercredi. Soyez à l'écoute.

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Mai 2017

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