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Le jeu est-il l'avenir de l'info?

Les "", les "", ces jeux sérieux d'information, qui visent à faire comprendre des sujets souvent complexes, sont-ils l'avenir de l'information?
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La sortie récente du jeu documentaire Fort Mc Money, de David Dufresne, disponible sur fortmcmoney.fr, sur le site d'Arte et Monde, relance le débat. Les "newsgame", les "gamedocumentaires", ces jeux sérieux d'information, qui visent à faire comprendre des sujets souvent complexes, sont-ils l'avenir de l'information?

Comment parler de l'avenir de l'info alors que l'on compare le secteur des médias à la sidérurgie des années 80? À n'en point douter la gamification de l'information, ce phénomène émergent, susceptible, à terme, de modifier notre façon de nous informer et nos perceptions de la réalité est une des voies possibles de renouvellement de l'information.

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La gamification ou ludification pour les puristes de la langue française, consiste à utiliser des techniques et technologies issues du jeu vidéo dans des activités traditionnelles: le management, le marketing, la publicité, la communication, la formation, l'information...

La gamification de l'information, c'est donc un nouveau mode de narration qui prend en compte la dimension interactive d'Internet. La gamification: un terme barbare, pour répondre à un enjeu de taille. Celui du journalisme qui doit se réinventer pour s'adapter aux nouvelles pratiques et usages du public.

Pourquoi ce phénomène?

Parce que l'industrie du jeu vidéo ne connaît pas la crise, c'est une des rares industries culturelles encore en croissance et le public des joueurs ne cesse de s'élargir. Désormais, 55% des Français jouent, dont près de la moitié sont des femmes. Un chiffre qui fait rêver les entreprises touchées par la crise. Et la gamification est déjà - à notre insu- rentrée dans nos vies.

Comme le soulignent Bruno Patino et Jean-François Fogel dans leur livre la condition numérique: "Pour un internaute, visiter sa page personnelle sur un réseau social, parcourir le flux de ses SMS ou de ses messages Twitter revient à plonger dans un gigantesque jeu vidéo qui met sa vie en scène. Il tient tous les rôles. Il est Super Mario, le plombier du jeu de Nintendo, la bille du flipper, un DJ de contenus numériques, le rédacteur de sa boîte de courrier électronique et l'attaché de presse de ses émotions."

Les tentatives de Newsgames

Le phénomène est bien sur davantage développé aux États-Unis et il peine à parvenir jusqu'aux rédactions françaises. Mais tout de même, plusieurs types de newsgames ont émergé. À chaque fois, il s'agit d'offrir au consommateur une nouvelle façon d'appréhender un sujet d'actualité en lui offrant les moyens d'agir dessus, au travers d'un jeu. Le mode de narration n'est plus linéaire. Et le lecteur est face à un système avec lequel il peut interagir.

En 2011 Le Figaro, s'inspirant du succès américain de Budget Hero, un newsgame qui permettait de prendre en main le budget de l'état américain a lancé : "Objectif Budget: pilotez les finances de la France".

Ce newsgame proposait aux joueurs de prendre les commandes des finances publiques de la France et de présenter un projet de budget pour 2012, avec un objectif de départ, au choix, rigoureux (déficit de 5,5% maximum), très rigoureux (déficit de 3%) ou intransigeant (déficit nul). Restait ensuite à agir sur les quatorze postes de dépense de l'État (Action extérieure, Aide au développement, Culture, Défense, Écologie, etc.) et sur quatre des cinq grandes catégories d'impôts (sur le revenu, sur la fortune, la TVA et les niches fiscales) pour atteindre l'objectif. Concilier rigueur et croissance, tel est le mot d'ordre d'Objectif Budget.

Mais la différence majeure entre un newsgame et un jeu traditionnel, c'est que même lorsqu'il perd - en l'occurrence, ici, en faisant basculer le pays dans la récession - le joueur a tout de même appris quelque chose, vu immédiatement l'impact de chacun de ses choix de dépenses ou de coupes budgétaires sur la situation économique globale de la France.

Autre tentative notable, celle lancée par France Télévisions avec le serious game, un Political Game sur l'affaire Clearstream, Manipulations développé réalisé par Sebastien Brothier et David Dufresne. Il s'agit de placer l'internaute dans le rôle d'un enquêteur afin de démystifier cette affaire complexe.

Une nouvelle écriture audiovisuelle

Plus récemment encore, c'est le jeu documentaire Fort McMoney qui tente de repousser les limites. Le but: visiter la ville de Fort McMurray, eldorado pétrolier canadien qui tire sa richesse de l'exploitation des sables bitumineux.

David Dufresne pose les jalons d'un nouveau genre audiovisuel: le jeu documentaire. Son premier coup d'essai, c'était il y a près de quatre ans, avec son premier webdocumentaire, Prison Valley, surnom du comté américain de Canon City, dans l'Etat du Colorado, qui rassemble pas moins de 13 prisons!

David Dufresne vantait déjà les mérites d'une nouvelle écriture audiovisuelle expérimentale, brisant la séparation entre l'émetteur et le récepteur grâce à une navigation personnalisée qui permettait au spectateur internaute de s'approprier un récit selon ses goûts et ses curiosités.

Ce projet ambitieux a été récompensé par de nombreux prix européens, et a enregistré une belle audience de 400 000 visiteurs uniques à son lancement, mais son interactivité a cependant été peu exploitée par les internautes.

Fort Mac Money tente de déconstruire et de réinventer l'écriture documentaire. En intégrant à son écriture audiovisuelle, la dimension ludique et les codes propres au jeu vidéo. Le jeu est considéré comme un vecteur d'intérêt, un levier pour débattre pour comprendre la question environnementale au centre du documentaire.

Le jeu se déploie dans l'espace hostile, froid, polluant, un lieu emblématique de cette nouvelle ruée vers l'or des années 2010. Fort McMurray, une ville d'où l'on extrait chaque jour plus d'un million et demi de barils de pétrole. Il s'agit d'y déambuler et d'y rencontrer tous les acteurs: la maire de la ville, le PDG de Total, des écologistes, des pêcheurs... afin de saisir dans leur globalité les enjeux de cet eldorado.

Il n'y a pas un propos, mais une pluralité de propos. L'objectif de ce Sim City cauchemardesque est de susciter le questionnement. Faut-il renforcer les contrôles environnementaux? Le pétrole est-il soluble dans la démocratie? Faut-il arrêter l'exploitation des sables bitumineux. Par quoi va-t-on la remplacer? Quels sont les dégâts causés par cette frénésie pétrolière?

Et l'ambition est d'emmener le joueur au-delà de ses propres certitudes en faisant s'affronter les logiques des industriels et des environnementalistes. En rencontrant un maximum de personnages, le joueur collecte des points d'influence qui lui permettent ensuite de peser dans les votes de la communauté. Une façon de prendre les commandes de la ville et de faire triompher sa vision du monde.

Le genre demeure expérimental et l'équilibre entre simplification excessive et mécanique trop complexe est assez délicat à trouver. La légitimité de cette nouvelle forme de récit journalistique reste encore à conquérir... Mais force est de constater que l'expérience prouve qu'il est possible de renouveler les formes du débat contradictoire dans l'espace public.

Vous pouvez réécouter cette chronique sur France Culture.

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