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Les emplois qui induisent en erreur

Si la création d'emplois était vraiment à la base de notre richesse, on devrait envoyer les souffleuses à la casse et embaucher des milliers de cols bleus pour déneiger les rues avec des cuillères.
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À chaque fois qu'un ministère accorde une nouvelle subvention, on parle inévitablement du nombre d'emplois créés. Par exemple, lors de l'annonce de l'investissement dans Bombardier, Jacques Daoust a rappelé que Bombardier embauche 17 500 personnes et soutient 39 300 emplois directs et indirects. Il en est de même dans le budget Morneau, lorsqu'il tente de justifier l'augmentation faramineuse des dépenses du gouvernement Trudeau. Le ministre affirme en page 54 de son budget que les mesures budgétaires devraient se traduire par la création ou le maintien de 100 000 emplois d'ici 2017-2018.

D'où viennent ces chiffres ?

Comme l'explique le professeur adjoint Trevor Tombe de l'Université de Calgary, ces chiffres ne sont pas inventés. Ils sont le produit d'études d'impact économique, souvent exigées lorsqu'on demande ou tente de justifier une subvention.

Le problème, c'est que ces études sont très contestées.

Le budget Morneau concède lui-même (page 294) que la méthodologie utilisée pour calculer les emplois créés ou maintenus fait l'objet d'une certaine incertitude et de débats.

Imaginons l'exemple d'une chaîne d'épicerie qui achète pour un million de dollars de bière. Cet argent fera fonctionner quelques producteurs de bière (appelons-les «Bièreco»). Mais Bièreco s'en servira aussi pour acheter des fournitures (par exemple, des bouteilles auprès de «Bouteilleco»), et Bouteilleco achètera aussi des fournitures (disons du verre de chez «Verreco»). C'est ce que Statistique Canada appelle les comptes d'entrées-sorties. Selon StatCan, un million de dollars de ventes de bière crée un autre 1,8 million de dollars de ventes et 4,6 emplois directs et indirects.

Mais en plus, Bièreco a ses propres employés, qui eux aussi achètent des biens et services pour vivre (par exemple, de la nourriture chez «Épicerieco»), entraînant là aussi des achats faits par les fournisseurs de ces biens. C'est ce qu'on appelle les effets induits. Dans l'industrie brassicole, StatCan prévoit qu'un million de dollars crée 1,4 emploi induit. Donc, avec ce million, on a créé 4,6 emplois + 1,4 emploi, soit 6 emplois. Et la roue tourne...

Sauf que si l'on pousse ces modèles au maximum, la roue ne cesse de tourner. L'employé de Verreco achète un manteau d'hiver à son fils chez «Manteauco». Manteauco embauche des employés qui, par exemple, dépensent leur argent en achetant des souliers chez «Soulierco». Soulierco a embauché un commis qui aime la musique, et donc achète un disque chez «Disco». Bref, le million de dollars ne cesse de tourner et, théoriquement, crée des centaines de millions d'emplois induits!

Une autre considération limitant l'utilité de ce genre de calcul, c'est que le nombre de travailleurs n'est pas infini. Souvent, les emplois créés sont pourvus par des gens qui travaillaient déjà ailleurs. On ne peut donc pas calculer le nombre d'emplois «créés» sans tenir compte du fait que d'autres postes deviendront vacants.

Enfin, le modèle ne tient pas compte des coûts. L'argent de la subvention accordée par le ministère a été pigé à même les impôts corporatifs d'entreprises comme Verreco. Dépouillée de cet argent, Verreco ne peut pas embaucher l'employé qui aurait acheté le manteau de Manteauco. Ne vendant pas le manteau, Manteauco ne peut pas embaucher l'employé qui, s'il avait travaillé, aurait acheté des souliers chez Soulierco. Et, là aussi, la roue tourne!

Par ailleurs, ce n'est pas tant la création d'emplois qui nous enrichit, mais la production efficace de biens et services. Si la création d'emplois était vraiment à la base de notre richesse, on devrait envoyer les souffleuses à la casse et embaucher des milliers de cols bleus pour déneiger les rues avec des cuillères!

La conclusion du professeur Tombe, c'est qu'il ne faut pas prendre pour acquis les modèles mathématiques de création d'emplois basés sur les effets induits pour justifier des subventions aux entreprises.

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