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Révolte en Bosnie-Herzégovine: au-delà de la division ethnico-religieuse

La particularité bosniaque fait en sorte que la libéralisation tarde. Longtemps aux prises avec un conflit ethnique sans issue, la faible diversité de l'économie et des problèmes ethnico-religieux ont fait en sorte que la Bosnie-Herzégovie s'est retrouvée dans le néant économique.
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Il y a de ces peuples qui historiquement ont eu tendance à se caractériser à travers leur destin tragique. Le cas de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie est à cet effet particulier. Les raisons qui ont mené à son démantèlement sont étroitement liées à la crise du cadre «multinational» après la crise qu'a subie le communisme dans tout le bloc est-européen. Cet État fédéré se distinguait par le fait qu'il y était possible d'observer dans un cadre géographiquement restreint autant d'économies et de partis communistes différents que de nations. Comme le fait remarquer Jacques Rupnik, politologue français spécialiste en études slaves, «la Yougoslavie est devenue ainsi non seulement une addition de huit nations, mais huit économies et de huit partis communistes».

Aussi longtemps que les différentes républiques arrivaient à une entente (aussi artificielle fût-elle), cette situation conférait une diversité intéressante au plan économique et culturel. Mais voilà, près de 20 ans après la fin de la guerre de Bosnie, la crise identitaire est derrière et la crise sociale devant.

Catherine Lutard, sociologue et historienne, observe dans son analyse portant sur le nationalisme post-communiste en ex-Yougoslavie qu'il y a eu un passage d'une forme d'autoritarisme vers une autre au cours de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Dans cette perspective elle identifie trois phases de construction identitaire ayant pris forme au sein de ce qui fut jadis la Yougoslavie. En effet, elle statue qu'il y a eu une première transition d'une forme de «collectivisme familial» à une forme de «collectivisme pseudo-communiste» pour finalement aboutir à une forme de «collectivisme nationaliste». La montée du nationalisme dans la période post-communiste a résulté en une libéralisation politique et économique de l'entièreté de la société yougoslave sans que de nouvelles bases économiques de ce système fussent érigées préalablement. Tout s'est fait dans la hâte. Les premiers fragments de cette libéralisation ont pu être observés quelques années seulement après la mort de Tito en 1980. Jacques Rupnik nous rappelle à cet effet, qu'au milieu des années 1980, la Serbie et la Slovénie commençaient déjà leur transition libérale de sorte que cette idéologie politique et économique venant des États-Unis s'est rapidement répandue avec la montée du nationalisme.

La particularité bosniaque fait en sorte que la libéralisation tarde. Longtemps aux prises avec un conflit ethnique sans issue, la faible diversité de l'économie et des problèmes ethnico-religieux ont fait en sorte que la Bosnie-Herzégovie s'est retrouvée dans le néant économique.

Dominé par une classe politique corrompue et un taux de chômage qui caractérise les pays européens sous-développés, le peuple bosniaque en est venu à un obstacle pratique insurmontable. Tout a commencé à Tuzla, ville industrielle de quelque 80 000 habitants qui a vu son économie être rasée après la privatisation et la mise en faillite d'industries locales. Les médias locaux rapportent que les travailleurs n'ont pas touché de salaire depuis des mois. Aux prises avec une pauvreté qui frôle l'extrême, il n'est pas étonnant que le peuple se révolte, surtout lorsque la corruption gouvernementale est sans scrupule et qu'elle se fait insidieusement.

La corruption au sein du gouvernement a mené à des scènes de violence qui ne s'étaient pas produites depuis la fin de la guerre en 1995 dans ce petit pays du centre-est européen. Les acteurs politiques qui utilisaient la division ethnique et religieuse à des fins politiques pour maintenir le peuple bosnien dans un rapport conflictuel sans fin, ont reçu un message fort. Les immeubles présidentiels et gouvernementaux brûlant, la fumée s'échappant dans les villes les plus importantes de la Bosnie-Herzégovine (Mostar, Tuzla, Sarajevo, Zenica) ont envoyé un message clair; la division ethnique et religieuse vous ont assez servi il est maintenant temps que le peuple bosnien prenne les choses en main.

Les manifestants ont commencé par détruire les endroits cultes de la politique locale comme les bureaux du gouvernement et de la présidence à Sarajevo, les bureaux du ministère de l'Intérieur à Mostar. La beauté de cette révolte populaire est que la division ethnico-religieuse n'ose même pas se pointer le bout du nez. Tout y passe, peu importe l'étiquette ethnico-religieuse des symboles gouvernementaux. Les citoyens ont déjà commencé à s'organiser pour que la transition se fasse sans corruption.Ceux-ci s'organisent de sorte qu'ils ont déjà formulé une multitude de propositions telles que: l'égalité salariale à tous les niveaux, maintien de l'ordre et de la paix passant par une collaboration citoyenne, annulation des salaires pour les dirigeants, annulation de la privatisation des usines de Tuzla, etc.

Cela se présente donc comme une révolte populaire de travailleurs qui n'ont d'autre identité que celle de travailleur fortement touché par le chômage. Dans ce désespoir il y a une lueur d'espoir pour ce peuple dévasté par la crise perpétuelle d'une économie sans économie. Un peuple divisé par les discours de haine. La Bosnie-Herzégovine brûle. Oui elle brûle d'espoir...

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