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Moi, le suicide et l'amour

Et il y a la peur. La peur de vivre, mais aussi la peur de mourir.
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En cette semaine nationale de prévention du suicide, j'aimerais vous parler un peu de moi et mon expérience avec les pulsions de mort. Cette petite mise en contexte vous permettra de comprendre pourquoi j'en étais arrivé à la conclusion ultime que la mort était plus facile à accepter que la vie à endurer. Beaucoup de mes ami(e)s et des membres de la famille vont probablement découvrir cette période trouble en lisant ces lignes. Je n'ai pas eu le courage d'en parler à tous et toutes, surtout pas à ma mère et mon frère. Essayer de démystifier le suicide et les facteurs qui peuvent mener à celui-ci passe par les expériences individuelles. Alors, voici la mienne.

Je suis née à Mostar - dans le sud de la Bosnie-Herzégovine - en 1988. Un pays dévasté par la guerre qui a imposé un cruel sort à ma mère qui a vu son mari être tué dans la première année du conflit qui s'est étalé de 1991 à 1995. Ma mère s'est ainsi retrouvée mère monoparentale de deux enfants. Le support de mes tantes a été inconditionnel et incroyablement réconfortant, mais reste qu'élever deux enfants seule dans la mi-vingtaine c'est une prouesse surhumaine.

Pour moi Superman, Batman, Spiderman et autres machins trucs qu'on nous jette à la gueule dès notre plus jeune âge comme étant des super héros ne sont que des êtres très ordinaires comparés à celle qui m'a, non seulement donné la vie, mais qui me l'a sauvé à plusieurs reprises. Je vous évite les détails croustillants des atrocités de la guerre vous avez tous et toutes assez d'imagination pour vous faire une idée.

Nous avons immigré au Québec en 1998 alors que je n'avais que neuf ans. Comme beaucoup de Bosniens de cette époque trouble, nous avons été acceptés en tant que réfugiés de guerre. C'est seulement plusieurs années plus tard que j'ai compris l'implication émotionnelle d'un tel parcours. Ne parlant que le bosnien, l'intégration dans une nouvelle culture avec une nouvelle langue qui ne s'apparente en rien à celle que nous avions apprise se voulait une tâche ardue et pour cause.

J'étais un enfant curieux qui apprenait très vite. J'étais à la limite un peu fatigant. Je le suis encore aujourd'hui qu'on me dit. Quoi qu'il en soit, je me percevais comme un enfant normal. Les années ont passé et l'intégration, en apparence, s'est déroulée sans obstacle d'envergure.

La vingtaine approchait, les problèmes de santé mentale ont commencé à frapper. Les contre coups de la guerre se font sentir. Quoi de plus normal? Ce qui semblait a priori une intégration réussie se transforme en questionnement éternel sur le sens de la vie. De cette vie.

Est-ce vraiment une vie? Qui suis-je ? Comment j'en suis arrivé là ? Pourquoi je me sens si différent de ma famille? Pourquoi je me sens si différent de mes camarades de classe? Pourquoi je me sens soudain si différent de tout le monde?

Le sentiment qu'on est un fardeau pour tous s'accentue avec le questionnement. Pris entre l'arbre et l'écorce je ne savais plus qui j'étais. La déprime m'a envahie. La mélancolie est devenue ma meilleure amie et ma pire ennemie. Comment en finir avec la vie n'était plus seulement une question philosophique, mais c'était devenu une quête logique face à tout ce déchirement qui me faisait violence. Si bien entouré, mais si seul face à cette souffrance qui se manifestait sans même avoir été invitée. Elle n'a aucun savoir-vivre la souffrance. Cette solitude accaparante est devenue obsessivemet insistante.

Et il y a la peur. La peur de vivre, mais aussi la peur de mourir. La peur d'échouer à vivre, mais aussi la peur d'échouer à mourir. Comment mourir ? Pourquoi mourir ? Faut-il vraiment une raison pour mourir ? En tout cas, je n'avais plus de raisons de vivre.

Mais surtout je devais trouver une façon de ne plus décevoir mes proches. Parce que j'avais ce sentiment d'impuissance face à leurs attentes, qui en réalité étaient les miennes. J'en étais venu à la conclusion qu'en m'enlevant la vie j'allais décevoir mes proches une dernière fois, mais plus jamais après.

Terminant le cégep avec beaucoup de peine, les jours devenant de plus en plus obscurs, les nuits de plus en plus pénibles, la souffrance de plus en plus vive, le seul sentiment qui m'habitait c'était le vide.

J'ai rencontré cette fille. Par son enthousiasme, sa joie de vivre et son énergie elle a réussi à me faire ressentir autre chose que le néant. Elle a réussi à me sortir de cette spirale infernale et me faire vivre autre chose que la mélancolie. Je n'avais plus de raisons de m'accrocher à la vie et elle est venue me ramasser comme un manteau imbibé d'eau après un orage qu'on raccroche pour laisser la peine s'écouler.

La souffrance a tranquillement commencé à laisser place à la tendresse. La mélancolie a ponctuellement laissé place à la joie. Chacune de ses caresses était une tape d'encouragement qui me faisait prendre conscience. Chacun de ses baisers était un bouche à bouche qui me redonnait le souffle nécessaire pour avoir envie de voir ce que le lendemain me réserve.

Pendant quatre ans elle était cette pulsion de vie qui m'a aidé à combattre les pulsions de mort. Elle m'a aidé dans la transition de la vie d'enfant vers la vie adulte. Puisqu'après tout, ce que je voulais voir mourir ce n'était pas ma vie présente, mais ma vie passée remplie de souvenirs douloureux. Elle m'a fait réaliser malgré elle que ce n'est pas en mettant fin à la vie présente que j'allais enterrer cette vie passée.

Pour moi c'était une multitude de facteurs qui m'ont mené à considérer le suicide : enfant immigré, crise identitaire, perte de sens, sentiment d'être un fardeau pour mes proches, etc. C'est un autre être humain qui m'a redonné le goût de vivre. Cette personne n'est même pas consciente de l'impact qu'elle a eu dans mon processus de réconciliation avec la vie. Elle n'était pas seulement ma complice de vie pendant ces quelques années, elle était ma pulsion de vie qui m'a aidé à combattre la pulsion de mort à tout jamais je l'espère...

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Avril 2018

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