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Ni crottés ni voyous: démystifier le Collectif opposé à la brutalité policière

C'est bien connu, les manifestants opposés à la brutalité policière sont des vandales, des fous dangereux. Et surtout des anarchistes, ce mot qui sous la plume de nos faiseurs d'information n'est jamais utilisé que pour faire peur.
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Plus tôt cette semaine, le porte-parole du SPVM, l'honorable Ian Lafrenière, déclarait que la 19e édition de la manifestation contre la brutalité policière ne pourrait malheureusement pas être « déclarée légale » tant qu'aucun itinéraire n'aurait été soumis aux autorités. La cause est noble : empêcher la perpétration d'actes criminels - si des actes criminels n'ont jamais lieu, c'est bien la preuve qu'on est parvenu à les prévenir, pas vrai ? Mais surtout, il faut protéger. Protéger qui ? Les manifestants, bien sûr ! Et de qui ? Mais d'eux-mêmes, cela va de soi !

C'est bien connu, les manifestants opposés à la brutalité policière sont des vandales, des fous dangereux. Et surtout des anarchistes, ce mot qui sous la plume de nos faiseurs d'information n'est jamais utilisé que pour faire peur. Vénérable parmi les sages, Gilles Duceppe réagit comme il se doit à la convocation d'une manifestation le jour de la parade de la Saint-Patrick. Ces «exaltés», ces «voyous» en mal de «sensations fortes» ne manqueront pas de s'en prendre à d'innocentes familles. Ils vont gâcher l'arrivée du printemps, faire peur aux enfants, qu'en savons-nous ! Chose certaine : ces gens n'ont rien à dire. Ils ne sont porteurs d'aucune critique sociale qui mériterait d'être entendue. Gilles Duceppe l'a dit, qui en douterait ? Certainement pas Philippe Teiscieiera-Lessard, journaliste à La Presse, qui sait, lui, que les manifestations du COBP «tournent constamment à l'émeute».

Le COBP : un contre-pouvoir essentiel

Nous ne nous faisons guère d'illusion sur la capacité des médias institutionnels à rendre justice au remarquable travail de défense des droits accompli année après année par les militants du COBP. Quelques vitres cassées ne doivent pas faire oublier que le Collectif agit en tant que contre-pouvoir au monopole de la légitimité de la violence que détient l'État et qui se cristallise à travers ses chiens de garde que sont les policiers. Ce contre-pouvoir est d'une importance capitale dans toute société démocratique, aussi imparfaite soit-elle.

Depuis sa création en 1995, les personnes qui composent le Collectif accompagnent des victimes de dérapages policiers ainsi que leurs familles. Au-delà de ses rares émanations visibles, qui font l'objet d'une déformation systématique dans les grands médias, le COBP cherche à apporter un peu d'oxygène à des personnes marquées au fer rouge par les forces de l'ordre, notamment en les outillant pour faire face à la lourdeur du système de justice.

Bien des journalistes ont déchiré leur chemise pour dénoncer les arrestations de masse auxquelles le SPVM a souvent eu recours au courant des dernières années. Saviez-vous que les militants du COBP ont joué un rôle actif dans la formation comme dans la coordination de nombreux groupes d'arrêtés, qu'ils consacrent temps et énergies à trouver des avocats et à organiser des levées de fonds pour les payer ?

On oublie trop souvent que le Collectif participe aussi à l'éducation populaire, pour que les personnes victimes du système puissent se représenter elles-mêmes devants les tribunaux. Nous pouvons mentionner ici leur pamphlet Surprise on a des droits auquel a notamment contribué le célèbre juriste Julius Gray. Comme quoi ce ne sont pas seulement les anarchistes et « casseurs » de toute sorte qui croient au bien fondé d'un tel Collectif. Même le SPVM se plaît à dire - ironiquement, peut-être ? - que leur cause est légitime et, pourquoi pas, juste.

Les chroniqueurs de droite de ce monde peuvent toutefois dormir tranquilles, car le SPVM n'en est pas à une contradiction près. Les éditions 2013 et 2014 de la traditionnelle marche du 15 mars ont été tuées dans l'oeuf par des arrestations préventives de masse. Les constats d'infraction alors émis ont depuis été invalidés par une décision lapidaire du juge Richmond de la cour municipale de Montréal, qui a des mots très durs pour qualifier les agissements du service de police. Dans son jugement, on peut lire :

« [156] La banalisation de cette violation de la loi par des officiers supérieurs du Service de police de la Ville de Montréal est ahurissante. Non seulement la procédure ordonnée risquait de faire condamner des innocents, elle ébranle sérieusement la confiance qu'on peut avoir dans la preuve documentaire qui est utilisée chaque année dans des milliers de poursuites pénales. »

Journalistes, vous êtes saouls !

Vous connaissez l'histoire du gars saoul qui cherche ses clés en dessous du lampadaire ? Ses clés sont là, à quelques pas de lui, mais il ne peut les voir parce qu'elles sont restées dans la pénombre. Il cherche, cherche encore et encore jusqu'à s'endormir dans la lumière. Il finit par rentrer chez lui au petit matin, après que ses clés lui aient été rendues visibles par les premiers rayons du jour.

Par commodité, on tend souvent à réduire un phénomène complexe à ses manifestations les plus visibles. En cela, les journalistes ne sont pas différents des gens ordinaires : ils utilisent le matériel qui est mis à leur disposition, et traitent l'information qu'ils reçoivent de manière à confirmer certains préjugés. Une manière de dire que leur travail est empreint d'une bonne dose de subjectivité, et qu'il leur arrive d'être paresseux. Certains plus que d'autres, cela va de soi.

Aimant faire sensation, bien des journalistes reprennent tel quel le discours du SPVM, donnant l'impression que le 15 mars est une sorte de carnaval pour casseurs professionnels. Or, sur les 18 manifestations organisées par le Collectif opposé à la brutalité policière, seulement deux, celles de 2008 et de 2012, peuvent objectivement être qualifiées d'émeutes. La dernière en date a eu lieu durant la grève étudiante de 2012 et doit être imputée à une intervention policière d'une rare violence, comme en témoigne la lettre d'un manifestant publiée dans le quotidien Le Devoir,

Les médias ne cherchent jamais à expliquer la cause des violences qui surviennent en manifestation, se contentant de rapporter qu'elles ont eu lieu, et donc que la police a eu raison d'intervenir. Jamais on ne dira que les interventions inutilement musclées des forces de l'ordre ont guidé un événement qui s'était jusqu'alors déroulé dans le calme dans les sentiers de la confrontation. Jamais on ne dira que plusieurs des manifestations du 15 mars se sont déroulées sans incident. Jamais on ne cherche à faire la part des choses entre un incident isolé - la fameuse vitre brisée dont tout le monde parle - et les agissements d'une foule de plusieurs centaines de personnes.

Cette diabolisation est essentiellement le résultat du refus du Collectif de collaborer avec les médias qui doivent souvent se contenter des communiqués qui sont déjà accessibles au grand public par l'entremise du principal canal de diffusion du COBP, c'est-à-dire leur site web.

Une figure bien importante du Collectif rapportait qu'il arrive souvent qu'elle accorde une entrevue aux médias sous le couvert de l'anonymat et que lorsque l'entrevue prend fin les journalistes lui demandent de s'identifier sans quoi ils ne publieront pas l'article. Et comme elle refuse toujours de s'identifier et de mentionner son rôle au sein du COBP, puisque c'est sans importance, les journalistes ne publient pas ses propos qui pourtant sont teintés d'une finesse et d'une intelligence qui n'a rien à voir avec le portrait qu'on nous jette à la figure depuis des années concernant le Collectif.

Cela représente bien la réalité de plusieurs groupes qui se présentent comme un contre-pouvoir au système sur place. Les tentatives depuis vingt ans de museler le Collectif opposé à la brutalité policière ont échoués. Il n'en demeure pas moins que lorsque la forme prend le dessus sur le contenu, la légitimité d'un groupe est mise à mal. N'empêche que plusieurs journalistes qui ont couvert les manifestations du 15 mars et auxquels nous avons parlé nous ont mentionné « avoir eu plus peur des policiers lors de la manifestation du COBP que des organisateurs ». Malheureusement la forme prend toujours le dessus sur le contenu lorsque vient le temps de livrer la nouvelle et la vitre brisée vend plus que la réflexion à laquelle nous exposent les agissements du politique face aux groupes marginalisés.

Ce texte est cosigné par Charles Carrier Plante, étudiant à la maîtrise en sociologie à l'UQÀM

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