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Lettre à une québécoise voilée

Tu peux le porter par commodité, par accoutumance ou parce que tu le trouve joli, ça ne regarde que toi. Mais arrêtes de dire que c’est une obligation religieuse parce que c’est faux.
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Dans ce climat où la méfiance l'emporte sur la confiance, la haine l'emporte sur l'amitié, c'est toi ma chère Québécoise voilée, qui en fait quotidiennement les frais et cela me fait beaucoup de peine.
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Dans ce climat où la méfiance l'emporte sur la confiance, la haine l'emporte sur l'amitié, c'est toi ma chère Québécoise voilée, qui en fait quotidiennement les frais et cela me fait beaucoup de peine.

Ma chère Québécoise voilée,

Je sais bien que, par les temps qui courent, il n'est pas facile de parler de ton hijab, ta bourka ou ton niqab. La question religieuse est en fait très délicate, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'Islam et des musulmans, peut-être même dangereuse.

La question religieuse est en fait très délicate, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'Islam et des musulmans, peut-être même dangereuse.

On ne sait plus comment l'aborder, comment en parler sans tomber dans la maladresse, l'excès ou la complaisance. Nous sommes pris dans le piège des extrémistes des deux bords, entre le rejet systématique et xénophobe des uns, l'obscurantisme et le fascisme des autres.

Dans ce climat où la méfiance l'emporte sur la confiance, la haine l'emporte sur l'amitié, c'est toi ma chère Québécoise voilée, qui en fait quotidiennement les frais et cela me fait beaucoup de peine.

Ça me fait de la peine que tu sois la cible privilégiée de toutes les insultes islamophobes et un objet de surenchère politique à chaque élection fédérale ou provinciale.

Ça me fait de la peine que tu sois inconsciemment le porte-étendard des mouvements islamistes les plus obscurantistes, dont l'emprise sur une société est proportionnelle au nombre de femmes voilées qui peuplent l'espace public.

Oui, ça me fait beaucoup de peine de te voir si brillante, rationnelle dans ta vie professionnelle et dans ta vie de tous les jours, mais aussi capable de te défaire de toute intelligence, d'inhiber tout sens critique devant le premier barbu enragé qui tient à t'offrir le paradis de l'au-delà à condition de te faire vivre l'enfer d'ici.

Permets-moi alors de te parler à mon tour de ton hijab. Moi, musulman anonyme en terre occidentale qui est juste fatigué de voir sa religion réduite à un bout de tissu sur la tête d'une femme perdue entre une modernité envahissante et une tradition encore très pesante.

Je ne te demande pas de me croire sur parole, je t'invite plutôt à chercher, vérifier, critiquer. Bref, à réfléchir par toi-même.

J'aimerais te présenter un point de vue différent, de l'intérieur même du monde musulman et des faits historiques qui passent souvent sous silence. Je ne te demande pas de me croire sur parole, je t'invite plutôt à chercher, vérifier, critiquer, bref, à réfléchir par toi-même.

Mais ne tiens pas aussi pour acquis tout ce que tu entends à l'intérieur des cercles d'endoctrinement fermés à l'université ou dans certains collèges.

Ne te laisse pas absorber par les sables mouvants des milieux salafistes qui, derrière des visages bienveillants, se cache bien souvent une idéologie meurtrière.

Sache enfin que questionner, douter, comprendre... est parfaitement HALAL en Islam dans sa version originale, pas celle compilée au 3e siècle de l'hégire sous l'égide des califes sanguinaires umayyades et abbassides.

Revenons-en donc à cet habit si problématique qui fait couler beaucoup d'encre, qui soulève tant de passions et qui fait très bien l'affaire de tant de politiciens.

Hijab, bourka ou niqab?

Pourquoi l'un et pas l'autre? Le seul fait de poser la question est la preuve même que ce n'est nullement une évidence religieuse comme le laisseraient croire tes prédicateurs favoris.

En fait, tout dépend des limites que chacun définit pour ce qu'on appelle «Al âwrah» dans la tradition musulmane. Il s'agit des parties de ton corps que tu dois couvrir en présence d'un «mâle étranger», c'est-à-dire en dehors de ton père, tes frères, tes enfants, ton mari, tes neveux...

Pourquoi l'un et pas l'autre? Le seul fait de poser la question est la preuve même que ce n'est nullement une évidence religieuse comme le laisseraient croire tes prédicateurs favoris.

Pour les «Hanafites», «Malikites» et «Chafiites» tout ton corps est une «Âwrah» en dehors de ton visage et tes mains, les «Hanafites» eux, un petit peu plus tolérants, ajoutent tes pieds à l'exception.

Tu peux donc montrer ton visage et tes mains, tes pieds aussi pour les «Hanafites», mais attention, certaines conditions s'appliquent!

Pour les «Chafiites», tu ne dois surtout pas mettre de maquillage si tu as envie de te balader à visage découvert, cela constituerait une provocation inacceptable pour les honorables «mâles» qui risqueraient de croiser ton chemin et mettrait leur piété en péril.

L'absurde rejoint le ridicule avec les «Malikites», qui considèrent que tu dois absolument te couvrir le visage si tu es belle et séduisante, pas parce que c'est une «Âwrah», mais pour le risque que cela présenterait pour la société. Une belle femme pour eux est un vrai danger public! Par contre, si tu es vieille ou laide, il n'y a pas de problème, tu peux bien monter ce visage!

Les «Hanbalites» eux sont plus clairs et plus cohérents, tout ton corps est une «Âwrah», y compris ton visage, tes mains, tes pieds, ta voix, même tes ongles. Belle ou pas belle, tu dois te couvrir complètement, et puisqu'ils tiennent absolument à ta sécurité, ils te permettent quand même une petite ouverture au niveau de ton œil droit pour certains et gauche pour d'autres, question de voir où tu mets le pas quand tu te trouves dans l'obligation de sortir en dehors de chez toi.

Selon ce principe, l'homme est par essence un prédateur sexuel, un loup affamé prêt à se jeter sur sa victime au moindre attrait visible.

L'argument premier et ultime que ce beau monde ne cesse de réitérer est fondé sur le principe de la FITNA. Selon ce principe, l'homme est par essence un prédateur sexuel, un loup affamé prêt à se jeter sur sa victime au moindre attrait visible.

Pour te protéger, tu dois alors être la moins visible possible, la moins attirante, la moins désirable ou ne pas te montrer du tout. Tu dois alors te couvrir pour ne pas éveiller les instincts primaires du prédateur. Et si, pour une quelconque nécessité, tu as besoin de sortir, tu dois être sobre, furtive, surtout pas de parfum; ça pourrait exciter la bête. Si tu te trouves dans l'obligation de parler à un étranger, alors chuchote, murmure: ta voix est en fait une incitation érotique et une provocation sexuelle. Bref, pour te protéger, démunis-toi de toute ta féminité.

Bref, pour te protéger, démunis-toi de toute ta féminité.

Sauf que cet argument ne tient pas une seule seconde face à une réalité historique qui dérange tes honorables prédicateurs et qu'ils essayent d'esquiver le plus possible. En effet, depuis le début de l'empire islamique et jusqu'au début du XXe siècle, dans les rues de Médine ou de Bagdad, du Caire ou d'Istanbul, de l'Iran persique jusqu'en Andalousie, des centaines de milliers de femmes de toutes origines circulaient, non seulement sans hijab, mais carrément torse nu.

Comment est-ce possible? Et bien toutes les écoles de jurisprudence islamiques, sunnites ou chiites considèrent que la femme esclave n'est pas soumise aux mêmes obligations que la femme «protégée». En effet, pour la femme esclave, «Al_âwrah» est définie comme étant la partie du corps située entre le genou et le nombril, elle peut donc circuler sans se cacher ni les cheveux, ni le visage, ni même les seins.

Les sources «sunnites» racontent même que le 2e calife «Omar Ibn Alkhattab» réprimait les femmes esclaves qui s'habillaient comme des femmes «libres»!

Pendant plusieurs siècles, les marchés d'esclaves étaient très répandus dans l'empire islamique comme ailleurs. Des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants de toute origine sont à vendre. Les clients ont alors le droit de scruter à la loupe la marchandise, ils peuvent alors toucher pour examiner la force du muscle ou caresser pour apprécier la douceur de la peau.

Cette nudité «Halal» qui n'a rien à envier au festival de Rio fut une réalité quotidienne pendant presque 14 siècles.

Cette nudité «Halal» qui n'a rien à envier au festival de Rio fut une réalité quotidienne pendant presque 14 siècles. Vivre avec des femmes presque nues qui déambulaient dans les espaces publics des grandes capitales islamiques était chose courante depuis l'époque des compagnons du prophète jusqu'à la chute de l'Empire ottoman.

Parler au 21e siècle de tes cheveux comme d'un objet érotique qui mettrait en danger la piété et la foi des braves gens autour de toi relève d'une hypocrisie monumentale et d'une absurdité ahurissante.

Il est tout à fait évident que toutes ces hallucinations sont bien l'œuvre d'hommes qui vécurent dans le contexte culturel et politique de la péninsule arabique entre le 6e et 8e siècle, triste époque pendant laquelle l'esclavage était tout à fait chose banale en terre d'Islam comme ailleurs.

Penses-tu vraiment que «ALLAH» dans sa grandeur et son infinie bonté aurait prescrit un habit pour une femme «libre» et un autre pour une femme esclave? «ALLAH» aurait-il donc légitimé l'esclavage?

Ma chère Québécoise voilée, tu peux t'enfouir dans ta bourka ou porter ton hijab si tu veux, c'est ton choix personnel que je respecte absolument. Tu peux le porter par commodité, par accoutumance ou parce que tu le trouves joli, ça ne regarde que toi.

Mais pitié, arrête de dire que c'est une obligation religieuse parce que c'est tout simplement faux, c'est juste un grand mensonge.

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