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«Fin de mois»: la pauvreté à hauteur d'homme avec Jean-Marie Lapointe

«J’ai besoin de comprendre l’être humain, dans sa fragilité comme dans son potentiel...»
Courtoisie/Moi et Cie

Fin de mois se veut une sorte de suite logique à la série documentaire Face à la rue, qui avait autant intéressé les médias que bouleversé les téléspectateurs l'an dernier. L'angle de cette nouvelle série de dix épisodes animée par Jean-Marie Lapointe? La pauvreté et la façon dont les gens qui en souffrent usent d'ingéniosité, de belles valeurs, d'espoir et de résilience pour adoucir leur vie... et boucler chacun de leur fin de mois. Rencontre avec son bienveillant animateur.

C'est Face à la rue qui t'a donné des envies de participer à des documentaires abordant de telles préoccupations de société?

«J'avais cela en moi depuis des années. Cela fait une vingtaine d'années que je fais du bénévolat dans le communautaire; les enfants en fin de vie, les gens qui ont des handicapes ou des troubles alimentaires, la Maison Jean Lapointe, bref, je suis impliqué socialement depuis longtemps. J'ai aussi fait des documentaires depuis plusieurs années sur différents sujets qui touchent l'âme : le dépassement humain, les épreuves qui nous touchent. C'est sûr que Face à la rue a eu un impact majeur. Tous les médias en ont parlé et ont été touchés. Fin de mois est un peu dans le même esprit et dans la même intention. Avec la pauvreté, on se rend compte que vivre aujourd'hui coûte cher et que même si tu as un travail, de bonnes études ou encore toute ta tête, il se peut que tu ne sois pas capable de subvenir à tes besoins.»

En quoi consiste Fin de mois exactement?

«C'est une série de 10 épisodes de 30 minutes à travers laquelle on suit une dizaine de familles vivant sous le seuil de la pauvreté, qui sont en situation de pauvreté et qui ont de la difficulté à finir le mois, d'où le titre Fin de mois. On essaie de s'intéresser à leur réalité, à comment ils font pour se rendre à la fin du mois en les suivant sur un mois. On essaie aussi de comprendre la réalité des personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté en 2019, des gens qui ont parfois un emploi, qui sont mariés ou qui ont des enfants, mais qui n'arrivent pas à subvenir à leurs besoins. On s'intéresse à comment, avec ingéniosité et résilience, ils vont réussir à s'en sortir, ou du moins on est témoin de leur cheminement.»

Comment avez-vous trouvé ces dix familles qui ont accepté d'être suivies pendant un mois et de raconter publiquement qu'ils vivaient une telle situation?

«C'était l'enjeu, mais fort de 24 émissions sur l'itinérance, on a rencontré des organismes, des intervenants et on a relancé notre liste de contacts. C'est grâce à ces organismes qui sont sur le terrain qu'on a pu être mis en contact avec ces gens qui, normalement, ne s'affichent pas dans leur état de pauvreté. De plus, quand tu as fait une série comme Face à la rue, qui a été aimée et appréciée, cela rassure les gens, qui savaient que le sujet allait être traité avec beaucoup de respect et de délicatesse.»

Qu'est-ce qui t'a le plus marqué de ce tournage?

«Ce n'est pas un sujet jojo, la pauvreté. Par contre, toutes les personnes qu'on a rencontrées nous ont inspirés, touchés et nous ont démontré qu'on pouvait rester digne et fier dans une situation de pauvreté. Le fait que ces gens se lèvent tous les jours et se battent pour trouver des façons d'amener de la bouffe à la maison, de se trouver un travail, m'a inspiré. On a vraiment été inspiré aussi par la qualité humaine de ces gens. Il y a une phrase que j'ai aimé me répéter et qui dit : ''On voit de quoi tu es pauvre, montre-toi de quoi tu es riche''. C'est là qu'on découvrait les richesses humaines des gens, qu'on regardait avec le cœur et non pas avec nos yeux qui jugent. On a trouvé des richesses extraordinaires.»

«Je ne veux pas dire que je changerais de place avec eux demain matin, par contre, ils ont et incarnent des valeurs que beaucoup de familles plus riches n'ont pas. Il y a des familles qui vivent très richement, mais qui sont pauvres de ce que nos ''pauvres'' sont riches. Des valeurs morales, spirituelles, de famille, d'entraide, j'ai trouvé cela extraordinaire.»

Ce qui fait que tu es un bon animateur pour ce genre de projet selon toi?

«Je suis un humain qui carbure à l'humain, qui carbure aux forces et aux fragilités de l'humain. Je n'arrêterai jamais d'apprendre et quand mon modèle – le Dalaï-lama – a encore des maîtres, cela me dit que j'ai le droit d'en avoir moi aussi, que j'ai le droit d'apprendre et que je suis loin d'avoir tout compris. Ceci dit, avant que la série soit acceptée, il était pour moi ''minuit moins une'', car je commençais vraiment à être dans la dèche financièrement. J'ai vécu pendant de nombreuses années en étant extrêmement serré, je me demandais comment j'allais gagner ma vie et si un jour la télévision et les médias allaient s'intéresser à moi à nouveau. Avant que ça arrive, j'en ai arraché pendant une dizaine d'années. Ces années de difficulté m'ont probablement préparé à faire une émission sur la précarité, sur la fragilité et le stress de ne pas savoir ce qui va nous arriver. J'ai retrouvé ce stress chez nos participants. La différence pour moi est que j'étais seul là-dedans, j'ai aussi vécu beaucoup d'isolement.»

«Je ne sais pas si je suis un bon animateur, mais je suis un gars humain et j'essaie d'être à la hauteur des personnes que je rencontre et d'être connecté sur leur réalité, sur leurs émotions et leur fragilité. Mais en même temps sur leur force et leur résilience.»

Qu'est-ce qui te plaît dans la formule du documentaire?

«Je fais du documentaire depuis 2008-2009 et Trisomie 21 le défi Pérou, le documentaire sur la petite Joanna Comtois qui est décédée du cancer, sur des jeunes qui ont des handicaps... Je me rends compte que l'être humain qui a des épreuves, ça me nourrit et ça m'inspire. La formule du documentaire permet d'être dans la vérité, dans l'authenticité et j'adore cela. J'adore montrer la vie telle qu'elle est, sans la modifier et sans la scénariser. J'aime aussi cette quête de sens et de vérité, c'est ce que j'incarne moi-même ou le plus possible tous les jours.»

Crois-tu que la série pourra aider à changer les mentalités?

«Je pense que ça va arriver, que les gens, après avoir été touchés par la série, ne feront plus l'épicerie ou ne magasineront plus de la même façon. La série permet de devenir beaucoup plus conscient de la grande chance que nous avons, ou nous permet de nous réjouir de ne pas être seuls pour composer avec la situation fragile dans laquelle nous nous trouvons. Je pense que Fin de mois peut être inspirant pour beaucoup de gens.»

Qu'est-ce que Face à la rue a changé dans ta vie? Les gens t'en parlent-ils encore?

«Il n'y a pas une journée où on ne me parle pas de Face à la rue, soit par courriel ou dans la rue. Les gens me disent merci pour cette série. Ce qui est très enrichissant d'une série comme celle-là, c'est de voir à quel point les gens ont été touchés et ont changé leur regard face aux personnes en situation d'itinérance. Dans certains cas, les gens ont aussi eu un élan de collaboration, une envie de faire du bénévolat, de donner le trop-plein de vêtements ou de nourriture qu'ils avaient. Les gens ont adoré la série et il s'est passé quelque chose en eux et en moi aussi. Je me rends compte que ma capacité d'aimer, de tendre la main, de moins juger est toujours là et je veux continuer de grandir et d'être toujours aussi sensible, même si je ne suis plus dans la précarité. Je ne veux pas tenir les choses pour acquises et surtout ne jamais oublier d'où je viens.»

As-tu déjà une autre idée de série documentaire en tête?

«Oui, tout le temps! J'ai plein d'idées et je suis déjà en train de plancher à un petit projet de livre qui n'est pas encore officiel par contre. J'ai d'autres projets à la télé, en écriture, c'est certain, car je n'ai pas terminé d'avancer et d'évoluer en abordant des thèmes qui touchent l'humain et l'humanité, des questions qui nous amènent à trouver un sens à notre vie. J'ai besoin de comprendre l'être humain, dans sa fragilité comme dans son potentiel.»

Fin de mois sera diffusée dès le mardi 30 avril à 21h, sur les ondes de Moi et Cie.

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