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La pilule abortive peut maintenant être prescrite sans échographie

«Des professionnels de la santé de partout au pays demandaient que cette restriction soit abolie.»
Des bouteilles de Mifegymiso, une combinaison de deux médicaments à base de mifépristone et de misoprostol. Santé Canada a annoncé mardi qu'une échographie n'est plus nécessaire pour prescrire ce médicament, plus couramment appelé «la pilule abortive».
Charlie Neibergall / AP via The Canadian Press
Des bouteilles de Mifegymiso, une combinaison de deux médicaments à base de mifépristone et de misoprostol. Santé Canada a annoncé mardi qu'une échographie n'est plus nécessaire pour prescrire ce médicament, plus couramment appelé «la pilule abortive».

Les médecins canadiens ne sont plus contraints de procéder à une échographie avant de prescrire à une femme un médicament qui mettra fin à sa grossesse non désirée. Plusieurs experts croient que cela permettra d'éliminer des barrières importantes à l'avortement, surtout pour les femmes vivant en région rurale, qui devaient auparavant se rendre très loin de chez elles ou alors attendre très longtemps pour avoir accès à une échographie.

Santé Canada a annoncé cette nouvelle façon de procéder par rapport au médicament Mifegymiso (mieux connu sous le nom de «pilule abortive») par communiqué, mardi.

«Les prescripteurs peuvent maintenant employer leur jugement médical», écrit l'agence. «La modification répond aussi aux préoccupations selon lesquelles certaines personnes souhaitant avoir accès au produit ont pu faire face à des obstacles ou à des retards inutiles.»

La Dre Wendy Norman, professeure au département d'obstétrique et de gynécologie de l'Université de la Colombie-Britannique et membre de l'équipe de recherche sur la contraception et l'avortement de l'école, se réjouit de cette nouvelle.

«Les femmes auront un meilleur accès, plus rapidement, a-t-elle affirmé au HuffPost Canada. Des professionnels de la santé de partout au pays demandaient que cette restriction soit abolie.»

Qu'est-ce que le Mifegymiso?

Souvent appelé «pilule abortive», le Mifegymiso est en fait composé de deux pilules différentes. La première, de la miféprostone, bloque l'action de la progestérone, dont le corps a besoin pendant la grossesse. Entre 24 et 48 heures plus tard, la prise de misoprostol entraîne des contractions utérines. Lorsqu'elles sont prises une à la suite de l'autre, les deux pilules mettent fin à la grossesse.

La prise de Mifegymiso est aussi appelée «un avortement médical». Les médicaments ont été approuvés par Santé Canada comme une alternative à un avortement chirurgical en 2015. Ils avaient déjà été approuvés et utilisés dans une soixantaine de pays auparavant, selon ce que rapporte Maclean's.

Trois pilules abortives Mifeprex RU-486.
Bill Greenblatt via Getty Images
Trois pilules abortives Mifeprex RU-486.

La professeure de santé publique à l'Université de Toronto Suzanne Sicchia, qui a étudié les politiques de santé entourant le Mifegymiso, affirme qu'elle rencontre souvent des gens qui croient que ce médicament est nouveau et dangereux, alors qu'en fait, il est utilisé de façon sécuritaire dans certains pays depuis les années 1980.

«C'est à la fois efficace et sécuritaire, a-t-elle assuré au HuffPost Canada. L'Organisation mondiale de la santé est très claire là-dessus.»

Les autres conditions d'utilisation du médicament n'ont pas changé: celui-ci est prescrit seulement aux patientes qui sont enceintes de moins de neuf semaines.

Et il n'y a aucune raison de croire le médicament soit mal prescrit, maintenant que l'échographie n'est plus nécessaire. «Je ne vois pas comment cela pourrait être mal utilisé», croit Dre Jennifer Blake, PDG de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

L'échographie avait principalement deux fonctions, selon la Dre Wendy Norman: s'assurer que la grossesse n'était pas ectopique et déterminer l'âge gestationnel. Mais ces deux informations peuvent être découvertes d'autres façons. Santé Canada recommande toujours de pratiquer une échographie lorsque l'âge gestationnel est incertain, ou qu'une grossesse ectopique est suspectée.

Une grossesse ectopique est une complication qui survient lorsque le foetus se développe en dehors de l'utérus. Il ne peut alors pas se développer normalement, et risque de causer des saignements internes et de faire éclater des structures qui ne sont pas faites pour contenir un foetus. Les grossesses ectopiques doivent être cessées par médication ou chirurgie.

Mais le Mifegymiso ne mettra pas fin à une grossesse ectopique, explique la Dre Norman. «La pilule agit sur la partie de la grossesse qui rejoint l'utérus». Cela ne nuirait pas à la santé de la femme, mais ne mettrait pas fin à sa grossesse.

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Les médecins et les infirmières ont toutefois d'autres méthodes pour détecter les grossesses ectopiques, qu'ils ont apprises pendant leur formation, assure la Dre Norman.

Des bénéfices

Le bénéfice le plus important, selon Wendy Norman, est sans contredit que les services d'avortement deviennent maintenant plus accessibles. Bien que l'avortement n'est banni nulle part au pays, il existe plusieurs endroits où il n'est tout simplement pas pratiqué. Une étude réalisée en 2013 (soit deux ans avant que Santé Canada n'approuve Mifegymiso) auprès de femmes qui cherchaient à se faire avorter a permis de constater que près de la moitié des participantes - 44,9% - devaient faire au moins une heure de route pour y avoir accès.

Ces barrières géographiques côtoient souvent des barrières raciales et sociales: les femmes ayant de faibles revenus sont plus susceptibles de devoir voyager davantage pour réussir à se faire avorter. Les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles de devoir se déplacer à plus de 100 kilomètres.

La venue de l'avortement médical au Canada devait justement combler ces écarts: les femmes pouvaient apporter leur médicament à la maison, dans leur propre communauté. Mais l'obligation d'avoir recours à une échographie était souvent synonyme de beaucoup de route.

En Nouvelle-Écosse, le temps d'attente moyen pour une échographie est d'environ une semaine, selon ce que rapportait le Globe and Mail en septembre. Étant donné que le Mifegymiso ne peut être administré à des femmes enceintes de plus de neuf semaines, les délais d'attente peuvent avoir des conséquences sérieuses. (Le ministre provincial de la Santé, Randy Delorey, a défendu ce temps d'attente, affirmant aux journalistes que les femmes avaient accès relativement rapidement à des services d'avortement.)

La Dre Wendy Norman
Darryl Dyck / La Presse canadienne
La Dre Wendy Norman

Un autre bénéfice important est la confidentialité, selon la Dre Norman, un facteur particulièrement important dans les petites villes. «Cela circonscrit la procédure entre le patient et son professionnel de la santé», dit-elle.

Quelles barrières reste-t-il?

N'empêche, le Canada a encore beaucoup de chemin à faire pour rendre l'avortement réellement accessible, selon Suzanne Sicchia.

«Cette révision nous emmène un peu plus près d'une accessibilité améliorée, mais il serait exagéré de dire que cela réglera toutes les iniquités que rencontrent les femmes et les personnes trans partout au Canada.»

«Si on le compare à la France ou à la Chine, le Canada n'est pas particulièrement innovateur ou progressiste, quand il est question de retirer des barrières à l'avortement médical», ajoute-t-elle.

La Dre Norman affirme que la prochaine barrière à enrayer est dans les Prairies. La plupart des provinces et des territoires couvrent les frais des avortements chirurgicaux et médicaux, mais pas la Saskatchewan. (Le ministre provincial de la Santé a récemment affirmé qu'il considérait le remboursement, après avoir été critiqué par les partis d'opposition.) L'accès à l'avortement est aussi difficile au Manitoba, particulièrement pour les femmes à faible revenu: l'avortement médical est offert seulement à trois endroits, dans des grandes villes, et l'un d'entre eux n'est ouvert que deux jours par semaine.

«Les femmes doivent se rendre dans les villes pour pouvoir avoir accès aux centres qui offrent l'avortement chirurgical, alors qu'elles pourraient avoir accès à l'avortement médical gratuitement dans leur communauté, si le gouvernement acceptait d'en couvrir les coûts, dit Wendy Norman. C'est une mascarade, que ces gouvernements ignorent les besoins de leurs citoyennes.»

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l'anglais.

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