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De plus en plus d'ados hospitalisés après avoir tenté de mettre fin à leurs jours

Entre 2007 et 2017, le taux d'hospitalisation après une tentative de suicide a plus que doublé chez les jeunes.
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Le suicide et l'accès à des soins en santé mentale font beaucoup les manchettes ces jours-ci... et ces nouvelles données n'ont rien pour rassurer les parents. Selon des données compilées par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour le HuffPost Québec, le taux d'hospitalisation des enfants et adolescents âgés entre 10 et 19 ans qui ont tenté de mettre fin à leurs jours a plus que doublé en dix ans.

Ce taux est passé de 3,6/10 000 habitants, en 2007, à 8,2/10 000 habitants, en 2017.

Institut national de santé publique du Québec

Des données préoccupantes, selon Pascale Lévesque, celle qui les a compilées. Mais la conseillère scientifique à l'INSPQ émet une mise en garde: comme c'est la première fois qu'elle collige ces données, elle ne veut pas se risquer à dire qu'on pourrait traduire cette tendance par une augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes de manière générale.

Les banques de données dont l'INSPQ dispose ne lui permettent pas de savoir combien de personnes se sont présentées à l'urgence pour une tentative de suicide, au total, mais bien seulement de savoir combien d'entre elles ont été hospitalisées - donc les cas les plus graves. C'est donc dire que ces chiffres ne seraient que la pointe de l'iceberg... mais cela pourrait aussi vouloir dire que le personnel hospitalise plus qu'avant les jeunes ayant commis une tentative de suicide.

Mais dans tous les cas, «on ne peut pas laisser ça comme ça, il faut s'y intéresser davantage, c'est sûr... Ça nous porte à aller voir plus loin», dit-elle.

«C'est énorme, et c'est inquiétant», affirme d'emblée Brett Burstein, urgentologue pédiatrique à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Celui qui est aussi clinicien-chercheur à l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill a fait paraître une étude à ce sujet dans la revue JAMA Pediatrics la semaine dernière, étude qui se basait sur des données américaines.

On y apprend que le nombre d'enfants et d'adolescents se rendant à l'urgence pour des idées suicidaires ou après une tentative de suicide a doublé entre 2007 et 2015 aux États-Unis, atteignant 1,1 million de visites. Le Dr Burstein se doutait bien que la tendance s'observait également de ce côté-ci de la frontière, puisque c'est ce qu'il remarque à l'Hôpital de Montréal pour enfants: le nombre de visites à l'urgence pour des idées ou des gestes suicidaires a augmenté de 55% depuis les trois dernières années.

On pourrait être tenté d'expliquer ces chiffres par le fait qu'on dépiste peut-être mieux les idées suicidaires, aujourd'hui. Mais le Dr Burstein demeure sceptique face à cette théorie, puisque selon les données qu'il a recueillies aux États-Unis, 88% des visites à l'urgence recensées étaient pour des gestes suicidaires, et non des idées suicidaires.

Pour lui, cette tendance relevée par l'INSPQ nécessite que le Québec s'intéresse davantage au suicide chez les jeunes, et se dote de meilleurs outils pour arriver à recenser toutes les tentatives.

Le Dr Brett Burstein, qui est urgentologue pédiatrique, affirme que chaque jour, un ou deux enfants âgé de 12 ans et moins se présentent à l'Hôpital de Montréal pour enfants, où il travaille, pour des idées ou des gestes suicidaires.
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Le Dr Brett Burstein, qui est urgentologue pédiatrique, affirme que chaque jour, un ou deux enfants âgé de 12 ans et moins se présentent à l'Hôpital de Montréal pour enfants, où il travaille, pour des idées ou des gestes suicidaires.

Du côté de Tel-Jeunes, on remarque aussi une hausse importante d'interventions, surtout depuis que l'organisme a lancé son service de clavardage, en 2011, et son service par texto, en 2013. Les idées suicidaires sont un thème qui revient souvent, souligne Élise Huot, intervenante à Tel-Jeunes. «Il y a vraiment un gros volume, on le remarque.»

Plus de jeunes âgés entre 10 et 13 ans contactent l'organisme, ajoute-t-elle.

«Ç'a probablement toujours existé, mais la différence, c'est que maintenant, on a plus d'outils pour rejoindre ces jeunes-là, à la hauteur de leurs capacités», avance-t-elle.

De 5 à 11 ans...

  • Dans son étude réalisée aux États-Unis, le Dr Burstein a aussi noté une donnée «alarmante»: 43% de tous les jeunes patients qui ont visité l'urgence pour des pensées ou des gestes suicidaires avaient entre 5 et 11 ans.
  • «C'est quelque chose d'assez nouveau: on avait tendance à penser que c'était un problème qui touchait traditionnellement les adolescents», précise-t-il.
  • Les données fournies par l'INSPQ sur le taux d'hospitalisation après une tentative de suicide que nous avons obtenues ne comprennent pas les enfants de moins de 10 ans, puisque selon Pascale Lévesque, ces données étaient trop variables, et donc pas assez «robustes».
  • Le Dr Burstein affirme que, chaque jour, un ou deux enfants âgé de 12 ans et moins se présentent à l'Hôpital de Montréal pour enfants, où il travaille, pour des idées ou des gestes suicidaires.

Mais pourquoi?

Difficile de se prononcer sur les raisons qui peuvent expliquer ces chiffres. On ne peut qu'émettre des hypothèses, pour l'instant, affirme d'emblée la présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou.

Différentes motivations qui peuvent mener à une tentative de suicide

  1. Appel à l'aide. Un adolescent qui voudrait combler une solitude. Il se sent tout seul avec son problème et ne sait plus comment l'exprimer.
  2. Besoin de répit. Un jeune qui a tellement mal qu'il aurait besoin d'arrêter la douleur. «On ne pense pas tant à la mort qu'au besoin d'arrêter de souffrir», explique Christine Grou.
  3. Agressivité envers soi-même. L'adolescent se sent coupable, il a l'impression d'être la cause du divorce de ses parents, par exemple, ou du malheur de son entourage; bref, de tous les maux de la terre. Il voudrait donc libérer son entourage.
  4. Agressivité envers les autres. Un jeune qui ferait face à des règles de conduite très rigides dans sa famille, par exemple, et qui n'aurait pas d'espace de parole. Il a l'impression que ce serait le seul moyen de reprendre le contrôle dans une relation qu'il n'a pas.
  5. La perte d'un être cher. Ce pourrait être la mort d'un proche, mais aussi une rupture amoureuse. «Les parents disent souvent qu'ils ont peur de la première peine d'amour de leur enfant, parce qu'on le sait, c'est la fin du monde», explique Christine Grou.

Elle croit que l'appel à l'aide est de plus en plus fréquent, du fait que le désespoir et le manque de soutien le sont aussi de plus en plus.

«Sur le plan individuel, maintenant, être à la hauteur et avoir une bonne estime de soi, ça demande beaucoup. Il faut être beau, bon, performant, bon en sports...» énumère Mme Grou.

Oui, il y a les réseaux sociaux, bien sûr, qui nous montrent toujours des images parfaites. Mais il y a aussi cette obsession d'être bon dans tout.

«Regardez le nombre d'activités dans lequel un jeune est inscrit, regardez leur horaire, avance la psychologue. D'ailleurs, on dénote une anxiété croissante chez les jeunes. Certains sentent qu'il n'y arrivent pas. Soit ils n'ont pas les outils, soit la demande est trop grande.»

Christine Grou croit également que le soutien familial est différent d'avant: les jeunes seraient plus souvent seuls, aujourd'hui, malheureusement. L'isolement et le manque de soutien de la part de la famille sont des facteurs rendant un jeune à risque d'avoir des idées suicidaires, rappelle-t-elle.

Pendant ce temps, le taux de suicide est stable

Pourtant, le taux de suicide est relativement stable depuis les dix dernières années, chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Comment expliquer cela?

INSPQ
INSPQ

Le Dr Brett Burstein croit que les jeunes utilisent des moyens qui ont moins de chance d'être fatals, comme la consommation d'analgésiques.

«Le désir, souvent, n'est pas un désir de mort: c'est un appel à l'aide, un besoin de répit», affirme Christine Grou.

Mais cela n'empêche pas qu'il faut prendre cet appel à l'aide au sérieux, croit le directeur général de l'Association québécoise de prévention du suicide, Jérôme Gaudreault.

«Chaque tentative, et même chaque commentaire par rapport au suicide ne doivent pas être banalisés, dit-il. On ne parle pas de suicide pour manipuler les gens, mais bien parce qu'on vit une détresse réelle. Et il faut savoir qu'une première tentative de suicide est un facteur de risque très important de faire une autre tentative ultérieure, complétée.»

La clé, donc pour prévenir le pire: une meilleure accessibilité à des soins qui sont adaptés aux jeunes, croit Christine Grou. Ce pourrait être par exemple la présence d'un psychologue dans l'école, avec qui on peut s'arrêter pour jaser, sans avoir besoin de prendre un rendez-vous, ni de passer par la direction ou ses parents. La présidente de l'Ordre des psychologues du Québec croit aussi qu'on devrait mieux former les jeunes et le personnel enseignant pour mieux reconnaître la détresse psychologique et surtout, la rendre moins taboue.

«On pourrait aussi avoir des pairs aidants dans les écoles, des jeunes adultes qui ont aussi traversé des périodes plus difficiles et qui sont là pour aider», ajoute-t-elle.

Parce que la partie la plus importante, c'est le dépistage, pour tenter de prévenir l'état de crise, souligne Christine Grou.

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