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Les chauffeurs de taxi entre désespoir et résignation

«Ils pourraient tant qu'à faire nous couper la gorge. Ça aurait le même effet! On va saigner une goutte à la fois.»
«Mon mari devait prendre sa retraite. Il ne peut pas prendre sa retraite et il a 69 ans», déplore Marie-Rose Koussa, partie très tôt de Laval pour venir manifester à Québec.
Catherine Lévesque/HuffPost Québec
«Mon mari devait prendre sa retraite. Il ne peut pas prendre sa retraite et il a 69 ans», déplore Marie-Rose Koussa, partie très tôt de Laval pour venir manifester à Québec.

QUÉBEC - Jacques Clermont, qui est chauffeur de taxi à Québec depuis plus de 20 ans, avait prévu prendre sa retraite à 65 ans et s'acheter un chien - son premier à vie - pour prendre de longues marches en montagne.

Mais en raison de l'incertitude causée par le projet de loi 17, qui viendrait dérèglementer l'industrie du transport des personnes et faire chuter la valeur de son permis de taxi, il devra faire une croix sur son rêve.

«Je vais repousser ma retraite à 70 ou 75 ans, donc j'irai plutôt marcher dans l'hospice... sans animal», se désole M. Clermont en entrevue avec le HuffPost Québec.

Des centaines de chauffeurs de taxi ont manifesté à proximité de l'Assemblée nationale et ont bloqué le boulevard René-Lévesque à Québec avec leurs voitures alors que s'amorcent les consultations publiques sur le projet de loi.

Des centaines de chauffeurs de taxis de partout à travers la province ont convergé vers Québec le mercredi, 10 avril 2019.
Catherine Lévesque/HuffPost Québec
Des centaines de chauffeurs de taxis de partout à travers la province ont convergé vers Québec le mercredi, 10 avril 2019.

Le désespoir était palpable dans la voix de Marie-Rose Koussa, qui dit avoir quitté Laval à 4h ce matin pour manifester aux côtés de son mari chauffeur de taxi. «On est prêts à le faire tous les jours [s'il le faut]», lance-t-elle.

«On a tout investi, ré-hypothéqué la maison pour le permis, poursuit Mme Koussa. Mon mari devait prendre sa retraite. Il ne peut pas prendre sa retraite et il a 69 ans. Il travaille encore de 12 à 13 heures par jour. Il y a des jours où il fait 10 heures et il me dit: Je suis fatigué...»

La mère de deux enfants doit rester à la maison pour s'occuper à temps plein de son plus jeune, qui est autiste. Le plus vieux vient de commencer à travailler et ne peut pas subvenir aux besoins de la famille, dit-elle.

La famille vit sobrement et pourrait se retrouver dans la rue, ou presque, si la valeur du permis chute, explique Mme Koussa. «Ils pourraient tant qu'à faire nous couper la gorge. Ça aurait le même effet! On va saigner une goutte à la fois.»

Une autre réalité en région

Le projet de loi présenté par le ministre des Transports, François Bonnardel, aurait pour effet de mettre sur un pied d'égalité les chauffeurs de taxi traditionnels et les chauffeurs d'une application telle qu'Uber.

Mais cette idée ne pourrait pas fonctionner à l'extérieur des grands centres et il faudra que le gouvernement en tienne compte, fait valoir Carole Dallaire, porte-parole pour les taxis de Saguenay et l'ancienne propriétaire de Taxi 2151.

«Ce projet de loi, c'est peut-être l'abandon du taxi dans les régions, se désole-t-elle. Il faut vraiment qu'ils fassent attention. Ce sont toutes les personnes âgées, ce sont toutes les personnes à faible revenu qui vont être confinées dans leurs maisons. Il y a du transport adapté dans certaines régions. Si c'est abandonné, les gens ne pourront plus sortir.»

Puisque Uber ou toute autre application a moins de chances de percer en région, Mme Dallaire souhaite que les quotas de permis restent en place et gardent leur valeur. Elle aimerait aussi certaines normes particulières en région.

«Pour le reste, on est d'accord avec ce qui est dans le projet de loi, dit-elle. On va s'arranger avec ça.»

Pour l'instant, la femme d'affaires vit dans l'incertitude. Elle a vendu ses 14 permis de taxi à son fils, qui a repris les affaires de Taxi 2151, et ce dernier doit lui verser une rente qui lui servira de fonds de pension sur 15 ans.

«Mon coeur balance entre lui demander de me repayer quelque chose qui vaudra peut-être 0$. S'il arrête [de me payer], c'est moi qui n'a plus de fonds de pension.»

Une escalade des tensions à prévoir?

Le gouvernement a déjà versé 250 millions de dollars aux chauffeurs et versera un autre 250 millions pour compenser la valeur de leurs permis. Mais l'industrie soutient que les permis de taxi valaient 1,3 milliard de dollars au moment de l'arrivée d'Uber au Québec en 2014.

Mais les chauffeurs de taxi interrogés par le HuffPost sont fermes: ils veulent gagner leur vie avec dignité et ce, sans puiser dans les poches des contribuables.

«J'ai fait confiance au gouvernement. J'ai acheté le permis. Je me suis embarqué dans un système qu'on peut dire est loyal et là, on se retrouve avec un système déloyal», critique Malek Zinati, qui a acheté son permis en 2013 au coût de 190 000$.

Le ministre des Transports, François Bonnardel, a commencé les consultations pour son projet de loi 17.
La Presse canadienne
Le ministre des Transports, François Bonnardel, a commencé les consultations pour son projet de loi 17.

«Ça fait 30 ans que je travaille dans le taxi. Et demain, je n'aurais rien? C'est impossible, on l'acceptera pas», renchérit Saade Souheil, chauffeur de taxi dans l'ouest de l'île de Montréal.

Voyant la valeur de leurs permis fondre, certains pourraient agir sous le coup du désespoir, prévient-il. Le mois dernier, un homme s'est coupé le poignet en direct à la télévision. Fort heureusement, il est sain et sauf.

D'autres dérapages pourraient survenir de nouveau si rien n'est fait pour rassurer les chauffeurs, prévient M. Souheil.

«Aujourd'hui, on est civilisés, on fait des manifestations calmes, on fait un petit de bruit, mais si [M. Bonnardel] ne veut rien entendre, on va en faire un petit peu plus.» Comme quoi, par exemple? «Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire.»

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