MODE - Il souffle un vent nouveau dans la mode. Ce printemps, c'est dans les rayons de la dernière collection de prêt-à-porter Zara qu'on l'entend. Et visiblement, ce n'est pas du goût de tout le monde. Sur les réseaux sociaux, les internautes s'interrogent. Le combo chaussures à talons et chaussettes? Quelle idée. Le short de cycliste? Il ne fait toujours pas l'unanimité.
Outre des tenues tout droit sorties du compte Instagram de Kim Kardashian ou d'un défilé de la marque de Virgil Abloh, Off-White, le catalogue compte quelques nouveautés en matière de vestes de costume et de blazers. Elles attirent l'attention. Non pas pour leurs couleurs, ni leur matière. Ce qui interpelle, c'est plutôt leur forme, leur structure... et leurs épaulettes.
Elles sont larges, imposantes, voire démesurées. Elles rompent avec les modèles plus classiques et décontractés auxquels l'enseigne espagnole nous avait habitués. C'est un schisme.
Mais Zara n'est pas la seule marque à avoir succombé aux maxi-épaulettes. Avant d'être introduites dans le secteur du prêt-à-porter grand public, c'est bien évidemment sur les podiums des défilés qu'elles ont percé. La dernière semaine de la mode parisienne, qui s'est terminée au début du mois de mars, peut en témoigner.
Chez Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, son directeur artistique, les a déclinées sur des robes, des cabans et des blousons. Du côté de Saint Laurent, même son de cloche. Les longs manteaux aux épaules hyper droites dessinés par Hedi Slimane offrent aux mannequins des silhouettes androgynes et autoritaires. Avant elles, il y a aussi eu Marc Jacobs et Balenciaga, en 2018.
La liste est longue. Inutile d'énumérer toutes les marques pour comprendre l'ampleur du phénomène. Les épaulettes sont en vogue. Ou plutôt, elles sont de retour, comme l'explique l'historienne de la mode Catherine Ormen, contactée par Le HuffPost. D'après cette dernière, cela fait indubitablement penser à ce qu'on a pu voir dans les années 80, chez certains créateurs comme Thierry Mugler.
"En plein contexte sociétal d'émancipation des femmes, le couturier français a dessiné des silhouettes hyper sexualisées, renseigne la spécialiste. Les tenues sont près du corps et imposantes. On voit apparaître des tailleurs structurés, aux hanches très marquées mais accompagnés d'épaules démesurément larges."
La princesse Diana était, elle-même, une grande amatrice de ce genre d'épaulettes.
Autorité et domination
Véritable "raz-de-marée", d'après la chercheuse, la tendance s'est imprégnée dans toute la société. De la femme au foyer à la cheffe d'entreprise, elle a touché toutes les catégories sociales. Le vêtement leur confère une attitude forte, parfois autoritaire. Il donne de la confiance aux femmes et traduit une certaine réussite professionnelle.
Un point de vue que semble partager Arianne Fennetaux, elle aussi historienne de la mode. Contactée par Le HuffPost, elle précise: "cette mode vestimentaire est associée à la professionnalisation des femmes et à l'émergence de la 'career woman', comme dans le film "Working Girl" de Mike Nichols, sorti en 1989."
Dans le long-métrage, Melanie Griffith joue le rôle Tess McGill, une secrétaire qui gravit peu à peu les échelons en adoptant les codes vestimentaires du costume, dans une version féminine. Elle se met à porter des tailleurs aux épaules exagérées, des bijoux discrets et opte même pour une nouvelle coiffure. Elle abandonne ses longs cheveux au profit d'une coupe plus courte.
"Power dressing"
Ce phénomène porte un nom. C'est le "power dressing", aussi appelé "power suit". Comme le rappelle Arianne Fennetaux, c'est l'historienne britannique Joanne Entwistle qui l'a analysé en première. Ce courant s'apparente à une forme de compromis entre les codes masculins et féminins. "Pas trop féminins pour être prise au sérieux, mais pas trop masculins pour ne pas être perçue comme menaçante", explique l'experte française.
Les vêtements donnent du pouvoir, de la force. Dans son livre Dress for Success, l'Américain John T. Malloy donne ses conseils aux hommes et leur explique à quel point les habits peuvent traduire la réussite professionnelle et personnelle. Il sort, en 1977, une édition pour femmes. Les deux tomes sont de véritables succès aux États-Unis à l'époque.
Voir le "power dressing" revenir sur le devant de la scène, plus d'une trentaine d'années après, n'est pas anodin. "Il peut être lié à une plus grande politisation du vêtement ou à la prise de conscience émergente de sa fonction politique", suppose Arianne Fennetaux.
Autrice d'un livre à paraître au mois de mai prochain sur l'histoire des poches dans le vêtement féminin, entre 1660 et 1900, elle explique qu'elles font, elles aussi, "un retour assumé et revendiqué dans le vestiaire des femmes", pour reprendre ses mots. Faut-il y voir une influence du mouvement #MeToo? Dans la tête de l'historienne, l'idée fait son chemin.
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