POLITIQUE - Maintien de l'ordre 2.0. En réponse aux violences qui émaillent la mobilisation des gilets jaunes depuis plusieurs mois et au saccage des Champs-Élysées le 16 mars, Édouard Philippe a promis un nouveau tour de vis sécuritaire pour l'acte XIX de la fronde ce 23 mars. Au programme de ce samedi de mobilisation: des marqueurs chimiques et des drones, mais également l'affectation de soldats de la force Sentinelle à la sécurité des institutions et bâtiments emblématiques de la capitale.
Outre cette dernière mesure, symboliquement "épouvantable" pour beaucoup de responsables politiques craignant de voir l'armée faire face à un mouvement social, ce sont les dispositifs technologiques inédits pour des missions de maintien de l'ordre qui interpellent. Car, sur le terrain, les forces de l'ordre se heurtent à la réalité d'une fronde qui dure depuis près de vingt semaines et à l'impréparation des autorités à propos de ce nouveau changement de doctrine.
Selon Le Point, qui cite des sources au ministère de l'Intérieur, les stocks de colorant chimique censés marquer les black blocs sont épuisés. Malgré tout, plusieurs drones devaient bien survoler en permanence les zones à risques, de la Concorde à la place de l'Étoile en passant par l'avenue des Champs-Élysées, à en croire l'hebdomadaire.
"C'est une évolution logique"
L'occasion pour le gouvernement de mettre -officiellement- en place ce nouveau dispositif technologique censé aider les forces de l'ordre à avoir un aperçu de possibles attroupements, manifestations interdites ou autres exactions. "Nous sommes déterminés à utiliser tous les moyens juridiques disponibles", arguait le Premier ministre lors de la présentation de ces mesures destinées à enrayer la vague de violences qui secoue le territoire samedi après samedi.
Marquantes peut-être, mais certainement pas nouvelles. Dès 2007, la ministre de l'Intérieur de l'époque Michèle Alliot-Marie vantait les mérites de ses "commissariats du futur" autour de la promotion "d'engins légers pour la surveillance aérienne". Autrement dit, des drones. "Les systèmes d'information et de communication, qui jouent un rôle vital dans la sécurité, doivent en permanence être améliorés pour résister aux performances croissantes des criminels", expliquait déjà la première flic de France.
Depuis, l'emploi de ces aéronefs sans pilote dans la sécurité intérieure n'a cessé de se développer. Au point qu'ils sont même utilisés en situation particulièrement tendue, comme lors de l'évacuation du site de l'ancien projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Jusqu'à six ou sept drones étaient déployés certains jours au-dessus de ces terres marécageuses. Le but? Appuyer les équipes au sol en observant "de très près, et en discrétion, ce qui se passe derrière une haie, de repérer des individus préparant des munitions...", expliquait le commandant du groupement des forces aériennes de gendarmerie Henri Dulong de Rosnay à Ouest-France en juillet.
Sans trop de risque en milieu rural, ce type d'engin a également été utilisé au-dessus des villes pour le maintien de l'ordre. Ce fut notamment le cas dès 2017 à Lyon pour la sécurité de la Fête des Lumières. Rien d'étonnant, donc, à voir ce genre de dispositifs être mis en place au-dessus de la capitale selon l'avocat spécialisé en droit numérique Thierry Vallat. "Ça commence à entrer dans le logiciel de maintien de l'ordre en France. Et ce n'est pas surprenant, c'est une évolution logique", explique-t-il au HuffPost, en précisant que les drones font partie de "l'arsenal tout à fait classique dans le maintien de l'ordre" à l'étranger.
Quelle efficacité? Quelle légalité?
D'autant que, selon le spécialiste, des drones de surveillance ont déjà été déployés au-dessus de Paris "plus ou moins officiellement (...) depuis deux ans." "On le sait", avance-t-il.
Une suite logique dans la stratégie du maintien de l'ordre sur le territoire selon lui, censée répondre aux nouveaux risques de débordements et de violences qui semblent se multiplier. "Il y a énormément d'avantages", explique-t-il avant de lister: "cela permet une vision d'ensemble et une vision ciblée à tous les niveaux. Les drones vont de plus en plus vite, ils sont de plus en plus autonomes et permettent d'aller dans des endroits où les autres ne vont pas."
Thierry Vallat imagine également la possibilité pour ces drones de pulvériser le fameux colorant indélébile (ou presque) censé favoriser la condamnation de casseurs et autres blacks blocs. "Techniquement c'est tout à fait possible", indique-t-il au HuffPost en prenant l'exemple de paysans qui utilisent ces sortes d'aéronefs en milieux ruraux pour diffuser leur engrais. Pour cette mission particulière, les autorités devront toutefois avancer des garanties au niveau du ciblage plus ou moins précis de la vaporisation. C'est une des questions -comme le risque que ferait encourir la chute d'un drone sur des manifestants- qui entourent encore l'usage de ces aéronefs en ville, qui plus est à Paris.
Rappelons d'ailleurs qu'il est strictement interdit pour un particulier de faire voler ce type d'engin au-dessus d'une ville. Les forces de l'ordre bénéficient quant à elles de dérogations et agiront dans la légalité. Reste désormais à régler les interrogations autour de la protection des données personnelles et la durée de la conservation des images tournées par ces petits appareils.
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