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«Leaving Neverland» : conseils de thérapeutes aux victimes d'abus qui ont vu le film

Il y a beaucoup de choses à digérer sur les accusations d’agressions sexuelles portées par James Safechuck et Wade Robson à l’encontre de Michael Jackson.

K.L Randis, écrivaine et survivante d'agressions sexuelles, dit avoir eu l'estomac noué en regardant "Leaving Neverland", un documentaire qui a été diffusé en France sur M6 ce jeudi 21 mars et dans lequel James Safechuck et Wade Robson évoquent en détail les agressions sexuelles que Michael Jackson leur aurait fait subir.

Elle était très émue quand les deux hommes ont expliqué que la paternité avait été le catalyseur qui les avait poussés à parler. Il leur était non seulement insupportable d'imaginer que la même chose puisse arriver à leurs enfants, mais cela leur rappelait aussi leur propre innocence, que Michael Jackson leur aurait volée à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

K.L Randis est l'autrice de Spilled Milk, un roman inspiré des agressions sexuelles qu'elle a elle-même subies. Elle ressent la même chose en observant ses deux filles, âgées de 4 et 6 ans.

"Il m'est difficile d'imaginer que mon père ait pu consciemment décider d'abuser de moi, explique-t-elle au HuffPost américain. James a dit qu'il n'éprouvait pas de compassion pour l'enfant qu'il était, et je suis d'accord avec lui. Je me retrouve dans mes filles, et cela me blesse de savoir que j'étais comme elles, une enfant innocente qui avait confiance dans le monde qui l'entourait."

L'écrivaine K.L Randis, à l'âge adulte et lorsqu'elle était enfant. Elle est l'autrice du roman Spilled Milk, inspiré des agressions sexuelles qu'elle a subies petite.
K.L Randis
L'écrivaine K.L Randis, à l'âge adulte et lorsqu'elle était enfant. Elle est l'autrice du roman Spilled Milk, inspiré des agressions sexuelles qu'elle a subies petite.

Revivre sa propre expérience

Selon Silva Neves, psychothérapeute spécialisé dans l'aide aux victimes de traumatismes sexuels, de nombreux survivants ont eu la même impression que K.L Randis en regardant le documentaire, depuis sa première diffusion sur la chaîne américaine HBO le 3 mars dernier: celle de se retrouver dans ces témoignages et de revivre leur propre expérience.

"Il y a tellement de détails auxquels les gens s'identifient dans ce que disent Robson et Safechuck, comme le fait que l'agresseur fasse croire à sa victime qu'elle est spéciale et qu'il l'aime, que les agressions sont une façon de lui manifester son amour et que s'il en parle à qui que ce soit, cela aura de graves conséquences", indique-t-il.

Visionner ce documentaire est éprouvant pour n'importe qui. C'est pourquoi une cellule d'aide psychologique était apparemment prévue pour les spectateurs à l'avant-première du film, lors du Festival de Sundance, aux États-Unis, en janvier.

Si vous avez subi un traumatisme sexuel, il est préférable que vous sachiez certaines choses avant de regarder "Leaving Neverland". Ci-dessous, K.L Randis, Silva Neves et d'autres thérapeutes expliquent ce dont ils parlent à leurs patients suite à la sortie du film.

Éviter un nouveau traumatisme

Selon l'évolution de votre processus de guérison, voir ce documentaire n'est pas forcément recommandé. Robert Cox, thérapeute spécialiste des traumatismes sexuels (qui exerce à Richmond, dans l'État du Missouri), dit avoir déconseillé à certains de ses patients de le regarder. Même si certains survivants peuvent trouver cathartique et semblable à une thérapie de groupe le fait de revivre leur expérience au travers des témoignages de James Safechuck et Wade Robson, d'autres risquent d'en être perturbés.

"Revivre une expérience traumatisante en thérapie est souvent vécu comme un nouveau traumatisme, explique-t-il. Cela peut plonger le patient dans un état dissociatif et le traumatiser à nouveau. Tout doit donc se faire au cas par cas."

Parler de son traumatisme peut aider

James Safechuck et Wade Robson, âgés respectivement de 10 et 7 ans au moment des faits présumés, ont mis du temps à en parler à leur famille. Plus tard, ils ont tous les deux rejeté l'idée de suivre une thérapie, et Wade Robson a caché la nature sexuelle de sa relation avec Michael Jackson quand il s'est finalement résolu à consulter un professionnel.

En regardant le documentaire, et l'interview des deux hommes par Oprah Winfrey qui a suivi sa diffusion sur HBO et OWN, on a le sentiment que Wade Robson a progressé dans l'acceptation de ce qu'il a subi. James Safechuck, lui, admet qu'il a encore un long chemin à faire. Pour Silva Neves, leur volonté d'en parler est un exemple essentiel pour les survivants d'agressions sexuelles.

"Certains survivants se disent: 'Si cela n'a aucun sens pour moi, comment puis-je en parler à quelqu'un d'autre?' ajoute le spécialiste. James et Wade admettent tous les deux qu'il leur était plus facile de ne rien dire parce qu'eux-mêmes ne parvenaient pas à comprendre ce qui s'était passé."

Il est très courant chez les survivants d'agressions sexuelles de ne pas pouvoir faire de récit cohérent de ce qui leur est arrivé, de souffrir de trous de mémoire ou de douter de certains événements. Mais ce n'est pas rédhibitoire, insiste Silva Neves: cela ne vous empêche pas de consulter un thérapeute, qui pourra même vous aider à trouver les mots pour en parler.

"Les survivants d'agressions sexuelles n'ont pas besoin, pour guérir, de pardonner à leur agresseur ou à ceux qui ont fermé les yeux sur ces agressions. Même sans cela, il leur est possible d'atteindre la guérison." - Silva Neves, psychothérapeute londonien spécialisé dans l'aide aux victimes de traumatismes sexuels

Un sentiment de culpabilité courant

Dans l'interview d'Oprah Winfrey, James Safechuck évoque la culpabilité qu'il éprouve à l'idée d'avoir raconté son histoire et dénoncé Michael Jackson qui, les agressions mis à part, était devenu pour lui comme un père de substitution. "Je me suis senti coupable ce week-end, comme si je l'avais laissé tomber, a-t-il dit à l'animatrice. Cette ombre, ce sentiment de culpabilité ne me quittent pas."

Ce moment – et la crainte de voir leur secret révélé quand ils étaient enfants (Michael Jackson leur aurait dit qu'ils iraient en prison si quelqu'un l'apprenait) – a particulièrement marqué K.L Randis.

"Quand James a dit qu'il paniquait à cause de ça, ça m'a rappelé le procès, quand on exhibait mon père dans la salle d'audience lorsque j'étais à la barre, déclare l'écrivaine. Son avocat se plaçait sciemment juste devant lui quand il m'interrogeait, en m'obligeant à regarder dans sa direction pour m'intimider, et j'étais dévorée de culpabilité à l'idée de le dénoncer devant de parfaits inconnus."

K.L Randis a fini par comprendre qu'elle n'avait pas lieu de se sentir coupable. "Ma culpabilité venait surtout du fait que je révélais 'notre' secret à d'autres personnes. Or, c'était le secret de mon agresseur, pas le mien."

Le pardon n'est pas nécessaire pour guérir

Vers la fin du documentaire, on demande à James Safechuck s'il a pardonné à sa mère d'avoir laissé les agressions présumées se produire. Il admet qu'il n'y est pas encore parvenu, ce qu'il a aussi exprimé de façon poignante sur le plateau d'Oprah Winfrey. "Le pardon, ce n'est pas une ligne qu'on franchit, c'est un chemin qu'on emprunte", a-t-il déclaré.

Cette vision nuancée du pardon rappelle que travailler sur son traumatisme émotionnel n'implique pas nécessairement d'absoudre ceux qui en sont responsables, assure Silva Neves. "Pardonner est considéré comme la meilleure chose à faire, et parfois la plus noble, observe le spécialiste. En fait, les survivants d'agressions sexuelles n'ont pas besoin, pour guérir, de pardonner à leur agresseur ou à ceux qui ont fermé les yeux sur ces agressions. Même sans cela, il leur est possible d'atteindre une guérison complète."

Il est important de le préciser, sachant que certains survivants hésitent à entamer une thérapie parce qu'ils ont peur d'être poussés par leur thérapeute à pardonner trop vite. Silva Neves assure que cette crainte est infondée.

"Bien sûr, je crois qu'il peut être très utile aux survivants de consulter un thérapeute ou un conseiller spécialisé afin de recevoir l'aide nécessaire pour analyser leurs sentiments et vous sentir entendus. Mais ce n'est pas quelque chose qui peut leur être prescrit ou réclamé par autrui."- Stefani Goerlich, thérapeute à Détroit

Ne pas se laisser dicter la manière de parler

Bien entendu, la réaction des fans de Michael Jackson au documentaire a été très violente. Wade Robson affirme avoir reçu des menaces de mort la veille de l'interview avec Oprah Winfrey, et les attaques contre les deux hommes se multiplient sur Twitter.

Voir des accusateurs se faire ainsi lyncher publiquement risque de dissuader certains survivants de porter plainte, par exemple, ou de consulter un professionnel de la santé mentale. Porter ce genre d'accusation est déjà bien assez terrifiant sans en rajouter, comme l'explique Stefani Goerlich, thérapeute à Détroit.

"J'ai assisté à des dizaines d'interrogatoires de survivants d'agressions et d'agressions sexuelles par la police, dit-elle. J'admire profondément celles et ceux qui ont le courage de supporter des questions invasives alors qu'ils ont déjà subi une telle violation de leur intimité."

Cependant, si vous vous sentez la force et la volonté de dénoncer votre agresseur ou simplement de parler de ce qui vous est arrivé, ne laissez pas la peur de l'opinion des autres vous décourager, conseille la spécialiste.

"Ne laissez jamais personne vous empêcher de faire ce qui est bon pour vous, dit-elle. Bien sûr, je crois qu'il peut vous être très utile de consulter un thérapeute ou un conseiller spécialisé afin de recevoir l'aide nécessaire pour analyser vos sentiments et vous sentir entendus. Mais ce n'est pas quelque chose qui peut vous être prescrit ou réclamé par autrui."

C'est à vous de déterminer le temps nécessaire à votre guérison, et la façon dont justice peut vous être rendue", conclut-elle.

Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord.

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