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Ce couple retarde son mariage… à cause de l’aide sociale

«J'ai l'impression qu'on nous punit parce qu'on est amoureux. Comme si l'amour, c'était réservé aux riches!»
Jennifer et son fiancé Grant
Courtoisie
Jennifer et son fiancé Grant

Quand son amoureux lui a demandé de l'épouser, à Noël l'an dernier, Jennifer Mcleish a tout de suite répondu oui. C'était un des moments les plus romantiques de sa vie. Mais le couple n'a toujours pas de date prévue. En fait, les deux amoureux n'habitent toujours pas ensemble, parce qu'ils craignent de ne plus pouvoir subvenir à leurs besoins.

C'est que Jennifer et son conjoint Grant sont bénéficiaires de l'aide sociale. Et s'ils se marient, ou même s'ils habitent sous le même toit, leurs prestations se feront couper de 561$ par mois.

Elle dit avoir une maîtrise en statistiques de l'Université de Toronto; il est pianiste. Mais tous deux ne peuvent pas travailler pour des raisons médicales. Ils se sont rencontrés il y a quatre ans, dans un cours de cinéma, dans un organisme qui vient en aide aux personnes avec des troubles de santé mentale. Et ils ont eu l'impression de trouver l'âme soeur.

Jennifer rêve de retrouver un jour un travail comme statisticienne en santé, mais ses problèmes de santé l'en empêchent, pour l'instant. Grant, lui, a eu de gros ennuis de santé au printemps dernier. Il a passé cinq mois à l'hôpital pour une embolie pulmonaire, notamment. Le couple avait d'abord fixé une date de mariage en novembre 2018, mais a dû repousser les plans à cause de l'état de santé de Grant. Jennifer a vraiment eu peur de perdre l'amour de sa vie. Heureusement, «par miracle», il a survécu.

Quelques règles de l'aide sociale

  • Le chèque de base pour une personne seule est de 669 $/mois, alors que le chèque pour un couple est de 1 022 $/mois.
  • Dans le programme de Solidarité sociale pour les personnes ayant une contrainte sévère à l'emploi, ces montants se situent respectivement à1 061 $/mois et 1 561$/mois.
  • Dans les deux cas, lorsque deux amoureux se marient, ou habitent ensemble depuis plus d'un an, un seul chèque est octroyé au couple, au nom d'un des deux individus.
  • «Cette notion de vie maritale est nuisible de différentes manières. D'un côté, elle punit les couples en diminuant leur revenu combiné, et de l'autre, elle nuit à l'autonomie financière des conjoints», illustre Camille Bonenfant, intervenante communautaire au Comité des personnes assistées sociales de Pointe-Saint-Charles.
  • «Récemment, une femme est venue nous voir parce que son conjoint reçoit leur chèque, et ne lui donne pas accès à l'argent, continue-t-elle. En conséquence, elle n'arrive pas à répondre ni à ses besoins ni à ceux de leur enfant. Elle n'est pas la seule dans cette situation.»

«Quand il m'a demandé de l'épouser, j'ai tout de suite dit oui... même si nous savions que nos chèques seraient coupés. Mais maintenant, nous nous rendons compte que ce serait impossible de vivre avec 561$ de moins par mois», confie la femme de 41 ans, en entrevue avec le HuffPost Québec.

«C'est un peu ridicule... Ce n'est pas parce qu'on est en couple qu'on mange moins, ou qu'on peut partager une passe d'autobus!»Jennifer Mcleish

Elle ajoute que chaque mois, malgré le fait qu'elle soit abonnée à deux banques alimentaires et qu'elle court les aubaines dans cinq supermarchés différents, elle arrive à court d'argent autour du 15e jour. Elle ne voit pas comment elle pourrait survivre en voyant son chèque amputé.

«C'est un peu ridicule... Ce n'est pas parce qu'on est en couple qu'on mange moins, ou qu'on peut partager une passe d'autobus!» illustre Jennifer.

Présentement, les deux amoureux vivent chacun dans un logement trop petit pour accueillir un couple. Jennifer affirme qu'elle a voulu d'emménager chez son conjoint, mais qu'elle n'avait aucun espace pour ses effets personnels.

«J'aimerais avoir le droit d'être avec mon fiancé, pour pouvoir profiter de chaque moment avec lui. J'ai l'impression qu'on nous punit parce qu'on est amoureux. J'ai l'impression qu'on nous dit que parce que nous ne sommes pas riches, nos droits fondamentaux ne valent pas la peine d'être respectés. Comme si l'amour, c'était réservé aux riches!»

Augmentation à venir

Contacté par le HuffPost Québec, le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale a précisé par courriel qu'il travaillait actuellement à une bonification du programme d'aide sociale, tel qu'annoncé par le ministre en décembre dernier.

Cette bonification devrait prendre en compte «la question du revenu disponible pour les personnes vivant en couple à l'aide financière de dernier recours», a indiqué Vincent Breton, de direction des communications du MTESS.

Il a aussi précisé que «la situation personnelle et familiale d'une personne, mais également le revenu familial d'un ménage, sont déterminants au moment de produire la déclaration de revenus et d'établir l'admissibilité à une aide financière dans le cadre de certains programmes de transfert ou de crédits d'impôt».

La prise en compte du revenu familial lors du calcul de l'aide sociale est également utilisée dans les autres provinces canadiennes, selon le MTESS.

Le mariage de Jennifer et de Grant est donc sur la glace, pour l'instant, le temps que leur «situation s'améliore». Jennifer espère un miracle; elle espère pouvoir recommencer à travailler. Sa belle robe blanche et ses souliers attendent, dans son petit logement.

Ce soir, ils fêteront la Saint-Valentin chez Grant. Ils écouteront de la musique et danseront.

«Parce que la Saint-Valentin, c'est pour tout le monde», rappelle-t-elle.

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