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Allaiter jusqu'à deux ans: une charge ou un soulagement?

La recommandation de Santé Canada était attendue depuis longtemps par certain(e)s, mais d'autres craignent qu'elle ne culpabilise plusieurs mères.
David Woolfall via Getty Images

Dans la foulée de la publication du nouveau guide alimentaire, un détail a attiré l'oeil de ceux et celles qui s'intéressent de près à l'allaitement: Santé Canada «recommande» maintenant de poursuivre l'allaitement jusqu'à ce que l'enfant ait deux ans, au lieu de l'encourager.

Un détail qui peut sembler anodin, mais qui fait toute la différence du monde pour le Mouvement allaitement du Québec. «C'était une demande que nous avions depuis plusieurs années, explique Raphaëlle Petitjean, coordonnatrice de l'organisme. On ne comprenait pas pourquoi Santé Canada ne s'harmonisait pas avec cette recommandation de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).»

Un changement ou pas?

Santé Canada prétend de son côté ne pas avoir modifié ses lignes directrices depuis 2014. D'ailleurs, si on consulte la version anglaise, la différence est moins marquée: on décrit l'allaitement prolongé jusqu'à deux ans ou plus comme «important».

Pour l'infirmière clinicienne Amélie Ouellet, consultante en lactation à l'Hôpital Sainte-Justine, le changement de vocabulaire en français est significatif, puisque Santé Canada a un discours plus «assumé», maintenant.

«Pour les professionnels de la santé qui appliquent ces recommandations, c'est une tout autre direction! Il faut que les différentes organisations (ordres professionnels, directions de santé publique, différents paliers de gouvernement...) transmettent ces nouvelles nuances. J'aimerais voir les ordres professionnels en santé émettre plus clairement à leurs membres l'importance du soutien, de la promotion et de la protection de l'allaitement, en tout temps!»

Au Mouvement allaitement du Québec, cette nouvelle recommandation permettra surtout de normaliser l'allaitement pour les bébés plus «vieux». D'ailleurs, beaucoup de femmes allaitent leur jeune enfant en cachette, parce qu'elles ne veulent pas se faire juger, selon Raphaëlle Petitjean.

«Parce que c'est encore mal vu, dans la population en général, d'allaiter un enfant après un an, et ce n'est pas normal. Les femmes ont beaucoup de pression pour allaiter quand leur bébé naît, et ont ensuite beaucoup de pression pour arrêter d'allaiter. Plus le bébé est grand, plus l'allaitement est mal perçu en public.»

Une pression de plus?

Mais pour Francine Descarries, membre fondatrice de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) de l'UQAM, cette nouvelle recommandation de prolonger l'allaitement vient ajouter un fardeau de plus sur les épaules des mères.

«Je ne conteste pas le bien-fondé de l'allaitement, mais pour moi, dans la formulation des documents actuels, il y a un ton impératif, une injonction qui risque de culpabiliser ou, du moins, de mettre mal à l'aise toute femme qui ne pourra pas ou ne voudra pas allaiter sur une période prolongée», affirme celle qui est aussi professeure au département de sociologie de l'UQAM.

La charge mentale, ça vous dit quelque chose? Eh bien, pour Francine Descarries, recommander l'allaitement jusqu'à deux ans, c'est déposer une autre «chape de plomb sur les épaules des mères», «à qui on demande toujours l'excellence».

«Dans ma conception à moi, [allaiter jusqu'à deux ans] n'est pas réaliste, ajoute-t-elle. Une jeune femme moderne, aujourd'hui, a le droit d'avoir un projet personnel de vie, et de s'attendre à ce que la responsabilité de l'enfant soit partagée avec le père.»

Amélie Ouellet précise toutefois qu'après un an, l'allaitement se résume dans la majorité des cas à une ou deux fois par jour, le soir et/ou le matin. Et les tétées sont beaucoup plus courtes.

«Ce n'est pas plus prenant que de raconter une histoire de plus à son enfant le soir, avant le dodo», illustre-t-elle.

Poursuivre l'allaitement de cette façon, après le retour au travail de la mère, peut faciliter la transition, à la fois pour la maman et le bambin, en plus de protéger ce dernier contre les (éternels) microbes du service de garde, poursuit-elle. Et elle précise: la clé, c'est que les deux personnes concernées soient à l'aise.

16,5 %

Selon l'Observatoire des tout-petits, 94 % des femmes allaitent leur bébé après une semaine de vie. Cependant, parmi les mères qui ont initié l'allaitement, seulement 61,8% allaitent toujours lorsque leur bébé à quatre mois. Après un an, ce sont seulement 16,5 % des mères qui allaitent toujours leur bambin.

Évidemment, le but n'est pas de mettre de la pression sur les femmes, affirme Raphaëlle Petitjean.

«On sait que dans beaucoup de cas, les femmes n'arrêtent pas d'allaiter par choix, mais parce qu'elles n'ont pas les ressources ou l'environnement n'y est pas favorable. Il faut donc changer ça!»

Elle croit d'ailleurs que cette nouvelle recommandation de Santé Canada permettra au Mouvement allaitement du Québec de sensibiliser les employeurs pour qu'ils mettent en place des mesures pour favoriser l'allaitement après le retour au travail de la mère.

«Il n'y a pas moyen de parler d'allaitement sans mettre de pression, malheureusement. Mais on ne peut pas faire progresser l'allaitement sans en parler. Et ce n'est pas vrai que la préparation commerciale pour nourrissons, c'est la même chose que le lait maternel. C'est une question de santé publique. Est-ce qu'on culpabilise les trois quarts de la population quand on leur dit: ''vous devez manger des fruits et des légumes''?»

Les bienfaits de l'allaitement

«L'allaitement maternel et l'alimentation complémentaire appropriée comptent parmi les interventions les plus efficaces pour promouvoir la santé, la croissance et le développement de l'enfant», peut-on lire sur le site de Santé Canada.

Ainsi, l'allaitement maternel contribue à répondre aux besoins de l'enfant jusqu'à l'âge de six mois. Entre six et douze mois, l'allaitement comble environ la moitié des besoins énergétiques de l'enfant. Et entre 12 et 24 mois, le tiers des besoins énergétiques d'un enfant peut provenir de l'allaitement, tandis que les deux tiers proviendraient de la nourriture.

Selon Santé Canada, plusieurs bienfaits sont observés chez les bébés qui ont été allaités après six mois, mais aussi chez leur mère: cela pourrait réduire le risque de surpoids ou d'obésité pendant l'enfance, mieux protéger l'enfant contre les rhumes et les gastroentérites, notamment, en plus de diminuer les chances pour la mère de développer un cancer du sein ou de l'ovaire.

Une multitude d'études partout dans le monde prouvent les bienfaits de l'allaitement. Selon le Mouvement allaitement du Québec, la norme biologique pour le sevrage de l'allaitement chez l'enfant serait l'âge de quatre ou cinq ans.

«Encore une fois, je ne nie pas ces bienfaits, on ne peut pas être contre la vertu, affirme Francine Descarries. Mais comment se demander si cette vertu est applicable dans le contexte nord-américain, où nous n'avons pas de carences alimentaires, en comparaison avec d'autres régions du monde?»

«Je me demande si les conditions de vie des femmes canadiennes et québécoises sont prises en considération... et si les bienfaits tirés de l'allaitement sont supérieurs aux problèmes de l'obligation de l'allaitement prolongé», conclut-elle.

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