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Dans la lumière: vivre avec la peur de mourir

«Les enfants, généralement, aiment ça aller aux glissades d'eau. Moi, ma question, c'était : ''est-ce qu'on va mourir?''»

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Marie-France Bourdua a toujours eu peur de mourir.

«Déjà petite, on parle de 6-7 ans, j'avais des craintes, se souvient-elle. Les enfants, généralement, aiment ça aller aux glissades d'eau, aller à La Ronde. Moi, ma question, c'était : est-ce qu'on va mourir dans les glissades d'eau, est-ce qu'on va mourir à La Ronde? J'étais vraiment anxieuse par rapport à ça.»

L'anxiété a pris de plus en plus de place dans la vie de Marie-France. À 11 ans, cela s'est amplifié, à l'approche du fameux «bogue de l'an 2000». «J'étais certaine qu'on allait mourir, raconte-t-elle. Je pouvais vraiment penser à ça, avoir des bouffées de chaleur, la tête me tournait, mon coeur débattait, j'avais peur, je pouvais me mettre à pleurer.»

Jusqu'à ce qu'elle commence à faire des attaques de panique, vers la fin de l'adolescence. Et que l'anxiété l'empêche de fonctionner normalement. C'est à ce moment qu'elle a consulté, et qu'elle a appris qu'elle souffrait d'un trouble de l'anxiété généralisée (communément appelé TAG) et d'un trouble panique avec agoraphobie. La jeune femme aujourd'hui âgée de 32 ans a accepté de raconter en toute humilité son histoire au HuffPost Québec, à l'occasion de la journée Bell cause pour la cause, mercredi 30 janvier.

«C'est à 19 ans que j'ai pu mettre des mots sur ce que je vivais, puis savoir c'était quoi, une attaque de panique.»

Parmi les symptômes reliés aux attaques de panique, on note: étourdissements, bouffées de chaleur, nausée, coeur qui débat, sentiment de dépersonnalisation («c'est comme si mon corps sortait de mon corps, comme si je paralysais et que je ne pouvais plus bouger»). Certains ont aussi des serrements à la poitrine. Et le tout est tellement intense, que beaucoup de personnes qui le vivent pour la première fois ont l'impression qu'ils font un infarctus et/ou qu'ils vont mourir.

Les troubles anxieux, le mal du 21 siècle?

Au Canada, environ 3 millions de Canadiens (11,6 %) âgés de 18 ans et plus ont déclaré être atteints d'un trouble anxieux ou de l'humeur, selon une enquête réalisée en 2014 par le gouvernement canadien. Plus d'un quart de ces personnes ont indiqué que ce trouble avait « beaucoup » ou « énormément » nui à leur qualité de vie au cours des 12 mois précédents. Les principaux troubles anxieux sont le trouble d'anxiété généralisée, le trouble panique avec ou sans agoraphobie, la phobie spécifique et la phobie sociale.

Et ils viennent rarement seuls, selon le directeur clinique de Revivre, un organisme qui vient en aide aux personnes vivant avec des troubles anxieux, la dépression et la bipolarité.

«Il y a une expression dans le milieu qui dit : ''si vous trouvez un trouble anxieux chez quelqu'un, cherchez-en un autre''», illustre Bruno Collard.

«Et en général, plus de la moitié des personnes qui vivent avec un trouble anxieux vont vivre un trouble de l'humeur, dont des épisodes de dépression, ajoute-t-il. Ce sont les troubles mentaux les plus courants, et ils peuvent faire des ravages quand ils ne sont pas soignés.»

Sa première attaque de panique, Marie-France l'a vécue dans le métro, en se rendant au cégep. Le début d'une longue série d'attaques de panique reliées aux transports. Elle avait peur que le métro s'écroule, que l'autobus ou la voiture où elle se trouvait fasse une embardée... ou elle avait peur de faire une attaque de panique, tout simplement. Cette peur de subir à nouveau une attaque de panique est très fréquente, chez les personnes atteintes du trouble panique. C'est pour cette raison que plusieurs d'entre elles souffrent aussi d'agoraphobie.

«J'avais peur de m'évanouir, explique-t-elle. Surtout dans les transports en commun, je me disais: ''qui va me ramasser''?»

Un tourbillon qui l'a amenée à terminer son cégep de chez elle. Étudiante à Montréal, alors qu'elle habitait sur la Rive-Sud, Marie-France ne voulait plus se déplacer.

«En deux ans et demi, j'ai arrêté de prendre le métro, après ça, j'ai arrêté de prendre l'autobus, puis, je ne voulais plus prendre mon auto pour aller à Montréal... Je me confinais de plus en plus chez moi. La seule chose que je faisais d'encore fonctionnelle, c'était que j'allais travailler à Boucherville avec ma voiture. Mais... dépassé ça, ça me créait beaucoup d'anxiété.»

«Je m'isolais de mes amis»

Une des principales conséquences que vivent les personnes avec des troubles anxieux est d'ailleurs l'isolement. C'est pour cette raison que des organismes comme Revivre offrent des ateliers à leurs participants, qui peuvent échanger entre eux. «Typiquement, les gens vont avoir tendance à s'isoler, à se soucier du regard des autres, explique Bruno Collard, directeur clinique de Revivre. Quand ils se retrouvent dans un atelier avec 15 autres personnes qui vivent avec un trouble anxieux, ils se rendent compte que les autres se reconnaissent dans ce qu'ils racontent.»

«Je m'isolais de mes amis, continue Marie-France. On avait 18-19 ans, et des fois, on sortait, puis je disais: ''il faut qu'on s'en aille, je suis pas bien!''. Mes amies étaient là pour moi, mais des fois, j'ai senti que certaines prenaient leurs distances, parce que c'était trop à gérer pour elles. Et c'est tout à fait normal... Et chez moi, mes parents ne savaient pas toujours quoi faire, il m'arrivait d'avoir des crises de larmes sans que je puisse m'arrêter.»

Marie-France a donc commencé à consulter, à l'âge de 19 ans, dans une clinique spécialisée pour les troubles anxieux. Elle a entamé une thérapie de quatre ans.

«Ça m'a aidée, mais ce n'était pas parfait», raconte-t-elle.

Avec l'aide de sa psychologue, elle a appris à reprendre le métro, graduellement.

La fin du monde

Puis, en 2012, tout a basculé, à nouveau, quand les rumeurs de fin du monde et de calendrier maya se sont mises à circuler.

Je me disais: ''on va tous mourir en même temps. Comment je vais faire pour me sauver?''

«J'avais pas eu ma leçon avec le bogue de l'an 2000... Donc en 2012, toutes mes craintes face à la fin du monde sont ressorties, se souvient-elle. Et à ce moment-là, en décembre 2012, je n'étais plus fonctionnelle. J'avais de la misère à aller à mes cours à l'UQAM, je ne faisais que penser à ça. Je me disais: ''on va tous mourir en même temps. Comment je vais faire pour me sauver?''»

C'est finalement sa mère qui l'a convaincue d'aller à l'urgence. Le lendemain, elle s'est présentée au guichet d'accès unique en santé mentale de son quartier, une mesure mise en place par le gouvernement québécois en 2008.

Courtoisie

«Et c'est à partir de ce moment-là que j'ai accepté de prendre de la médication, précise Marie-France. J'ai fait une autre thérapie de trois ans, et je dirais que cette thérapie-là a été beaucoup plus bénéfique pour moi, parce que justement, vu que j'étais médicamentée, j'étais plus focus sur ce que j'avais à faire, et j'étais moins dans mon anxiété.»

Moi, la médication m'a aidée, et je me rends compte qu'au même titre que quelqu'un qui a le diabète, qui doit prendre de l'insuline toute sa vie, j'ai pas le choix de prendre ça.

Depuis environ six ans, Marie-France va beaucoup mieux. Elle travaille comme éducatrice spécialisée à l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

«Moi, la médication m'a aidée, et je me rends compte qu'au même titre que quelqu'un qui a le diabète, qui doit prendre de l'insuline toute sa vie, j'ai pas le choix de prendre ça, explique-t-elle. Et pour moi, je vais la prendre toute ma vie, parce que ça me rend fonctionnelle. Et aujourd'hui... les attaques de panique, ça ne m'arrive plus du tout. C'est complètement terminé.»

Elle avoue toutefois faire de l'anxiété de performance, parfois, au travail. Elle se sert alors des outils qu'elle a développés en thérapie pour se raisonner et dédramatiser la situation. Mais des fois, pour gérer cette anxiété, il arrive que Marie-France s'arrache des cheveux. C'est ce qu'on appelle la trichotillomanie, un trouble que vivent plusieurs personnes anxieuses. Mais le phénomène n'est pas réellement reconnu par les professionnels de la santé, ici.

«Encore aujourd'hui, je me rase les cheveux parce que... c'est mon cercle vicieux: ils repoussent et au bout de trois mois, je recommence à les arracher, donc je les rase.»

Marie-France a longtemps porté des perruques ou des rallonges, mais depuis environ deux ans, elle assume ses cheveux rasés, qui soulignent d'ailleurs la douceur de son visage.

Causer de santé mentale

Aujourd'hui, Marie-France espère que son histoire incitera d'autres personnes qui vivent avec un trouble anxieux à aller chercher de l'aide. Parce que selon elle, oui, la santé mentale est encore un sujet tabou, malgré le fait qu'on en parle plus qu'avant.

«Les gens ont tendance à ne pas en parler... mais pourquoi? Quelqu'un qui est en fauteuil roulant, on le voit, qu'il y a un handicap, une problématique... Moi, c'est dans ma tête, on le voit pas, fait que faudrait que je me sente mal?»

Elle encourage donc toutes les personnes qui sentent que l'anxiété les freine à aller consulter.

«Ce que je dirais à une personne qui vit beaucoup d'anxiété et qui hésite à aller chercher de l'aide, c'est: ''mon dieu, fais-toi un cadeau et vas-y!'' Parce que pour vrai, avoir su comment je me sens maintenant versus avant, j'y aurais été avant, consulter. Je n'aurais pas été réticente pendant 10, 15 ans. Il n'y a pas de honte à consulter.»

Bell cause pour la cause

Ce mercredi 30 janvier, c'est la journée Bell cause pour la cause. Bell versera 5 cents au profit de programmes canadiens en santé mentale pour chacune des interactions ci-dessous; les participants n'auront pas à payer d'autres frais que ceux qu'ils paient habituellement à leur fournisseur de services pour Internet et leur service de téléphonie.

  • Appels : Chaque appel mobile et interurbain effectué par les clients des services sans fil et téléphoniques de Bell
  • Messages texte : Chaque message texte envoyé par les clients des services sans fil de Bell
  • Twitter : Chaque tweet et rediffusion de tweet utilisant le mot-clic #BellCause et présentant l'émoji Bell Cause pour la cause, et chaque visionnement de la vidéo de la Journée Bell Cause pour la cause à l'adresse com/Bell_Cause
  • Facebook : Chaque visionnement de la vidéo de la Journée Bell Cause pour la cause à com/BellCausePourLaCause et utilisation du cadre Bell Cause pour la cause
  • Instagram : Chaque visionnement de la vidéo de la Journée Bell Cause pour la cause à l'adresse com/bell_cause
  • Snapchat : Chaque utilisation du filtre Bell Cause pour la cause et visionnement de la vidéo

«Dans la lumière» est une série du HuffPost Québec qui donne la parole sans filtre à des gens ordinaires qui ont vécu des expériences hors du commun. Au cours d'un entretien intimiste, l'interviewé témoigne d'un parcours, d'un engagement ou d'une tranche de vie qu'il souhaite partager.

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