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Quel avenir pour le «Bye Bye»? Un expert de la télé québécoise se prononce

En 50 ans, les limites mouvantes du «politically correct» ont posé plusieurs défis aux artisans de la grand-messe de fin d'année.
Anne Dorval et Marc Labrèche dans le sketch «Passe-partrump», dans le «Bye Bye 2017».
Radio-Canada
Anne Dorval et Marc Labrèche dans le sketch «Passe-partrump», dans le «Bye Bye 2017».

Des dérapages homophobes de RBO au blackface de Joël Legendre en passant par les excuses publiques de Véronique Cloutier et de Louis Morissette en janvier 2009, le Bye Bye de Radio-Canada a connu son lot de controverses en un demi-siècle d'existence. Pourtant, bon an mal an, la rétrospective humoristique demeure le plus grand rendez-vous télévisuel de l'année.

Mais dans un Québec de plus en plus sensible à la diversité, est-ce que Radio-Canada pourra rééditer l'exploit encore longtemps? Le HuffPost Québec en a discuté avec Pierre Barrette, directeur de l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal et expert de la culture médiatique québécoise.

HPQ: Qu'est-ce qui fait que le Bye Bye cause si souvent la controverse?

PB: Ça s'explique assez facilement. Il y a toujours en moyenne entre 3,5 et 4 millions de personnes qui regardent le Bye Bye. Proportionnellement à la taille du Québec, c'est plus que les auditoires du Super Bowl. C'est vraiment très gros. Et ça, ça crée ce qu'on appelle dans mon domaine un «non-public». Ces quatre millions de personnes ne constituent pas en soi un «public». Ce qu'on définit comme un public, ce sont des gens qui prennent la décision consentie de regarder le contenu d'une émission. Ici, on a plutôt affaire à des gens qui se retrouvent devant le Bye Bye, à écouter d'un oeil plus ou moins attentif.

Il y a toutes sortes de gens qui regardent le «Bye Bye» qui ne devraient pas regarder le «Bye bye».

Les gens qui se retrouvent devant le Bye Bye s'y retrouvent pour toutes sortes de raisons, qui n'ont parfois rien à voir avec le contenu de l'émission. Ça fait qu'il y a toutes sortes de gens qui regardent, mais qui ne devraient pas regarder. Ce sont des gens qui ne regardent généralement pas la télévision ou qui ne connaissent pas le contexte dans lequel ce genre de sketchs-là sont faits. Ils se retrouvent confrontés à un certain type d'humour, à certains personnages, auxquels ils ne sont pas habitués et ils sont tout simplement décontenancés par ce qu'ils voient.

Les gens qui écrivent le Bye Bye doivent toujours se tenir sur le fil du rasoir, parce que d'un côté s'ils sont trop politically correct, s'ils essaient de générer du consensus, ils ne seront pas drôles. Mais de l'autre côté, s'ils poussent juste un peu trop, cette portion de l'auditoire, qui n'a pas l'habitude d'être confrontée à ce type d'humour, va être offensée.

C'est extrêmement difficile de plaire à la fois au véritable public du Bye Bye - c'est-à-dire les gens qui s'attendent à rire et à avoir un divertissement intéressant - et de ne pas déplaire au «non-public» qui ne connaît pas la télévision et qui va facilement s'offusquer.

HPQ: À quelle époque est-ce que les controverses du Bye Bye ont commencé?

PB: Grosso modo, les controverses ont débuté vers la fin des années 90. Quand Radio-Canada a décidé en 1997 de ne pas faire de spécial de fin d'année, on peut facilement imaginer que c'était lié à la prise de conscience de la difficulté de plaire à tout le monde.

Puis, après ça, avec l'arrivée de Rock et Belles Oreilles (RBO) à la tête du Bye Bye, ça a contribué à faire en sorte que l'émission s'affranchisse du côté un peu bon enfant qui avait toujours été là et qui marquait notamment les Bye Bye de Stéphane Laporte (de 1993 à 1996, NDLR).

Après, on est entré dans l'ère des humoristes contemporains - Louis Morissette, François Avard, Jean-François Mercier -, qui ne sont pas des gens dont l'humour fait dans les pincettes. François Avard, c'est quand même l'homme derrière Les Bougon! Donc à partir du moment où on a opéré ce shift-là, qu'on a fait le choix d'aller vers des humoristes plus controversés, moins politically correct, c'est sûr qu'on se mettait en position d'être critiqué et de se faire la vie difficile.

EN VIDÉO| Ce controversé sketch sur les Outgames avait beaucoup fait réagir en 2006:

HPQ: Est-ce que les artisans du Bye Bye sont plus sensibles à cette possibilité de créer la controverse qu'avant?

PB: Il y a un degré de sensibilité accru de par le fait qu'il y a, depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, une vague de frilosité politique au Québec. Il y a des choses qu'on n'a plus le droit de dire. C'est devenu extrêmement touchy de rire des différences ethniques, des différences sexuelles, des différences entre les hommes et les femmes... Donc il y a une véritable frilosité - qu'on peut aimer ou pas, mais qui est indéniable. On l'a vu cette année avec des controverses comme celles de SLĀV ou de Kanata.

Avec le Bye Bye, on est dans un spectacle d'humour. Pour rire des choses, il faut être un peu irrévérencieux. Si on ne l'est pas, on est plate, on est convenu. Ça rend l'exercice de plus en plus difficile.

Je pense que les auteurs - et pas juste les auteurs, mais les producteurs de Radio-Canada et leurs avocats aussi - sont de plus en plus sensibles à la possibilité de dépasser les bornes. Personne ne veut devoir faire revenir les auteurs de Floride pour s'excuser dans une conférence de presse début janvier.

EN VIDÉO| Certains sketchs, comme «Le choc des cultures» diffusé en 1981, ne passeraient probablement pas aujourd'hui:

HPQ: Si la ligne devient de plus en plus mince, est-ce que l'avenir du Bye Bye est menacé?

PB: Je pense que le Bye Bye est toujours menacé. Il a cessé pendant quelques années à la fin des années 90; on a essayé de nouvelles formules; on est allés chercher RBO qui avait du succès sur une autre chaîne alors que Radio-Canada n'en avait plus vraiment avec son Bye Bye... On doit constamment aller chercher de nouvelles équipes, se renouveler. C'est jamais simple le Bye Bye. C'est à la fois quelque chose de très fort - s'il y a un événement médiatique qui caractérise le Québec, c'est bien celui-là - et une patate chaude.

HPQ: Dans un contexte où les Québécois regardent de moins en moins la télévision traditionnelle, est-ce que le Bye bye fait face à des défis particuliers?

PB:Cette situation-là pose des défis davantage pour les séries de fiction et les sitcoms, qu'on peut regarder en différé sur des plateformes comme tou.tv, Netflix et les autres. Ces émissions-là sont effectivement de moins en moins regardées en direct. Mais il reste quand même toute une partie de la programmation qui n'est pas menacée parce que sont des émissions qu'on ne regardera pas en différé. On ne regardera pas la finale d'Occupation Double deux semaines plus tard; ça perdrait complètement son sens. On ne regardera pas un match des Canadiens le lendemain, parce que c'est presque impossible de ne pas savoir s'ils ont gagné ou perdu.

C'est la même chose avec des événements médiatiques comme le Super Bowl ou la finale de la Coupe du monde de soccer. Il faut qu'il y ait une expérience communautaire pour que l'événement prenne son sens. Et le Bye Bye, c'est l'exemple par excellence. Ça n'a aucun sens en dehors du contexte très rituel d'une réunion de fin d'année, en famille ou entre amis, qui se construit non pas autour, mais en parallèle à l'émission. C'est là que la télévision retrouve sa fonction la plus traditionnelle.

Est-ce qu'on peut imaginer que les gens vont déserter de plus en plus la télévision? Moi, personnellement, je suis sceptique. Je crois qu'on a tendance à aggraver le phénomène du délaissement de la télévision. Les 18-30 ans regardent très peu la télé, ça a toujours été le cas, mais ils reviennent par la suite à des habitudes de consommation un peu plus traditionnelles. Évidemment, avec la multiplication des plateformes, on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. Mais il va toujours rester, selon moi, ces événements médiatiques qu'on doit regarder en direct et qui prennent leur sens justement par le fait que tout le monde est devant son écran en même temps en train de le regarder.

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