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Les lois canadiennes ne sont pas prêtes pour le «cyberexhibitionnisme», un nouveau type de harcèlement sexuel

Le phénomène ne peut être ignoré, selon les experts.
Brian Vinh Trinh/HuffPost Canada

Une photo d'un pénis apparaît soudainement sur l'écran du téléphone de Mallory Hood. Elle est suivie d'une autre et d'une autre encore, la laissant seule à se demander lequel des passagers du métro est l'expéditeur.

Est-ce une blague d'un groupe d'adolescents? De l'étranger assis à côté d'elle? D'un homme désirant la blesser?

Ce samedi soir d'avril, elle se dirigeait vers une fête d'anniversaire. Elle a pourtant préféré descendre du métro et s'est réfugiée chez un ami.

«Je pleurais, j'essayais de comprendre ce qui se passait. Comment cela pouvait-il arriver?» raconte Mallory Hood, une directrice de commerce de détail âgée de 30 ans de Toronto.

«Je me sentais violée. C'est une façon d'agresser quelqu'un sans le toucher, d'entrer dans son espace personnel sans s'approcher.»

Mallory Hood

Le cyberexhibitionnisme- souvent un homme envoyant des images de pénis non sollicitées à une femme - est une forme de harcèlement sexuel apparue à la suite du développement d'applications telles que Snapchat et Instagram, ainsi qu'avec la technologie sans fil AirDrop disponible sur iPhone, iPad et MacBook.

Airdrop permet aux utilisateurs de partager des photos, des vidéos et des fichiers entre des appareils Apple via Bluetooth et Wi-Fi, à condition que les appareils se trouvent à environ neuf mètres l'un de l'autre. Notons qu'il est possible, toutefois, de régler les paramètres de sécurité pour AirDrop.

Même si Mme Hood a décliné la demande Airdrop, elle a quand même vu les photos automatiquement prévisualisées sur l'écran de son téléphone.

«Nous consommons activement des images et des vidéos, mais nous choisissons ce que nous regardons», raconte Mme Hood. «Cette façon permet à quelqu'un de vous montrer quelque chose que vous ne voulez pas voir. C'est comme se dénuder en public.»

Nadje Masoro, âgée de 20 ans, se rendait au travail en juillet, traversant le centre-ville de Toronto en métro, elle regardait Netflix sur son téléphone et portait des écouteurs sans fil connectés au Bluetooth.

«J'ai été dégoûtée», lance Mme Masoro. «Ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour une photo de pénis. Quel est le but? Je ne souris pas et je ne ris pas. Ça gâche ma journée.»

Nadje Masoro

Les expériences vécues par Masoro et Hood deviennent de plus en plus courantes. Lors des recherches pour ce reportage, le HuffPost a été contacté par plusieurs femmes qui ont raconté avoir reçu des photos de parties génitales indésirables via Airdrop, textos et Snapchat d'un étranger ou d'un homme qu'elles n'avaient rencontré qu'une fois. Elles ne désiraient pas être nommées, de peur d'être ciblées à l'avenir.

La professeure Wendy Craig, chef du département de psychologie à l'Université Queen's, souligne qu'il n'existe aucune recherche ni donnée sur le cyberexhibitionnisme au Canada, la majorité des rapports provenant de New York et du Royaume-Uni. Elle considère «phénomène clandestin».

«Je pense que cela se produit vraiment et que c'est rarement déclaré parce que certaines personnes éprouvent de la honte et de l'embarras», note l'experte en intimidation.

Le phénomène du cyberexhibitionnisme est relativement nouveau, mais il faut le prendre au sérieux, souligne-t-elle.

«Chaque incident est une forme de harcèlement sexuel et a des conséquences négatives. La notion de danger et de ne pas savoir où et quand cela peut vous arriver va augmenter votre peur et votre réaction au stress, de sorte que ces personnes ne se sentent pas en sécurité dans les espaces publics.»

TORONTO, ONTARIO, CANADA - 2018/09/27: Wide angle of a TTC subway train interior. This vintage cars are being replaced by modern Bombardier ones. (Photo by Roberto Machado Noa/LightRocket via Getty Images)
Getty Editorial
TORONTO, ONTARIO, CANADA - 2018/09/27: Wide angle of a TTC subway train interior. This vintage cars are being replaced by modern Bombardier ones. (Photo by Roberto Machado Noa/LightRocket via Getty Images)

La Toronto Transit Commission (TTC) a répertorié quatre cas faisant état de cyberexhibitionnisme depuis le lancement de son application pour déclarer ce type d'évènements en septembre 2017. La TTC conserve les données afin d'identifier les tendances futures et ne contactera la police que lorsqu'il y aura assez de cas pour déclencher une enquête pour harcèlement criminel.

«Nous prenons au sérieux tout harcèlement de notre système et encourageons toute personne qui reçoit une photo inappropriée sans consentement à la signaler», rappelle Kadeem Griffiths, porte-parole de la TTC.

Mme Hood a rapporté l'incident à la TTC, et bien qu'il y ait eu un suivi, rien n'a été fait, car elle n'a sauvegardé aucune des photos qui auraient pu aider à identifier l'auteur, explique-t-elle. Mme Masoro a raconté l'histoire sur Twitter, mais n'a pas informé la TTC, car elle ne voulait plus y penser.

Selon Mme Craig, les autorités devaient trouver un moyen de lutter contre le cyberexhibitionnisme comme toute autre forme de harcèlement.

«Nous prenons ces situations au sérieux, nous savons de quoi il s'agit et quelles en sont les conséquences», déclare-t-elle. «Mais nous devons réfléchir à la possibilité d'identifier le coupable.»

La police de Toronto a indiqué qu'elle n'avait jamais reçu de plainte pour des photos indésirables et a refusé la demande d'entrevue du HuffPost.

La police britannique des transports a précédemment affirmé au HuffPost Royaume-Uni que les personnes recevant une photo de pénis via Airdrop devraient effectuer une capture d'écran de l'image et la signaler le plus rapidement possible, dans l'espoir que celle-ci contienne des informations pour identifier le suspect.

Afin de poursuivre les auteurs de ces photos, il serait possible d'identifier le suspect à l'aide des caméras de surveillance du métro, mais ce serait un défi, explique un avocat de la défense de Toronto, Daniel Brown.

«Cela exigerait que la police identifie qui a envoyé les documents et je ne suis pas sûr que cela puisse être facilement retracé, car ils ne passent pas par un réseau cellulaire et c'est pratiquement indétectable», précise Me Brown. «Je ne suis pas certain que ce type d'infraction crée le type de preuve dont vous auriez besoin pour obtenir une condamnation.»

Clarifier les lois ou en créer des nouvelles

Le harcèlement sexuel n'est pas techniquement une infraction criminelle. Par conséquent, il n'est pas clair si le fléau électronique est visé par le Code criminel canadien, souligne Me Brown. Le cyberexhibitionnisme pourrait potentiellement être considéré comme une corruption des moeurs, un méfait, un acte indécent ou la distribution de matériel obscène.

«Ce type de comportement ne correspond pas parfaitement aux lois pénales et de temps en temps, les lois doivent être étendues pour englober ce type de comportement», déclare l'avocat. «Alors peut-être qu'il est nécessaire de clarifier les lois existantes ou de créer une infraction entièrement nouvelle.»

À New York, les membres du conseil municipal ont présenté en novembre un projet de loi visant à rendre le cyberexhibitionnisme punissable d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an et d'une amende maximale de 1 000 dollars américains. Au Royaume-Uni, les députés demandent l'adoption d'une nouvelle loi visant à rendre le cyberexhibitionnismeillégal, qui sera bientôt examinée par le législateur.

Mme Hood veut faire en sorte que ces cas soient pris au sérieux. «Plus il y a de gens qui en parlent, plus on est sensibilisé à un crime sans visage».

Ce texte initialement publié sur le HuffPost Canada a été traduit de l'anglais.

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