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Sondage Léger/IEDM: les Québécois appuient la taxe carbone, mais pas quand vient le temps de payer

Il existe toutefois une solution toute simple pour venir à bout de cette contradiction, assure un expert.
À peine 2% des Québécois accepteraient de payer le montant nécessaire pour une taxe carbone qui permettrait d'atteindre les objectifs de la province en matière de réduction des gaz à effet de serre, selon le sondage.
NithidPhoto via Getty Images
À peine 2% des Québécois accepteraient de payer le montant nécessaire pour une taxe carbone qui permettrait d'atteindre les objectifs de la province en matière de réduction des gaz à effet de serre, selon le sondage.

La majorité des Québécois sont en faveur de la proposition du gouvernement Trudeau d'introduire d'ici 2022 une nouvelle taxe sur le carbone, et ce, même s'ils s'attendent à ce qu'elle fasse grimper le prix de l'essence, révèle un nouveau sondage Léger commandé par l'Institut économique de Montréal (IEDM). Mais lorsqu'on leur demande s'ils seraient eux-mêmes prêts à débourser plus pour faire le plein, les choses se corsent. Une contradiction qui s'explique, assure toutefois le directeur de la Commission de l'écofiscalité du Canada.

Selon les résultats publiés mercredi, trois Québécois sur cinq (62%) se disent «très favorables» ou «favorables» à cette taxe sur le carbone, qui vise à réduire les gaz à effet de serre (GES). Cette proportion augmente même à 76% pour une taxe qui «permettrait au Canada d'atteindre entièrement ses objectifs de réduction des GES».

Et ils ne sont pas naïfs! La grande majorité d'entre eux, soit 69% des répondants, s'attendent à ce qu'une telle taxe fasse augmenter le prix à la pompe. Or, quand vient le temps de délier les cordons de la bourse, c'est une autre histoire... 60% des répondants ne se disent «pas prêts à payer plus» leur litre d'essence en raison d'une taxe sur le carbone.

Même parmi ceux qui sont prêts à payer plus, trois personnes sur cinq n'accepteraient qu'une augmentation mineure allant jusqu'à 5¢/litre, ce qui est bien loin d'être suffisant pour freiner les changements climatiques.

Selon plusieurs études, dont une réalisée l'an dernier par le chercheur Pierre-Olivier Pineau du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), une augmentation de 50¢ par litre d'essence vendu au Québec est nécessaire pour que la province atteigne ses objectifs de réduction des GES. Rappelons que le Québec a pour objectif de réduire ses émissions de 37,5% par rapport au niveau de 1990, un objectif plus ambitieux que celui du fédéral (-30% par rapport à 2005).

Selon les résultats du sondage Léger/IEDM, à peine 2% des Québécois se disent prêts à absorber une hausse aussi marquée du prix de l'essence.

«Lorsqu'on leur présente autant les coûts que les bénéfices, les Québécois rejettent alors massivement l'idée d'une taxe carbone, ou en tout cas la suggestion d'une taxe sur le carbone établie à un niveau susceptible d'avoir l'impact recherché sur la consommation d'énergies fossiles», en conclut Germain Belzile, chercheur associé senior à l'IEDM, un think tank associé à la droite économique.

Le président et directeur général de l'IEDM, Michel Kelly-Gagnon rappelle quant à lui que les émissions québécoises ne représentent que 0,18% des émissions mondiales, et que les efforts des Québécois ne changeront «absolument rien» à l'état de la planète.

«Ce qui peut sembler à première vue une contradiction des Québécois est simplement une manifestation de leur rationalité quand on prend une idée comme la taxe carbone et qu'on la transpose dans la réalité, avec les coûts qui y sont associés», renchérit M. Belzile.

Poser les bonnes questions

Mais selon le directeur de la Commission de l'écofiscalité du Canada, Chris Ragan, cette contradiction s'explique en partie par la formulation «injuste» de la question.

«On demande aux gens "êtes-vous prêts à payer plus cher?", mais la question devrait plutôt être "seriez-vous prêts à payer plus cher à la pompe si l'argent vous était retourné?"» explique celui qui est également professeur agrégé au département de science économique de l'Université McGill.

Il fait ainsi référence au programme Incitatif à agir pour le climat créé par le gouvernement Trudeau, qui redistribuera 90% des recettes provenant de la taxe carbone aux contribuables. Le gouvernement fédéral estime que pour 70% des ménages, le versement sera plus élevé que ce qu'ils auront dépensé de plus à la pompe en raison de la taxe carbone.

À VOIR: Justin Trudeau explique le plan de redistribution de la taxe carbone:

«Le but d'une tarification sur le carbone n'est pas de vous appauvrir, assure M. Ragan. C'est de vous encourager à conduire moins ou à conduire mieux.»

Rappelons toutefois que ce remboursement ne s'applique pas au Québec... pour le moment. L'argent généré par la bourse du carbone à laquelle a adhéré le gouvernement québécois s'accumule pour le moment dans le Fonds vert. Il est ensuite redistribué dans des programmes de réduction des émissions de GES.

Chris Ragan ne serait cependant pas surpris de voir François Legault adopter un système de redistribution similaire au Québec. Tout en réitérant son appui à la bourse du carbone, la ministre de l'Environnement, MarieChantal Chassé, rappelait d'ailleurs en octobre dernier l'intention de la Coalition avenir Québec de revoir le fonctionnement du Fonds vert et de réduire le fardeau fiscal des contribuables.

Une chose est certaine: que ce soit par l'entremise d'une taxe carbone ou de la bourse du carbone, Chris Ragan - comme le ministère des Finances du Québec - doute fort de voir le prix de l'essence faire un bond de 50¢/litre d'ici 2030 au Québec.

Les Québécois n'aiment vraiment pas l'idée de payer plus cher pour de l'essence.Chris Ragan

«Ce que l'on devrait voir au Québec, c'est une augmentation graduelle du prix du carbone, et donc de celui de l'essence, prédit l'économiste. Et on sait que lorsque les prix d'un bien augmentent, les gens réagissent en réduisant graduellement leur consommation.»

Même si l'argent leur était ensuite remis sous forme de ristourne, il compte sur le fait que «comme consommateurs, les Québécois n'aiment vraiment pas l'idée de payer plus cher pour de l'essence» pour voir les comportements changer. «Il y a peut-être des consommateurs qui vont maintenir leur consommation parce que l'argent leur revient, concède-t-il. Mais la plupart des gens vont préférer moins acheter d'essence et utiliser la ristourne pour se gâter ou aller manger au restaurant, par exemple.»

Et à Michel Kelly-Gagnon, qui est très critique de la taxe carbone et affirme que «la solution aux problèmes des changements climatiques passe avant tout par l'innovation technologique et de bonnes politiques publiques», Chris Ragan répond que ces solutions vont main dans la main.

«L'innovation technologique n'arrive pas par magie, rappelle-t-il. La tarification du carbone rend l'innovation technologique bien plus payante.» Ainsi, lorsque les compagnies paient plus cher pour des combustibles fossiles, elles ont un incitatif important pour développer des technologies plus vertes. Et plus ces nouvelles technologies se répandent, moins elles deviennent coûteuses pour les consommateurs, résume-t-il.

Le sondage web a été effectué du 9 au 12 novembre 2018 auprès d'un échantillon représentatif de 1005 Québécois âgés de 18 ans et plus. La marge d'erreur se situe autour de plus ou moins 3,1 %.

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