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Dans la lumière: survivre au suicide de son mari

Le 14 octobre 2015, Alexandre de Lamberterie s'est enlevé la vie. Son épouse, Florence, témoigne de l'empreinte qu'il a laissée sur leur famille.

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En 2015, 1128 Québécois se sont suicidés. Alexandre de Lamberterie était l'un d'entre eux. Le 14 octobre dans l'après-midi, il s'est donné la mort.

Trois ans plus tard, son épouse, Florence Girod, a accepté de se confier au HuffPost Québec pour parler de la vie avec Alex, de la maladie qui l'a rongé pendant plusieurs décennies et de la «déflagration» qu'a provoquée son ultime geste. Sa belle-soeur, l'auteure Olivia de Lamberterie, a également publié un livre sur l'histoire d'Alex, intitulé Avec toutes mes sympathies.

En près de 20 ans de vie commune, Florence avait appris à reconnaître les signes de la maladie mentale d'Alex, qu'elle décrit comme une «dépression continue», mais donc le diagnostic clinique est demeuré «flou».

Quand je l'ai connu, je n'ai pas détecté sa maladie.

«Je voyais quelqu'un qui était très créatif, enthousiaste, volubile, qui avait beaucoup d'énergie, mais qui peut-être de temps en temps avait des baisses de moral», explique-t-elle.

«Il disait beaucoup qu'il voulait qu'on ait des vies rock and roll», raconte Florence en se remémorant le quotidien avec Alex. La directrice stratégie de l'agence Cossette a deux enfants, Alexandre étant le père biologique de la plus jeune.

«Il avait un refus de la banalité, un refus de la vie quotidienne tranquille. Donc ça veut dire, faire des choses fantaisistes, faire des choses un peu extraordinaires», illustre-t-elle.

Elle décrit l'humeur de son mari comme «une série de vagues», où les intenses moments de bonheur succédaient à des périodes sombres. Mais au fil des années, les moments difficiles se sont rapprochés.

En juillet 2015, Alex a fini par faire une tentative de suicide, sa deuxième. Après une hospitalisation, il a été suivi dans un hôpital psychiatrique de jour pendant trois mois.

«La veille de son retour au travail, au moment où il devait avoir son dernier rendez-vous pour clôturer cet épisode-là, il s'est suicidé», raconte sa femme.

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Victimes collatérales

Sans jamais décrire son mari comme un poids ou une responsabilité, Florence admet que la maladie d'Alex prenait «beaucoup de place sur l'unité familiale», puisque les manifestations d'épisodes dépressifs se vivent d'abord à la maison.

«D'ailleurs, à la mort d'Alex, beaucoup de nos amis et des membres de notre famille ont été surpris de son geste parce qu'ils avaient sous-estimé cette situation qu'ils ne voyaient pas», souligne-t-elle.

Elle explique que ses enfants et elle avaient développé «une espèce de sixième sens pour savoir si c'était une bonne journée ou pas», et qu'ils adaptaient leurs interactions en conséquence.

Une dynamique qui peut être la source de beaucoup de stress pour l'entourage, avertit d'ailleurs le réseau Avant de craquer - un regroupement d'organismes offrant du soutien aux membres de l'entourage des personnes atteintes de maladie mentale - sur son site web.

«En fonction du statut que vous occupez dans la famille, de votre âge et du lien qui vous unit à la personne, vous allez vivre des émotions parfois difficiles. Une combinaison de sentiments risque d'affecter votre propre équilibre. Culpabilité, inquiétude, frustration, impuissance et tristesse peuvent être au rendez-vous; c'est normal», décrit le regroupement.

Il est toutefois primordial de prendre soin de soi avant tout. «Malgré ses difficultés, votre proche reste un individu à part entière et la maladie ne doit pas prendre toute la place. Pour aider et accompagner efficacement, il est essentiel de reconnaître vos signes de stress, de fatigue et de fixer vos limites», rappelle Avant de craquer.

Selon le regroupement, quatre personnes sur cinq côtoieront une personne atteinte de maladie mentale au cours de leur vie. Depuis plus de 30 ans, Avant de craquer offre gratuitement des services allant de rencontres individuelles à des mesures de répit-dépannage pour les proches au bout du rouleau.

Un fléau masculin

Au Québec comme un peu partout en Occident, le taux de suicide est environ trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Selon l'Ordre des psychologues du Québec, la dépression est sous-diagnostiquée chez les hommes, notamment parce qu'elle se manifeste différemment chez eux. Alors que les femmes atteintes de dépression ont tendance à pleurer ou à avoir moins d'énergie, les hommes «seront plus enclins à présenter de l'irritabilité, des attaques de colère, des comportements agressifs et des comportements de prise de risque, incluant l'abus d'alcool ou de drogues».

Le regret de Florence

«Je me dis souvent que si Alex avait eu des problèmes au genou, j'aurais été plus impliquée dans ses soins», compare la veuve.

«J'aurais été admise dans les cabinets des médecins. Là, parce que c'est une question de santé mentale, on est tenu à l'écart en tant que famille», déplore-t-elle.

Avec le recul, elle regrette d'avoir «respecté le système».

J'ai respecté la volonté des médecins de m'exclure des rencontres.

Si elle dit comprendre «qu'on ne peut pas faire une démarche de psychothérapie à la place de quelqu'un d'autre», Florence Girod déplore le fait que «beaucoup de choses sont laissées dans la cour du patient», qui n'est pas toujours en état de prendre son propre traitement en charge.

«On va jamais y arriver, s'inquiète-t-elle. Tous ces gens qui souffrent, comment on fait en sorte qu'ils accèdent plus facilement à des soins? Parce que c'est difficile de prendre un rendez-vous quand on ne va pas bien. Et je ne comprends pas qu'on ne puisse pas faciliter cet accès-là...»

Avec toutes mes sympathiesd'Olivia de Lamberterie, paru aux Éditions Stock, a reçu le Prix Renaudot de l'essai en 2018.

«Dans la lumière» est une nouvelle série du HuffPost Québec qui donne la parole sans filtre à des gens ordinaires qui ont vécu des expériences hors du commun. Au cours d'un entretien intimiste, l'interviewé se livre face caméra pour témoigner d'un parcours, d'un engagement ou d'une tranche de vie qu'il souhaite vous partager. Sans détour ni effets de styles, ces témoignages forts sont avant tout de vraies histoires humaines.

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