Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Comment le viol du «Dernier tango à Paris» a entaché Bertolucci

À la fin de sa carrière, le réalisateur dont on a appris la mort ce lundi avait admis avoir piégé la jeune actrice Maria Schneider avec Marlon Brando.
L'actrice Maria Schneider a été piégée et
MGM
L'actrice Maria Schneider a été piégée et

CINÉMA - Il était le réalisateur de films célèbres comme "Le Dernier Empereur", "1900" et bien sûr... "Le dernier tango à Paris". L'Italien Bernardo Bertolucci est mort ce lundi 26 novembre à l'âge de 77 ans. Et, au moment de faire le bilan de sa carrière, impossible de passer outre les révélations sur une scène bien particulière de sa filmographie: celle du viol de "Dernier tango à Paris" avec Maria Schneider et Marlon Brando.

Cette dernière décennie, Bernardo Bertolucci est passé du statut de cinéaste adulé (il reçoit en 2011 la Palme d'or d'honneur pour l'ensemble de son œuvre) à celui de réalisateur abusif et honni. Ce revirement de situation tient aux révélations autour de la scène de viol de son film culte et de la sombre histoire qui l'entoure.

Il a fallu 44 ans, plusieurs interviews et des réactions d'acteurs pour que, ce qui est réellement arrivé à l'actrice Maria Schneider, 19 ans à l'époque, refasse surface.

Dans ce film réalisé en 1972 par Bernardo Bertolucci, une jeune Parisienne (Maria Schneider) vit une relation charnelle et violente avec un Américain plus âgé (Marlon Brando). Classé X dans de nombreux pays et interdit aux moins de 18 ans en France, ce long-métrage est surtout entré dans l'histoire pour la scène où la jeune femme est violée, sodomisée dans une cuisine, avec l'utilisation d'une motte de beurre en guise de lubrifiant.

Il voulait que Maria Schneider soit "humiliée"

Cette scène et son histoire ont refait parler d'elles en décembre 2016, dans un article de la version américaine du magazine ELLE. "Bertolucci admet avoir scénarisé en secret la scène de viol du 'Dernier tango à Paris'", titre alors le magazine qui utilise comme preuve une vidéo datant de 2013.

ELLE ressort ainsi une interview du réalisateur, dans laquelle l'Italien admet avoir ajouté la scène de viol au tournage sans prévenir la jeune comédienne à l'avance, et avec la complicité de Marlon Brando.

"La séquence du beurre est une idée que j'ai eue avec Marlon la veille du tournage. Je voulais que Maria réagisse, qu'elle soit humiliée. Je pense qu'elle nous a haïs tous les deux parce que nous ne lui avons rien dit", reconnaît le cinéaste dans cette vidéo.

Au moment de la disparition de Maria Schneider (morte en février 2011), le réalisateur avait fait part de regrets. Il aurait "voulu demander pardon" à l'actrice, marquée à vie par cette scène dans laquelle elle finit en larmes.

En décembre 2016, alors que tout ceci refait surface, Bernardo Bertolucci s'est une dernière fois exprimé -dans un communiqué- sur cette fameuse scène: "Je voudrais, pour la dernière fois, clarifier un malentendu ridicule qui continue à être rapporté à propos de 'Dernier tango à Paris' dans des journaux du monde entier. Certains ont pensé et pensent que Maria n'avait pas été informée de la violence subie (dans la scène). Faux! Maria savait tout parce qu'elle avait lu le scénario où tout était décrit. La seule nouveauté était l'idée du beurre."

Une actrice traumatisée

Au cours de sa carrière, Maria Schneider est revenue plusieurs fois sur la scène qui l'a traumatisée. Il n'y a pas eu de réelles scènes de sexe dans "Le dernier tango à Paris" entre elle et Brando comme elle l'a expliqué dans une interview pour le Daily Mail en 2007. Pas de pénétration, mais ça n'a pas empêché la jeune comédienne de se sentir "humiliée" et "violée".

"Cette scène n'était pas dans le scénario original. La vérité c'est que c'est Marlon qui a eu l'idée, a déclaré l'actrice lors de cette interview. Ils me l'ont dit juste avant qu'on filme cette scène et j'étais révoltée. J'aurais dû appeler mon agent ou faire venir mon avocat sur le tournage car on ne peut pas forcer quelqu'un a faire quelque chose qui n'est pas dans le scénario, mais à l'époque, je ne savais pas. Marlon m'a dit: 'Maria, ne t'en fait pas, c'est juste un film'. Mais pendant la scène, même si je savais que ce que Marlon faisait n'était pas pour de vrai, mes larmes étaient vraies. Je me suis sentie humiliée et pour être honnête, j'ai eu un peu l'impression d'être violée, par Marlon et Bertolucci. A la fin de la scène, Marlon n'est pas venu me consoler ou s'excuser. Heureusement, une prise a suffi."

Après ce film, Maria Schneider n'est plus jamais apparue nue dans un film. Cette scène, le scandale autour du film et l'attention médiatique qui ont suivi ont fait des ravages chez cette jeune actrice. Tout ce cirque l'ont rendu "folle", a-t-elle déclaré. "Je suis tombée dans les drogues - marijuana, cocaïne, LSD et héroïne - c'était une façon de fuir la réalité."

Un autre regard juste avant #MeToo

Tous ces éléments tragiques étaient déjà sortis dans la presse. Mais le simple article de ELLE en 2016 a relancé la polémique et fait connaître cette histoire à des personnalités du monde du cinéma comme au grand public.

L'affaire Weinstein et le mouvement #MeToo n'ont éclaté que plusieurs mois plus tard, en octobre 2017, mais à l'époque, nous sommes quelques jours après le suicide du photographe David Hamilton, accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes, dont Flavie Flament. Exhumée, les déclarations de Bertolucci trouvent un autre écho.

En découvrant le drame autour de cette fameuse scène de la motte de beurre, de nombreuses personnalités hollywoodiennes se sont offusquées.

"À toutes les personnes qui adore ce film: Vous regardez une fille de 19 ans se faire violer par un homme de 48. Le réalisateur a planifié cette attaque. Ça me rend malade", écrit Jessica Chastain.

"Une place spéciale en enfer pour ces deux ordures et à toute l'équipe qui a regardé ça sans rien faire. Allez vous faire foutre", a tweeté l'acteur Michael Cudlitz.

"Inexcusable. En tant que réalisatrice, je n'arrive pas à le comprendre. En tant que femme je suis horrifiée, dégoûtée et révoltée.", peut-on lire sur le compte de la réalisatrice Ava DuVernay.

"Je ne regarderai plus jamais ce film, Bertolucci et Brando de la même façon, a tweeté l'acteur de "Captain America". C'est révoltant. Je ressens une rage immense."

Toujours en vie à l'époque -contrairement aux deux acteurs du film- le cinéaste italien n'avait pas souhaité s'épancher sur le sujet. Peut-être avait-il déjà conscience que cette affaire entacherait son œuvre jusqu'au générique de fin. Elle a en tout cas laissé entrevoir l'horreur et les abus à Hollywood, un an avant #MeToo.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

VOIR AUSSI:

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.