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Et si le Québec s’inspirait de la Finlande pour ses maternelles 4 ans?

Le HuffPost Québec a posé la question à deux sommités en la matière : Pasi Sahlberg et Égide Royer.
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QUÉBEC – Dépistage des troubles d'apprentissage, littératie précoce, rehaussement des compétences pour les enseignants : le gouvernement Legault a de grandes ambitions pour la mise en place des maternelles pour les enfants de quatre ans.

Pour atteindre ces objectifs, Québec aurait-il avantage à s'inspirer des pratiques du système d'éducation finlandais, qui a l'un des meilleurs taux de diplomation au monde malgré ses méthodes peu orthodoxes selon les standards nord-américains?

Le HuffPost Québec a posé la question à deux sommités en la matière : Pasi Sahlberg, auteur et professeur en éducation à l'Institut Gonski pour l'éducation en Australie, et Égide Royer, psychologue et professeur titulaire de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

4 ans, trop tôt pour l'école?

Chaque enfant finlandais commence la maternelle sous forme de demi-journées obligatoires à six ans. L'apprentissage se fait surtout par le jeu et la découverte.

«C'est une introduction douce aux lettres et aux mots, décrit Pasi Sahlberg, lui-même originaire de la Finlande. Il n'y a pas de cours de littératie formels. Il n'y a pas d'obligation à apprendre des lettres, des chiffres ou quoi que ce soit d'autre.»

L'auteur de l'essai Finnish Lessons : What Can the World Learn From Educational Change in Finland? préconise le «développement naturel» des enfants à un très jeune âge. Certains sont déjà très intéressés à apprendre à lire ou à compter, alors que d'autres développeront d'autres aptitudes en fonction de leur personnalité, dit-il.

Pasi Sahlberg, auteur et professeur en éducation à l'Institut Gonski pour l'éducation en Australie.
Ian Munro/The West Australian
Pasi Sahlberg, auteur et professeur en éducation à l'Institut Gonski pour l'éducation en Australie.

Il met en garde le gouvernement d'obliger chaque enfant de quatre ou de cinq ans à développer certaines aptitudes à un si jeune âge. «Les pousser à faire ces choses trop tôt pourrait faire en sorte que des jeunes enfants auront déjà intériorisé le fait qu'ils ne sont pas bons à l'école», renchérit M. Sahlberg.

«En Finlande, on essaie de faire en sorte que les enfants croient, lorsqu'ils arrivent en première année à l'école (à sept ans), qu'ils peuvent apprendre tout ce qu'ils veulent et qu'ils peuvent réussir à apprendre toutes ces choses difficiles.»

Je pense que c'est une grave erreur de croire que les gens à la maternelle, prématernelle ou dans le milieu préscolaire seraient capables de détecter des problèmes d'apprentissage.Pasi Sahlberg

Égide Royer, considéré comme l'un des plus grands experts de la réussite scolaire au Québec, n'a pas du tout la même lecture de la situation. Un fervent adepte de la maternelle à quatre ans, il se dit convaincu que la mesure de la CAQ va permettre aux enfants de commencer sur un même pied d'égalité en arrivant à l'école.

«Je m'inscris en faux concernant les ayatollahs ou les gens qui disent que c'est terrible, de scolariser les enfants si jeune, déplore-t-il. Ce n'est pas ça l'idée : c'est d'être en mesure, sous forme de jeu, de faire des liens que déjà plusieurs enfants de quatre ou de cinq ans ont fait rapidement.»

M. Royer trouve qu'il est «injuste» que la maternelle quatre ans soit offerte en fonction du code postal de la famille.

Seuls ceux qui peuvent se payer une école privée ou ceux qui vivent dans des quartiers défavorisés peuvent y accéder pour le moment – les libéraux ayant privilégié l'implantation de ces maternelles pour les personnes à bas revenu.

Afin de garantir une chance égale à tous, la maternelle pour les enfants de quatre ans devrait non pas être obligatoire, mais accessible à tous, soutient M. Royer.

M. Sahlberg met le gouvernement en garde de bien respecter les limites de chaque bambin : «Ma question pour eux serait : à quel point les programmes pour la petite enfance et les éducateurs sont-ils en mesure de respecter cette diversité dans le développement des enfants?»

Prévenir au lieu de guérir

Le Québec compte déjà les centres de la petite enfance (CPE), qui misent sur le jeu et sur le bien-être de l'enfant. Malgré cela, il y a une hausse fulgurante de jeunes en difficulté, déplore Égide Royer.

Le nombre d'élèves en difficulté au primaire et au secondaire a doublé au Québec en 15 ans – passant de 100 000 à 200 000. «Je ne dis pas que les CPE n'ont pas fait leur travail, mais ça va prendre quelque chose de plus pour les jeunes qui présentent des difficultés», précise M. Royer.

Pour la CAQ, l'objectif est clair : chaque enfant en bas âge qui présente des problèmes d'apprentissage doit être diagnostiqué et traité dans les meilleurs délais.

M. Royer met en garde d'«étiqueter» les enfants. «Non seulement c'est stressant, mais c'est faux! Vous seriez surprise de constater le nombre de faux positifs», s'indigne l'expert à l'autre bout du fil.

Egide Royer, psychologue et professeur titulaire de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.
Egide Royer/Facebook
Egide Royer, psychologue et professeur titulaire de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

À la place, l'enseignant ou l'éducateur pourrait ouvrir l'œil pour vérifier quels enfants ont des problèmes d'élocution ou quels enfants présentent des comportements agressifs, par exemple, pour ensuite faire une référence afin que le bambin soit vu par un spécialiste.

En Finlande, on observe le processus inverse. Les enfants ont des évaluations obligatoires à deux et à cinq ans par un pédiatre, qui va détecter si les enfants ont des difficultés de langage ou de comportement, explique Pasi Sahlberg.

Quand les enfants entrent à l'école, ils arrivent avec une sorte de bulletin de santé afin que leurs enseignants soient mis au courant des potentiels problèmes. Tout au long du cursus scolaire, spécialistes de la santé et enseignants travaillent de pair pour assurer un suivi.

Si ce n'était que de moi, je recommanderais d'augmenter les exigences d'admission et les critères de perfectionnement des enseignants.Égide Royer

«Je pense que c'est une grave erreur de croire que les gens à la maternelle, prématernelle ou dans le milieu préscolaire seraient capables de détecter des problèmes d'apprentissage», lance M. Sahlberg en entrevue.

Même s'il préconise le modèle ontarien, plus près de la réalité québécoise, M. Royer admet que la province – qui a un taux de diplomation de 77% au secondaire – aurait des leçons à tirer du modèle finlandais, qui «suit au radar» les élèves en difficulté.

«Vous savez, quand vous avez des taux de diplomation de 93% au secondaire, c'est qu'il s'est passé quelque chose au préscolaire», estime le psychologue et professeur.

Des super profs

Il y a au moins un point sur lequels MM. Sahlberg et Royer s'entendent à merveille, soit le rehaussement des exigences pour la formation des enseignants.

«Si ce n'était que de moi, je recommanderais d'augmenter les exigences d'admission et les critères de perfectionnement des enseignants – ce qui est le cas, entre autres, en Finlande», admet M. Royer.

Il suggère de créer un profil d'enseignement au collégial, où les élèves auraient droit à deux cours de français avancé et un cours de mathématique appliqué à l'éducation.

Au lieu d'être une condition à l'obtention du baccalauréat en enseignement, la réussite du Test de certification en français écrit pour l'enseignement (TECFEE) devrait être obligatoire avant d'entrer à l'université pour devenir enseignant, ajoute M. Royer.

Des enfants jouent dans une cour d'école dehors à Helsinki, en Finlande.
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Des enfants jouent dans une cour d'école dehors à Helsinki, en Finlande.

Le salaire devrait également être ajusté pour refléter le niveau scolaire des enseignants. «Si j'ai décidé de faire un bacc et une maîtrise en enseignement, je devrais m'attendre à avoir un salaire concurrentiel avec celui des architectes, des notaires...»

En Finlande, il y a une loi qui requiert la présence d'un éducateur spécialisé qui a une formation universitaire dans chaque groupe.

La raison est simple : il n'y a pas de «classes spéciales» ni d'écoles privées en Finlande. Tous les jeunes sont en classe ordinaire et rares sont ceux qui doivent redoubler une année scolaire.

Dans un monde idéal, M. Royer aimerait voir une enseignante et une éducatrice dans chaque maternelle quatre ans afin d'encourager la littératie et la numératie précoces – et des interventions précoces au besoin pour les bambins en difficulté.

Les partis d'opposition à Québec déplorent le manque d'enseignants et le manque de classes pour l'implantation de ces maternelles pour tous les enfants de quatre ans.

(Les Finlandais, eux, n'ont pas de pénurie de main d'œuvre d'enseignants, au contraire. Le métier est tellement valorisé que les critères d'admission à l'université sont presque aussi exigeants que la médecine.)

«Classes ordinaires, suivis systématiques, augmentation importante des exigences pour devenir enseignant : mettez ces ingrédients-là ensemble et on va se rapprocher de la Finlande, c'est officiel», conclut M. Royer.

«Si les gens voudront embarquer là-dedans, c'est une autre affaire. Au niveau syndical, il y aurait une révolution!»

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